Burkina-Côte d’Ivoire :La guerre

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Jamais auparavant, le risque de conflit armé entre  Ivoiriens et  Burkinabés n’a été aussi imminent. Les deux camps se dirigent inexorablement vers le point de non-retour. En témoignent le durcissement des positions, les déclarations incendiaires à Abidjan et Ouagadougou et surtout, les préparatifs militaires.

Les burkinabés ont visiblement ras le bol des sorties va-t-en guerre et injurieuses du ministre de la jeunesse du gouvernement Gbagbo, Charles Blé Goudé. Ce dernier s’en prenait directement au président du Faso le samedi 5 février dernier lors d’un meeting sur « la Place de la République » à Abidjan.  S’adressant aux jeunes « Patriote » chauffés à blanc, il récusa publiquement le président du Faso : « Le panel des chefs d’Etat africains est le bienvenu en Côte d’Ivoire, excepté le président burkinabé, Blaise Compaoré, qui lui-même est l’incarnation parfaite du problème ivoirien. Un tel monsieur ne peut, en aucune manière, bénéficier de la confiance du peuple de Côte d’Ivoire dont il n’a cure de la souffrance qu’il endure depuis le déclenchement en 2002 de la crise qui frappe le pays de Laurent Gbagbo (…) Je voudrais dire aux Ivoiriens qu’ils soient à Guiglo, Duékoué, Dimbokro, partout sur l’ensemble du territoire : chacun d’entre eux est le gardien du temple… je vous demande de vous révolter partout où vous êtes. Je serai moi-même à la tête du mouvement… ».

Ces propos incitatifs n’auraient certainement été pris très au sérieux au Burkina s’ils n’émanaient pas d’un membre du gouvernement Gbagbo et surtout, si l’orateur n’avait pas été intronisé «chef  Guerrier » par les patriarches. Une semaine plus tard  après ce qu’il convient de qualifier de déclaration de guerre, Charles Blé Goudé a été, en effet intronisé à Agboville,  « chef guerrier Abbey ». Il porte désormais le nom de règne de  Bédé Gnansouê, l’un des rares résistants du pays ayant conduit la résistance contre les travaux forcés des colons en 1910. Les patriarches lui remirent pour la circonstance  une queue d’éléphant symbole de bravoure.

Toujours le samedi 05 Février, à la faveur du meeting à la « Place de la République », les «jeunes patriotes», ont de passage, pris pour cible l’ambassade et le consulat du Burkina Faso en Côte d’Ivoire.

Il faut dire que les partisans de Laurent Gbagbo ont beaucoup de griefs contre le Burkina Faso.

 CE QU’ABIDJAN RÉPROCHE À OUAGADOUGOU

 A l’origine  profonde de cette inimitié, le fait qu’Alassane Dramane Ouattara soit, à leurs yeux, un ressortissant Burkinabé cherchant à conquérir le pouvoir Ivoirien.  

Au fil des années, la situation entre les deux pays se détériora considérablement. AU début des années 2000, des ressortissants Burkinabé seront pris pour cible et leurs maisons détruites. Le Burkina porta plainte auprès des Nations unies pour ces exactions.

Les plaies commençaient à se cicatriser jusqu’aux récentes élections avec ses corollaires. La presse pro-Gbagbo désigna nommément  le président du Faso comme le principal fauteur de troubles tirant profit de la situation chaotique dans le pays. Elle accusa même le Faso d’avoir pris position aux côtés des Forces Nouvelles à Bouaké. Ces passages relevés dans le journal pro-Gbagbo (Le Temps) sont en effet révélateurs de l’état d’âme du clan :

 «Les sorties frauduleuses du cacao ivoirien par les frontières Nord du pays tournent autour de 100 mille tonnes dont le gros bénéficiaire est le Burkina Faso… Avec la connexion de ce pays les mouvements rebelles, achètent le cacao à vil prix dans les zones sous leur contrôle notamment Vavoua, Bangolo avant de le convoyer par des convois de remorques vers «des ports secs» au Burkina Faso… d’où les négociants véreux dont des pontes du RDC dont Adama Bictogo procèdent à un conditionnement dans des entrepôts burkinabé d’Armajaro, entreprise appartenant à Loic Folloroux, fils de Madame Dominique Ouattara. Avant d’être acheminé sur les ports de Lomé au Togo et de Monorovia au Liberia… »

Ces accusations sont suivies par un appel à la mobilisation : « Nous sommes en guerre et chaque Ivoirien où il se trouve, doit avoir en esprit qu’il est en puissance un soldat. La population doit aider les Forces de défense et de sécurité (Fds), en dénonçant les collaborateurs ivoiriens qui seraient tentés d’herber les rebelles. Vous devez savoir une chose. Les soldats étrangers ne nous feront pas de cadeau. Ce sont des tueurs sans cœur qui débarqueront avec la ferme intention d’exterminer le peuple Ivoirien. C’est la guerre ! Bouaké, le fief de la rébellion ivoirienne est depuis quelques jours, le théâtre d’intenses manœuvres de déstabilisation ». 

Les tensions ont été récemment exacerbées par l’affaire de la BCEAO. Abidjan voit en effet, la main d’Ouagadougou derrière le limogeage de Henry Dacoury Tabley, principal allié de Gbagbo du poste de Gouverneur de la BCEAO, lequel sera remplacé temporairement par un Burkinabé. Ce fut  peut-être la goutte de trop !

 LA RÉPONSE d’OUAGADOUGOU

 Dans les grandes villes du Burkina, l’on suit de très la situation à Abidjan. L’attaque du consulat, de l’Ambassade et les propos injurieux adressés à Blaise Compaoré n’ont pas été du goût des jeunes du Faso. Une coordination des Associations dénommée « J’aime ma patrie » a immédiatement initié des marches et meetings de protester contre le clan Laurent Gbagbo. « Nous n’allons pas laisser notre président aller là-bas dans un tel climat d’insécurité », déclarait son président Bagnomboué Bakiono à la faveur d’une conférence de presse et faisant allusion au Panel des Chefs d’Etat dont fait partie Blaise Compaoré.

Plus d’un millier de manifestants ont, par la suite, pris part à un meeting sur la « Place de la Nation » par opposition à celle de la « République » à Abidjan.

Comme pour répondre aux patriarches ivoiriens ayant déclaré Blé Goudé chef Guerrier, les Chefs coutumiers du Faso prendront également part à la manifestation.  Ils furent rejoints par des opérateurs économiques, travailleurs du secteur  informel, élèves et  étudiants…. A la guerre comme à la guerre !

Les messages des pancartes et banderoles  étaient très édifiants et constituaient une réponse directe à Abidjan: « Non aux injures de Blé Goudé », « Non à la xénophobie  Soutenons le panel de la paix », « Blaise Compaoré, les Burkinabè te soutiennent… »  « Blaise Compaoré ira en Côte d`Ivoire malgré vos hurlements", "Blé Goudé, ta dernière demeure, c`est La Haye" au siège de la Cour Pénale Internationale, « attention Blé Goudé (…) », « Blé Goudé, ton cas est clair »!

Les ressortissants Burkinabé à Abidjan ne sont demeurés en reste. Dans un communiqué rendu public, «Le collectif des burkinabé en cote d’ivoire pour la paix déplore et condamne les propos aux élans haineux et incitatifs tenus par quelques journaux à l’encontre des burkinabè ».

Sur le terrain, toujours en Côte d’Ivoire, dans la ville d’Odienné, chef-lieu de la région du Denguélé (nord-ouest), des milliers de ressortissants Burkinabé ont été aperçus fuyant la Côte d’Ivoire en direction de leur pays d’origine.

 L’ARMÉE BURKINABÉ SUR  PIED DE GUERRE

 En marge des agitations dans les deux capitales, il nous revient que l’armée burkinabé est d’ores et déjà en préparation, afin dit-on de « faire face  à toutes les éventualités ». Si officiellement, aucune présence de soldats burkinabés n’a été signalée à Bouaké, des sources dans la deuxième ville du pays confirment bien la «présence de militaires ouest-africains» dans la zone.

A Ouagadougou,  les autorités ont mis en place, ce vendredi 11 février 2010, une Commission interministérielle de défense du territoire. Occasion pour son président le  Général Kouamé Lougué de rappeler que « la défense du territoire n’est pas que l’affaire des militaires… Non, les hommes en armes à eux seuls ne peuvent préserver l’espace vital, garantir la sécurité des biens et des personnes et assurer en tout temps l’approvisionnement en produits de première nécessité. La défense est donc autant militaire que civile».

 Ladite commission relève du secrétariat général de la défense nationale et a pour, entre autres missions,  de collecter des renseignements et faire des propositions au Gouvernement qui prendra les décisions qui s’imposent.

En clair, on voit en cette commission une réponse aux agitations d’Abidjan et la volonté d’Ouagadougou  «faire face  à toutes les éventualités».

En clair, la suite à donner à ce bras de fer entre Ouagadougou et Abidjan dépend de l’accueil qui sera réservé au président Blaise Compaoré dans les jours à venir dans la capitale ivoirienne. Le moindre incident pourrait être interprété et donner occasion à riposte.

Maliens et Sénégalais ont parfaitement conscience de ce risque. Leur histoire commune rappelle que des populations maliennes ont pris la direction de Dakar dans le but de libérer leur président Modibo Keïta  retenu contre son gré par son homologue Léopold Shédar Senghor  en 1961. Les Maliens avaient agi beaucoup plus par nationalisme, voire par chauvinisme, que par sympathie pour leur dirigeant. L’histoire risque de se répéter, cette fois-ci, entre Burkinabés et ivoiriens.

B.S. Diarra

 

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