Les conséquences de la mort du fondateur d’al-Qaida devraient surtout être ressenties sur le front afghan.
Par Jean Guisnel
Que restera-t-il de l’organisation qu’il avait créée, après la mort de l’homme le plus recherché du monde ? C’est la question que tout un chacun se pose, après l’exécution d’Oussama Ben Laden par des commandos américains, intervenant au Pakistan. Une chose est sûre : pour les services de renseignement français, et pour les autres services occidentaux, la figure du Yéménite appartenait depuis longtemps déjà au passé. Ses imprécations n’ont en fait jamais fait illusion, la plupart des spécialistes considérant plus ce terroriste emblématique comme une "tête de gondole", une figure efficace pour médiatiser son organisation.
C’est à côté de cette base militaire d’Abbottabad, au nord d’Islamabad, que se cachait Oussama Ben Laden. © Faisal Mahmood / Reuters
Mais s’il en a sans doute été le financier, après avoir été mis en avant par l’Arabie saoudite et la CIA dans la lutte contre l’Armée rouge en Afghanistan, Oussama Ben Laden n’a jamais été l’idéologue d’al-Qaida. Ce rôle, confirme-t-on de source proche du renseignement français, s’est trouvé bien davantage occupé par Ayman al-Zawahiri. Ce médecin égyptien aujourd’hui âgé de 60 ans fut l’un des hommes forts de la Gama’a al-Islamiyya égyptienne, un groupe fondé par les Frères musulmans, avant de rencontrer Oussama Ben Laden en Afghanistan, et de cofonder avec lui l’organisation ultra-sectaire al-Qaida. Sa tête demeure mise à prix pour 25 millions de dollars.
"Nuisance nulle depuis dix ans"
Paul Pillar, un ancien de la CIA qui a traité les affaires de terrorisme au Moyen-Orient et en Asie du Sud de 2000 à 2004, a déclaré au Washington Post que pour al-Qaida, les "principaux changements dans le contrôle opérationnel et la direction sont déjà intervenus", confirmant : "Depuis un bon moment, le rôle de Ben Laden était davantage un symbole idéologique que l’instigateur d’opérations. Mort ou vivant, ce rôle se poursuivra."
Autorité française sur les mondes arabes et musulmans et sur le terrorisme d’origine fondamentaliste, sans cesse consulté par les universités américaines, Alain Chouet a traité durant trente ans ces sujets à la DGSE, qu’il a quittée en 2002 après en avoir dirigé le service de renseignement et de sécurité. À ses yeux, l’organisation al-Qaida telle qu’elle existait en septembre 2001 lors de l’organisation des attentats contre les tours de New York et le Pentagone n’est plus qu’un lointain souvenir : "Cette mouvance est depuis longtemps éclatée, finie. Sa capacité de nuisance est quasi nulle depuis dix ans."
Des conséquences en Afghanistan
À ses yeux, les groupes qui s’en revendiquent, notamment au Yémen (Aqpa – al-Qaida dans la péninsule arabique) et dans le Sahel (Aqmi – al-Qaida au Maghreb islamique), sont en réalité des entités autonomes "qui ont leur propre logique et n’obéissent qu’à leurs propres chefs". Quant à la mort de Ben Laden, "elle est symboliquement importante. Il faut faire attention au cirque médiatique l’entourant dans le monde entier, car la valorisation du martyr pourrait bien susciter des vocations terroristes spontanées".
La mort du chef d’al-Qaida aura sans aucun doute des conséquences sur la guerre… en Afghanistan. Toute la question que doivent gérer à la fois le gouvernement honni d’Hamid Karzai et l’Otan, qui a dépêché plus de 130 000 hommes sur place, consiste à préparer l’inéluctable retour des talibans dans le jeu politique. Or, pour tout le monde, il faut lever l’hypothèque al-Qaida, de toute évidence protégée par des factions des services secrets pakistanais. De ce point de vue, la mort de Ben Laden arrive à point nommé, mais sa lecture ne se fera pas dans la journée. Bien des zones d’ombre restent à éclaircir, sur la conclusion tardive d’une chasse à l’homme sans précédent.
Le Point.fr – Publié le 02/05/2011 à 15:14