Barack Obama et l’Afrique : le grand malentendu

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Barack Obama le 21 septembre 2016 à New York lors du US - Africa Business Forum au Plaza Hôtel. © Drew Angerer/Getty Images/AFP

Regardant Barack Obama comme “un frère”, les Africains ont peut-être oublié qu’il était surtout président des États-Unis et pas celui de l’Afrique.

4 novembre 2008 : Barack Obama est élu 44e président des Etats-Unis. Il est 23 heures à Washington et à New York. Au Kenya, le jour se lève à peine. Non loin du lac Victoria, à Nyangoma-Kogelo, village qui abrite de nombreux Obama dont Sarah Hussein Onyango Obama, la grand-mère paternelle, un écran géant a été installé pour suivre la soirée électorale. Comme à Times Square. Et lorsqu’enfin les résultats de l’Etat de Virginie scellent la victoire du candidat démocrate, l’ambiance y est tout aussi électrique. Explosions de joie, chants, danses… Les bannières étoilées flottent dans le ciel. A Nairobi, la capitale, ils sont des milliers à célébrer l’élection du premier président afro-américain de l’histoire des Etats-Unis. « Votre victoire est une inspiration pour des millions de personnes à travers le monde mais elle a une résonance particulière ici », réagit le président kényan Mwai Kibaki, qui décrète dans la foulée le jeudi 6 novembre 2008, jour férié. Ce sera l’Obama Day.

« On jubilait ! C’était comme si un Africain était parti en guerre et avait gagné », raconte Issa Sangaré, un étudiant malien qui a suivi l’élection à Bamako. « Il se disait que Barack Obama serait plus proche de l’Afrique », rappelle le journaliste guinéen Boubacar Sanso Barry, qui garde, lui, en mémoire de ce scrutin historique les larmes de Jesse Jackson, pasteur et ardent défenseur de la cause des Noirs américains.

Trop d’enthousiasme pour Obama ?

Huit ans plus tard, le charismatique Obama jouit, certes, d’un capital politique rare pour un dirigeant étranger en Afrique. Sa posture de président « cool » et « proche des jeunes » séduit. Sa propension à dénoncer la corruption des puissants est appréciée. Mais il n’est pas rare d’entendre aussi qu’il aurait « négligé l’Afrique ». « Il est resté comme la « star » et n’a pas été suffisamment concret », déplore Boubacar Sanso Barry.

La déception s’affiche plus vivement lorsqu’il s’agit de comparer son bilan à celui de son prédécesseur George W. Bush. « Quand Bush lance en 2003 son plan d’aide pour le VIH Sida, 50 000 personnes en Afrique ont accès aux trithérapies. En 2008, ils sont près de 2 millions. Avec Bush, on a vu des conflits cesser, en Angola, au Liberia ou en Sierra-Leone, mais avec Obama, les crises continuent. Il ne nous a pas assez aidés à nous débarrasser de Boko Haram ou des Shebab. Il a essayé mais il n’a pas fait aussi bien que Bush, même certains démocrates le disent », observe Anthony Karanja, correspondant aux Etats-Unis du quotidien kényan The Daily Nation.

Beaucoup de temps pour trouver ses marques avec l’Afrique

Obama, le fils d’un Kényan, moins impliqué que Bush sur le continent ? Moins bien vu que George W. Bush qui a ruiné la réputation des Etats-Unis dans l’opinion mondiale ? Curieusement, en Afrique, ce continent qui l’intéresse peu et dont il ne foulera même pas le sol durant son premier mandat, le président texan n’a pas laissé un si mauvais souvenir.

Ses plans d’aide enchevêtrés aux programmes de sécurité lancés en Afrique du Nord et de l’Est sur fond de « guerre mondiale contre le terrorisme » s’avèrent conséquents. 15 milliards de dollars ont été investis dans la lutte contre le virus du Sida, tandis que l’aide américaine en Afrique subsaharienne triple entre 2000 et 2007. Deux repères symboliques des années Bush.

Pour autant, l’administration Obama n’en manque pas, de ces programmes phares qui marquent une politique africaine. A commencer par Power Africa, l’initiative censée doubler l’accès à l’électricité en Afrique subsaharienne. « Un des plus grands héritages du président Obama », avance Jennifer Cooke, directrice Afrique du Centre d’études stratégiques et internationales (CSIS). Ce mégaplan structuré autour de plus de 130 partenaires publics et privés entend s’attaquer au déficit énergétique colossal du continent où seul un tiers de la population a accès à l’électricité. Ce type de programmes, cependant, « met un certain temps à produire des résultats, contrairement à la lutte contre le VIH Sida », nuance-t-elle. D’autant que l’ambitieux projet a été lancé sur le tard, en juin 2013. Signe, aussi, que le président américain a mis du temps à trouver ses marques avec l’Afrique.

Une approche plus institutionnelle que personnelle

Quand il arrive aux affaires, l’ex-sénateur de l’Illinois est rattrapé par l’ampleur de la crise économique. Il doit gérer une crise budgétaire, un taux de chômage frôlant les 10 %, des relations très houleuses avec les républicains, qui s’emparent de la Chambre des représentants aux élections de mi-mandat de 2010 et mettent un frein à ses élans réformateurs. Il hérite aussi de deux guerres en Afghanistan et en Irak. Dans ce paysage, le continent noir semble plus que marginal. Sa première visite en Afrique subsaharienne en tant que président a cependant lieu en juillet 2009. Il choisit le Ghana. « L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais de fortes institutions », déclare-t-il devant le Parlement d’Accra. La formule fera date. Il encourage aussi ces « courageux Africains » qui « prennent leur destinée en main », évoque une initiative en faveur de la sécurité alimentaire de 3,5 milliards de dollars « axée sur de nouvelles méthodes et technologies agricoles ». Ce sera Feed The Future, lancée en 2010. Mais pour le reste, rien de vraiment nouveau. Il faut attendre juin 2012 pour voir la Stratégie américaine en Afrique subsaharienne se faire jour.

La priorité aux jeunes et à l’entrepreneuriat…

Juillet 2013. Sénégal, Tanzanie, Afrique du Sud : deuxième tournée africaine du président Obama. Ses priorités sont plus nettes. « Je parie sur vous tous », lance-t-il à la jeunesse sud-africaine à l’université de Cape Town. Sur la terre des Luthuli, Mandela et Biko dont le combat lui inspira son premier engagement militant aux Etats-Unis, Obama, captivant orateur, appelle l’assemblée à se prendre en main. Encore une fois. Mais ici, le message est devenu stratégie. C’est le fameux « empowerment », au cœur de ce « nouveau chapitre des relations entre l’Afrique et les Etats-Unis » qu’il évoque alors. Il s’agit, en particulier pour les jeunes, les femmes et les entrepreneurs, de prendre en charge leur avenir. A eux l’initiative, à l’Amérique de favoriser les opportunités. « Du Sénégal à l’Afrique du Sud, les Africains ne veulent pas seulement de l’aide, il veulent des échanges commerciaux. Ils veulent des partenaires, pas des patrons ! », claironne Barack Obama. La formule devient son mantra. Il lance Yali (Initiative pour les jeunes leaders africains), un programme qui combine séminaires dans des universités américaines et réseautage, tandis que trois centres de formation dédiés aux entrepreneuses sont implantés en Zambie, au Kenya et au Mali. Mais le changement majeur de cette politique africaine qui prend forme durant le deuxième mandat réside, selon Jennifer Cooke, dans « le rôle clé confié au secteur privé dans le développement ».

… et une campagne “Faire des affaires en Afrique”

Pour inciter les investisseurs américains à se tourner vers ce continent dont l’environnement des affaires les rebute parfois, la rhétorique sur l’émergence de l’Afrique s’accompagne d’une campagne, Doing Business in Africa, et d’une politique commerciale. Le partenariat Trade Africa vient renforcer l’AGOA – un plan de l’administration Clinton qui instaure des accords préférentiels entre les Etats-Unis et une quarantaine de pays africains – et met l’accent sur l’Afrique de l’Est, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Par ailleurs, l’US-Africa Business Forum, un grand raout qui réunit chefs d’Etat africains et grands patrons américains, se tient pour la première fois à Washington en juillet 2014. Power Africa augurait déjà cet enrôlement du secteur privé dans la politique africaine. Washington escomptait que sa mise de départ, 7 milliards de dollars, créerait un effet de levier pour financer ce chantier dispendieux. Sur les 52 milliards de dollars levés à ce jour, 77 % viennent ainsi du privé. Reste à voir si la dynamique sera durable pour atteindre l’objectif de 60 millions de nouvelles connexions fixé pour 2030.

Obama : le casse-tête financier entre guerre et business

L’appel du pied aux investisseurs américains procède aussi d’un constat : les ressources publiques destinées au continent sont plus disputées. L’engagement militaire des Etats-Unis en Afrique n’y est pas étranger. Il n’a cessé de croître depuis la création en 2007 de l’Africom, le commandement des Etats-Unis pour l’Afrique. Il appuie notamment des missions de l’Union africaine (l’Amisom en Somalie), de l’ONU (la Minusma au Mali), ou de forces régionales, à l’instar de la force mixte multinationale (Nigeria, Tchad, Niger, Cameroun) créée pour lutter contre Boko Haram.

Si l’Africom est aussi engagé dans la lutte contre la LRA (Armée de résistance du seigneur) de Joseph Kony en Ouganda, c’est surtout la menace grandissante des combattants affiliés à Al-Qaïda ou à l’Etat islamique qui est invoquée pour justifier le renforcement de la présence militaire américaine. Le journaliste américain Nick Turse affirme qu’il y aurait plus de 60 bases, camps, installations portuaires et autres sites dédiés aux forces américaines dans au moins 34 pays africains, et que le continent se transforme en « laboratoire pour un nouveau genre de guerre ».

Avec cette tendance, comme au Moyen-Orient, à la « light footprint  strategy » (« stratégie de l’empreinte légère ») promue par Obama. Elle mise notamment sur les drones, comme l’illustre l’annonce récente d’une nouvelle base aérienne à Agadez au Niger, pour accueillir ces avions sans pilotes utilisés pour la surveillance, le transport ou les frappes.

Obama pris dans les contradictions de l’action internationale

Où est le militant pacifiste qui a fait campagne contre la guerre en Irak dans ces moments-là ? En février, tandis qu’il subit la pression du Pentagone et de ses conseillers militaires pour intervenir contre l’Etat islamique en Libye, le New York Times décrit un homme « circonspect à l’idée de s’embarquer dans une intervention dans un autre pays musulman », et qui temporise, demande à son équipe de « redoubler d’efforts pour favoriser un gouvernement d’union en Libye ». Parfois, le démocrate marche sur un fil. Notamment quand des partenariats sécuritaires sont noués avec des régimes autoritaires. Les appels à la limitation des mandats ou à la transparence, qu’il a audacieusement lancés sur le continent, apparaissent dès lors moins audibles. L’action politique et ses paradoxes. « Il se pensait peut-être plus puissant que le système qu’il venait présider », se dit Boubacar Sanso Barry.

Obama : et si des manœuvres internes l’avaient ralenti ?

Huit ans après son élection, Obama semble voué à être jugé à l’aune de ce qu’il aurait pu faire, comme un revers de l’engouement inouï qu’il a suscité en Afrique. « Lui qui avait tant de cartes en main… », croit-on entendre. « Il connaît l’Afrique et il a une capacité à comprendre le continent à un degré que d’autres présidents n’approcheront peut-être jamais », explique l’historien Matt Carotenuto, coordinateur des Etudes africaines à l’université américaine Saint-Lawrence. « Ses actions ou celles de son gouvernement ne reflètent peut-être pas cette expérience africaine, mais je crois qu’il a essayé », retient-il toutefois. Et de pointer combien cet héritage africain a aussi pesé sur les épaules du président, aux Etats-Unis. « Son premier mandat a été freiné aussi bien par la crise économique que par l’affaire sur son certificat de naissance », rappelle-t-il, en référence, à la campagne féroce d’un certain Donald Trump sur la prétendue origine étrangère d’Obama. Obama l’Africain, Obama le musulman… La portée de ces allégations a été « sous-estimée » selon Matt Carotenuto. La manœuvre visait à contester la légitimité de Barack Obama à diriger le pays. Après avoir empoisonné la campagne du candidat qui se réclamait haut et fort des idéaux d’Abraham Lincoln, elle s’est prolongée durant les trois premières années de son mandat présidentiel.

Obama et l’Afrique : l’histoire n’est peut-être pas encore terminée

Que retiendra-t-on de Barack Obama en Afrique ? Au Kenya, l’un des moments les plus forts pour Anthony Karanja a eu lieu en juillet 2015, quand Obama a douché les attentes de soutien du leader de l’opposition, Raila Odinga, au prétexte de son origine Luo, comme la famille paternelle du président américain. « Il a montré qu’il ne ferait pas de favoritisme, c’était mémorable », narre le journaliste, selon qui le soutien d’Obama à la jeunesse va aussi marquer son héritage. « Il les a encouragés à créer leur emploi, à voter, à construire l’avenir, il s’est vraiment intéressé à eux ». « Il fait rêver la jeunesse », renchérit Boubacar Sanso Barry. Pour tous ces observateurs, Obama n’en a pas fini avec l’Afrique. Ils sont formels : il s’engagera après son mandat de président. « Il reviendra, il l’a promis », assure le Kényan Anthony Karanja.

PAR AGNÈS FAIVRE
Publié le 30/10/2016 à 17:35 –  Le Point Afrique

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