Au Burkina, le chaos c’est Blaise Compaoré

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Ce rapport d’International Crisis Group est bienvenu. Depuis plusieurs années, les déclarations élogieuses sur Blaise Compaoré se succèdent. On loue ses qualités de médiateur et sa stature d’homme de paix. Ce rapport tranche au milieu de la cécité générale qui s’est emparée de la communauté internationale, sur Blaise Compaoré.

 

Blaise COMPAORE
Blaise COMPAORE

On semble oublier comme par enchantement son engagement dans l’effroyable guerre du Libéria et de Sierra Léone, aux côtés de Charles Taylor et d’autres chefs de guerre sanguinaires, son soutien affiché aux rebelles ivoiriens, dont on attend toujours le jugement, dont certains se sont transformés en chefs de gang locaux rackettant les populations dans certaines régions du nord de la Côte d’Ivoire, sans parler de différentes autres implications dans des tentatives de déstabilisation dans la région.

 

C’est ainsi que le rapport rappelle : «Depuis 1990, le Burkina Faso a été directement impliqué dans sept crises ouest-africaines : au Libéria, en Sierra Leone, au Niger, au Togo, en Côte d’Ivoire, en Guinée et au Mali. » .

Emportés par leurs élans, souvent ignorant des réalités africaines, certains hommes politiques français, en viennent à vanter ses qualités dans la maîtrise des questions de développement. Dernière sortie en date, Mme Elisabeth Guigou, présidente de la commission des affaires étrangères qui déclare à l’issue d’une séance d’audition de Blaise Compaoré le 5 juin 2013: « Monsieur le Président de la République, merci.

Ces applaudissements, qui ne sont pas systématiques dans notre Commission, témoignent de notre gratitude pour le rôle que vous jouez et pour la vision que vous avez du développement de votre pays et du continent africain». A la fin du même mois, puis le 28 juillet, des manifestations sans précédent se dont déroulées à l’appel de l’opposition pour s’opposer à la réforme du sénat et demander le départ de Blaise Compaoré.

Les vérités assénées par ce rapport sur le régime sont donc particulièrement bienvenues. Il contient des analyses poussées, éclairantes et souvent très fines sur sa nature, qualifiée de « politico-militaire » et son fonctionnement. Un chapitre entier détaille l’implication des « bonnets rouges », les chefs traditionnels, leur forte implication lors des élections, qu’il compare à des grands électeurs tant leur consigne de vote est déterminante dans le choix des populations sous leur emprise.

L’analyse de l’armée, qui résulte d’entretiens directs avec d’anciens militaires, à laquelle peu de chercheurs se sont essayés est importante et éclaire les contradictions qui la minent, malgré le calme apparent que soulignent ceux qui se penchent sur le Burkina de façon anecdotique. Les autres savent qu’une grave crise sociale, doublée d’une mutinerie générale des corps habillés, a embrasé l’ensemble du pays, dont une bonne partie des garnisons militaires. Aussi ce texte s’affirme comme une référence.

Pourtant et c’est ce que nous allons développer, ici, ce rapport souffre d’une publication tardive, alors que le travail était prêt depuis plus d’un an, et surtout d’une mise à jour insuffisante. Les dernières élections législatives de novembre 2012, ont considérablement changé la situation politique, et malheureusement le rapport n’en a pas saisi l’ampleur.

Blaise Compaoré, est-il vraiment le garant de la stabilité de la région ?

Le rapport affirme : « Blaise Compaoré peut ainsi s’affirmer comme un acteur vertueux et indispensable de la stabilité régionale et se trouve en position de force pour obtenir le soutien des partenaires occidentaux ». Mais n’est-ce pas justement le contraire comme l’affirme d’ailleurs le rapport? Le texte souligne pourtant son implication dans l’effroyable guerre du Libéria mais aussi aux côtés de la rébellion ivoirienne.

Et que dire de son implication aux côté du MNLA, dont les dirigeants étaient hébergés à Ouagadoudou et dont le chef de guerre a été exfiltré alors qu’il était en grande difficulté, par un hélicoptère burkinabé (voir http://www.lefigaro.fr/international/2012/06/28/01003-20120628ARTFIG00736-au-mali-les-djihadistes-chassent-les-rebelles-touaregs.php ). Une ou deux citations du procès de Charles, qui vient à peine de se terminer, auraient été bienvenues.

En lisant les extraits des minutes du procès (voir notamment http://blaisecompaore2015.info/Les-minutes-du-proces-de-Charles ou http://thomassankara.net/spip.php?article1069) une question vient à l’esprit compte tenues des accusions nombreuses contre Blaise Compaoré, toujours cité en compagnie de Mouamar Kadhafi. Leur non-parution à la barre, en dehors du fait qu’ils étaient présidents en exercice, n’est-elle pas due au fait qu’ils étaient devenus alliés des occidentaux, eux-mêmes finançant l’essentiel du Tribune Spécial sur la Sierre Leone.

L’assassinat de Kadhafi et l’implication de la France pour l’éliminer ne suffisent pas à nous le faire oublier. D’ailleurs, peu après la prise du pouvoir, très tôt, Sankara s’étonne qu’on l’accuse d’être un proche de Khadafi (voir www.thomassankara.net/spip.php?article1018) , alors que d’autre, sous entendus des occidentaux, se rendent dans ce pays et que cela ne semble pas choquer.

2. Sa position de médiateur est-elle due à ses talents propres comme semble l’affirmer le rapport ?

Rien n’est moins sûr. Ses détracteurs le dépeignent comme un effroyable cynique, ce qui n’a rien à voir avec un diplomate, mais plutôt avec un manipulateur. On se reportera à ce sujet à un témoignage d’une séance de médiation datant d’avril 2012 (voir http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/290713/la-methode-du-mediateur-blaise-compaore-recit-de-la-negociation-d-avril-2012-ouagadougou-temoignag) . En réalité, cette position, il la tient justement, d’une part de ses réseaux mis en place dans les différentes tentatives de déstabilisation, et au soutien actif de la diplomatie occidentale.

Chaffi, un de ses intermédiaires dans les négociations pour libérer les otages, en est un exemple puisqu’il semble qu’il aurait lui-même combattu dans une des rebellions touaregs, et qu’on le voit dans une vidéo aux côtés de Cheriff Ousmane (voir à la 18ème minute de ma vidéo à http://www.youtube.com/watch?v=VLCKi1c4hmM minute 18). Nous reviendrons, un peu plus loin sur la façon dont la France a accompagné Blaise Compaoré.

Autre exemple, dans le passé un certain Ibrahim Bah, trafiquant d’armes, cité dans le procès de Charles Taylor, comme un des intermédiaires dans les livraisons d’armes, s’est avéré travaillant aussi pour Al Qaïda et Blaise Compaoré a fini par le donner aux américains.

3. Comment est-il devenu l’homme des occidentaux ?

Le rapport affirme avec juste raison qu’il est « l’homme des occidentaux » Mais comment est-il parvenu à cette position ? Les occidentaux l’ont-ils choisi pour son habilité ou l’ont-ils eux-mêmes propulsé à cette position ? Il y a de ce point de vue des itinéraires différents de la part des américains et des français. Les premiers ont longtemps attaqué Blaise Compaoré, après la guerre au Libéria et en Sierra Leone. Le rapport ne souligne pas suffisamment combien cette guerre est la source de la situation actuelle et des alliances qui se sont nouées à ce moment.

Et c’est l’assassinat de Thomas Sankara qui a scellé cette alliance, ce qu’avait dit le premier, François Xavier Vershave (voir François Xavier Verschave, Noir Silence, mai 2000, P. 346-34). Des éléments nouveaux sont venus confirmer cette analyse, notamment la parole de proches de Charles Taylor. Nous y revenons plus loin.

4. Blaise Compaoré, l’allié des américains.

Pour ce qui concerne les Usa, un journal américain a récemment confirmé que Charles Taylor avait travaillé pour une agence américaine (voir http://www.lapresse.ca/international/afrique/201201/19/01-4487515-lex-president-du-liberia-charles-taylor-travaillait-pour-la-cia.php).

Mais sans doute ce dernier a-t-il voulu en faire trop et commencé à montrer des velléités d’indépendance ? Sans parler des effroyables exactions dont il s’est rendu responsable. Mais, sur ce dernier point, nous savons que, pour les américains, ce n’est pas forcément suffisant pour rompre une alliance. Nous avons eu droit alors à des déclarations de dirigeants américains extrêmement virulentes contre Blaise Compaoré.

Dans un article du Département d’Etat des USA du 11 avril 2006 publié sur le site allafrica.com aujourd’hui disparu, on peut lire que M. David Crane, ancien procureur du Tribunal Spécial sur la Sierra Léon a déclaré : «Charles Taylor était « la pièce maîtresse d’un plan géopolitique de dix ans » mis en oeuvre à la fin des années 80 par le Libyen Mouammar Kadhafi.

 

Il s’agissait de recruter des individus qui fomenteraient la rébellion, s’empareraient du pouvoir dans leur pays et deviendraient des pions de Kadhafi qui, ainsi, aurait les mains libres en Afrique de l’Ouest. ‘Nous avons des preuves incontestables de cela’.

 

Parmi les individus ainsi recrutés se trouvaient Foday Sankoh, ancien chef du RUF (Front révolutionnaire uni) ; Blaise Compaoré, actuel président du Burkina Faso ; et Ibrahim Bah, marchand de diamants… » et il a ajouté : « Le résultat de cet exercice criminel « a été le meurtre, le viol et la mutilation de 500.000 personnes en Sierra Leone et de près de 600.000 au Liberia ». Le Burkina a même été alors menacé de sanctions par la communauté internationale… Blaise Compaoré a donc du céder et lâcher Charles Taylor. Il est redevenu fréquentable, puis un allié incontournable.
5. Blaise Compaoré, propulsé homme de paix par les réseaux françafricains.

Pour ce qui est de la France, les bonnes relations avec Blaise Compaoré n’ont jamais cessé. Allié lors de l’assassinat de Sankara, allié dans la guerre du Libéria… mais cette amitié devait se faire plutôt discrète du fait de l’hostilité que dégageait Blaise Compaoré pour avoir assassiné Sankara, de divergences probables au sein du parti socialiste, et de la férocité de la répression durant ses premières années à la tête du Burkina, qui grâce à Sankara était devenu un pays moins anonyme pour nombre de français, et enfin pour rester discret sur son implication dans le conflit libérien.

Mais un certain Jean Guion, issu des réseaux gaullistes, s’affirmant comme héritier de Pierre Mesmer et Jacques Chaban Delmas et « militant » de la francophonie s’est mis, dès 1988, au service de Blaise Compaoré, et il l’est encore, dans doute grassement rétribué.

 

Il n’a eu de cesse de travailler à la bonne image de Blaise Compaoré. Il a même réussi à faire écrire une préface d’un livre à la gloire de Blaise Compaoré, aux moments les plus noirs de son régime, par Stéphane Essel.

 

C’est à partir de 2005, que les réseaux françafricains, vont se faire moins discrets et se mettre à travailler à améliorer son image.

A l’initiative de Guy Penne, ancien monsieur Afrique de l’Elysée sous Mitterand, est créé l’ AFBF (Amitiés franco burkinabè de France) où vont travailler ensemble les réseaux proches du parti socialiste, du centre et de la droite, des anciens ministres de la coopération, dont des membres notoirement connus du réseau Foccart. A noter que c’est à peu près à la même période que se produit le retournement du comité des droits de l’homme de l’ONU sur l’affaire Sankara.

 

 

En effet, après avoir sommé le Burkina de faire la vérité sur l’assassinat et de trouver un arrangement avec la famille, ce comité s’est contenté, quelques années plus tard d’une simple modification du certificat de décès et d’une offre financière à la famille qu’elle a dignement refusé. Car pour elle, rien ne saurait transiger avec la recherche de la vérité.

Tout ceci est longuement développé dans un article du Monde Diplomatique publié en janvier 2010 sous le titre Métamorphoses du président Blaise Compaoré, Le Burkina Faso, pilier de la « Françafrique » (voir à http://www.monde-diplomatique.fr/2010/01/JAFFRE/18714).

 

Toute la puissance diplomatique française de l’époque va travailler à une mystification : faire de Blaise Compaoré, un homme de paix, et le propulser par la même occasion comme le médiateur dans la région malgré pourtant son passé particulièrement lourd. Une tâche sans doute gagnée au niveau de la diplomatie internationale mais pas au sein la population de la région. C’est dans une réunion de l’AFBF qu’est lancée l’idée de faire campagne pour que Blaise Compaoré reçoive le prix Nobel de la paix !

6. Sur l’assassinat de Thomas Sankara

Sur l’assassinat de Thomas Sankara, les déclarations à RFI de Prince Johnson, auxquelles vous faites référence ne sont pas les plus pertinentes. Il y a celles concordantes de plusieurs compagnons de Charles Taylor dans le documentaire de Silvestro Montanaro, diffusé sur la RAI3 (voir la retranscription en français à http://thomassankara.net/spip.php?article794), qui pointent la France et la CIA. Certes, elles sont à prendre avec une certaine distance, mais pas moins que celles de Johnson à RFI.

 

 

Toutes concordent, certaines sont même en caméra cachée. De même que le chapitre du livre « Biographie de Thomas Sankara, la patrie ou la mort » auquel renvoie le rapport n’est pas le plus pertinent en ce qui concerne le complot extérieur, plusieurs nouveaux éléments ayant été avancés depuis, notamment le film cité ci-dessus.
7. Le pays monopolisé par le clan Compaoré

Sur la nature du pouvoir, manque cependant l’étude de la confiscation politique et économique d’une bonne partie du pays par ce qu’il faut bien appeler un clan. Outre François Compaoré, il aurait fallu citer, Alizeta Ouedraogo, la « belle mère nationale », à la tête de la Chambre de commerce, qui semble s’arroger d’office une partie importante des marchés publics.

Nous ne sommes pas spécialistes de la question, mais les journalistes burkinabè auraient certainement éclairé les auteurs du rapport là-dessus. Ils soulignent souvent cet aspect, dans la presse et connaissent en détail « qui est qui » comme on dit au Burkina.

 

8. Le véritable danger pour l’avenir du Burkina, c’est Blaise Compaoré

Autre élément, qui nous parait fondamental pour une analyse complète du danger que fait courir Blaise Compaoré au Burkina. Pourquoi s’accroche-t-il tant au pouvoir et pourquoi pousse-t-il à ce que son frère prenne le relais ? Après tout, vu la position acquise de médiateur dans la communauté internationale, dont on vante sans scrupule les qualités, il pourrait se recycler sans peine dans une mission internationale, comme le font nombre d’anciens présidents.

 

Mais en réalité, il a peur ! Il sait d’une part que la plupart des membres du CDP (Union pour le progrès et le changement), le parti au pouvoir, le lâcheront dès qu’il ne sera plus l’homme fort du pays.

 

Mais il craint surtout la justice. Blaise Compaoré peut être poursuivi pour de nombreux crimes commis dans son pays mais aussi par la justice internationale pour son rôle dans la guerre du Libéria si l’on en juge par le procès de Charles Taylor qui s’est limité à la Sierra Leone.

 

Un éditorial du quotidien burkinabè l’Observateur proposait l’an dernier une amnistie pour qu’il accepte de partir. Cette amnistie a d’ailleurs été votée depuis par l’Assemblée nationale au Burkina. Mais il sait bien que ça ne suffira pas à le protéger. Cet aspect ne peut être omis si l’on veut comprendre sa crispation au pouvoir.

 

 

Il y a comme un sauve-qui-peut à vouloir pousser François Compaoré, personnage parmi les plus impopulaires du régime, au risque de provoquer une révolte dont on ne saurait dire jusqu’où elle irait. Il semblerait que ce soit une des raisons de la rupture de Salif Diallo, avec Blaise Compaoré, pourtant un de ses plus fidèles collaborateurs, ancien pilier du régime, soupçonné d’avoir été un des acteurs des différentes tentatives de déstabilisation du Burkina.

9. Et les syndicats ?

Un chapitre sur les syndicats aurait été bienvenu. Les syndicats ont toujours joué un rôle politique au Burkina. L’augmentation importante du nombre de salariés, la formation solide de leurs militants, souvent issus du syndicat étudiant, UGEB, en font des éléments moteurs du mouvement social. Beaucoup de dirigeants syndicaux de la CGTB (Confédération général des travailleurs burkinabè), mais aussi de MBDHP (Mouvement Burkinabè des droits de l’homme et des peuples) sont notoirement membres du PCRV (parti communiste révolutionnaire voltaïque), ou en sont issus, parti qui, malgré plusieurs tentatives d’approche de Sankara, a combattu la révolution.

 

 

Les militants de ce parti en ont subi la répression. Le PCRV étant clandestin, il y a aussi en quelque sorte une histoire secrète de la vie politique, difficile à décrypter. On ne sait quel rôle il va jouer.
Les syndicats ont été pris de court par la manifestation de l’opposition du 29 juin 2013, particulièrement réussi, et ont tenu à réaffirmer leur rôle d’acteur en appelant à une autre manifestation le 20 juillet. Tolé Sagnon le dirigeant de la CGTB, (Confédération générale des travailleurs du Burkina) en a profité pour attaquer les partis politiques et expliqué que la lutte contre le sénat, ne devait pas détourné les travailleurs d’autres combats. Il a ajouté qu’il fallait lutter contre le changement mais pas n’importe lequel.

 

 

Difficile de faire plus politique. C’est là que réside un des risques de déstabilisation de l’opposition. Le PCRV dit souvent vouloir la révolution mais ajoute toujours que la situation n’est pas mure. Il est largement soupçonné par la fraction de l’opposition, que l’on peut qualifier de gauche, de freiner toutes les luttes qui s’opposent frontalement au pouvoir en réclamant le changement.

10. les dernières élections ont radicalement changé la situation politique

C’est a propos de l’opposition que le rapport aurait du être actualisé. Il y a bien eu une de mise à jour mais trop rapide. Est noté, en effet, la manifestation du 7 juillet 2013 des partisans de Blaise Compaoré, mais rien sur celle de l’opposition du 29 juin que nous avons qualifié d’historique (voir l’article de médiapart à http://blogs.mediapart.fr/blog/bruno-jaffre/270613/journee-de-manifestations-historique-ce-29-juin-2013-au-burkina-faso). Car la situation a bien plus évolué depuis les élections que ne le dit rapport.

Une remarque sur les donateurs d’ICG, les destinataires privilégiés du rapport. Il semble bien que les travaux d’ICG, s’adressent aux décideurs de tout ordre, aussi bien aux investisseurs, aux hommes politiques de pays intéressés par la situation au Burkina, aux fonctionnaires internationaux qu’aux ONG, mais ces derniers n’en sont pas les principaux destinataires bien sur. Aussi est-il particulièrement important, au moment de se projeter vers l’avenir de ne pas se tromper.

 
Lors de la publication des résultats des dernières élections législatives, en novembre 2012, il était déjà perceptible que quelque chose avait changé au Burkina Faso. Nous avons de nombreux contacts dans ce pays, avec qui nous échangeons régulièrement, issus de milieux différents. Il y a les pages facebook créées par des jeunes burkinabè qui tentent de mobiliser contre le pouvoir mais aussi lieu d’échanges et de confrontations d’idées entre burkinabè. Certains regrettaient déjà de ne pas s’être inscrits sur les listes électorales.

 

 

D’autres, que je pensais radicaux, se déclaraient prêt à se ranger derrière Zéphirin Diabré, l’actuel tout nouveau leader de l’opposition. Le rapport évoque les élections de 2005 où le candidat de l’UNIR/PS (Union pour la renaissance, parti sankariste), le principal parti se réclamant de Thomas Sankara, M. Bénéwendé Sankara, était arrivé en tête de l’opposition.

 

 

Mais il omet de préciser qu’en 2012, c’est Arba Diallo, l’actuel leader du PDS Metba (Parti pour la démocratie et le socialisme/Parti des bâtisseurs) qui est arrivé en 2eme position avec 8% des voix, ce qui en fait un homme politique de premier plan. En octobre 2012, lors de rencontres avec les dirigeants de ces deux partis, ils semblaient reprendre déjà espoir, et vouloir collaborer avec Zéphirin Diabré, dont le parti, l’UPC (Union pour le progrès et le changement), est arrivé en tête des partis d’opposition lors des dernières législatives de novembre 2012, voulant oublier son passé de ministre de Blaise Compaoré et de directeur Afrique d’AREVA Afrique.

Et la suite est venue confirmer ce qui semblait se mettre en place. Zéphirin Diabré, qui s’avère être un redoutable homme politique, aurait pu choisir de construire une alternance, avec le RDA (Rassemblement démocratique africain), l’UNDD (Union nationale pour la démocratie et le dévloppement), deux partis anciens et relativement bien implantés qui ont toujours navigué entre le pouvoir et l’opposition, et continuer à accueillir dans son propre parti, l’UPC, des anciens du CDP, le parti au pouvoir.

 

Cette alliance aurait pu constituer une alternative crédible aux yeux des occidentaux. Et bien non. Il a choisi très clairement une alliance combative, avec le PDS et l’UNIR PS, puisqu’il a pris des membres de ces deux partis comme proches collaborateurs au sein du CFOP (Chef de file de l’opposition), qui regroupe les partis se déclarant de l’opposition.

 

11. L’opposition politique à la tête de la mobilisation populaire, unie, de plus en plus crédible, très bientôt prête à gouverner

Et contrairement à ce que est écrit dans le rapport, cette opposition est unie pour l’instant, c’est vrai que c’est récent, mais cette unité se consolide. Elle est non seulement unie, mais militante et active. Certes ça reste fragile, entre un pouvoir qui a de la ressource, des militants peu aguerris, et surtout une jeunesse qui veut en découdre au plus vite avec le pouvoir, et qu’elle n’encadre pas vraiment.

 

 

Mais ces partis lui redonnent espoir. Alors qu’en 2011, le CFOP, sans l’UPC, n’avait réuni que quelques milliers de personnes, ce sont plusieurs dizaine de milliers qui ont défilé à Ouagadougou les 20 juin et 28 juillet 2013, sans compter les différentes manifestations qui ont eu lieu en province dont la presse a du mal à rendre compte dans sa globalité.

Oui l’espoir est là. L’alternative se construit sous nos yeux. Il y a des hommes d’Etat dans l’opposition, parfaitement capables de diriger ce pays, possédant l’expérience et les compétences requises.

 

 

Il est de bon ton d’affirmer que l’opposition n’a pas de projet politique. Pourtant les candidats Arba Diallo et Bénéwendé Sankara ont publié des programmes conséquents avant les présidentiels de 2010 (voir http://thomassankara.net/spip.php?article1005 et http://thomassankara.net/spip.php?article1006).

 

Le rapport insiste sur le fait que l’opposition est désunie et semble dire que l’alternative n’existe pas. Il semble bien que ce soit le contraire. Autrement dit, si dans ce rapport, l’analyse du pouvoir est pertinente, la projection sur l’avenir nous apparait à l’opposé de ce qui se met en place en ne tenant pas compte de l’évolution rapide de la situation.

Certes il va se passer beaucoup de choses, cette unité est fragile, mais à chaque décision commune, elle se consolide. Et les hommes de l’opposition ont senti la chance qui s’offre à eux. Quant à Zéphirin Diabré, il fait clairement le choix de la mobilisation populaire. Il sait aussi qu’il ne peut décevoir. En appelant à la mobilisation, il devient redevable de cette mobilisation. On entre dans une situation qui ressemble à celle du Sénégal avant les dernières élections.

Ce changement de la situation politique aussi rapide, apparait presque surprenant. Pourtant, comme par le passé, il a suffi qu’un homme, Zéphirin Diabré se détache et s’impose de fait comme leader incontesté, les élections l’ont consacré sans appel avec 20 députés, loin devant les autres partis de l’opposition et qu’il ait un certain charisme. Il semble que ce soit le cas.

Or dans des pays où la crise est profonde, il ne saurait y avoir de changement réel sans une mobilisation populaire. C’est vrai tout autant en France qu’au Burkina. Au Burkina, on a aujourd’hui un leader, une mobilisation populaire, et une opposition unie. La situation n’est pas grave, elle est porteuse d’espoir. Zéphirin a clairement dit qu’il se préparait pour 2015.

Si le pouvoir ne recule pas, et il lui est difficile de reculer sur le sénat, la situation va devenir explosive et le changement pourrait intervenir avant… La mondialisation est aussi celle des révoltes populaires, et le jeunes burkinabé les suivent attentivement en se projetant dans leur pays.

 

12. Au Burkina, le chaos, c’est Blaise Compaoré.

Les décideurs de tous ordres, ceux qui ont le pouvoir de faire bouger les choses, qui vont lire le rapport, doivent comprendre qu’il faut lâcher Blaise Compaoré. Il a fait son temps. Ils ont les moyens de le neutraliser avant qu’il ne soit trop tard. Car si chaos, il y a dans ce pays, ce sera parce qu’il s’accroche au pouvoir par tous les moyens. Le chaos, le pays l’a connu en 2011. Il faut éviter que ça se reproduise, car ce sera bien plus grave, avant qu’il ne soit trop tard. Le pays est prêt au changement.

Il y a bien sur des paramètres qui interviendront, l’interventionnisme français au Mali, l’évolution de la situation dans ce pays, les manœuvres de tous ordres que ne manqueront pas de fomenter les partisans de Blaise Compaoré pour diviser l’opposition, celles d’autres forces qui sont partie prenante de l’évolution dans ce pays. Mais l’alternance existe, semble possible et apparait de plus en plus crédible. C’est cela qu’il aurait fallu dire aux décideurs de tout ordre à qui est destiné le rapport.

Oui, il y a une vie qui se profile au Burkina après Blaise Compaoré.

Bruno Jaffré

Source: Mediapart

 

 

 

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