Off Investigation révèle en exclusivité qu’en Suisse, la justice vient de geler la condamnation de Bachir Saleh, ancien grand argentier du colonel Kadhafi, pour «participation à une organisation criminelle» et «blanchiment d’argent aggravé». À quelques jours de l’ouverture en France du procès du présumé financement libyen de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy en 2007.
Le 6 janvier prochain s’ouvre enfin le procès de l’affaire du financement libyen de la campagne électorale de Nicolas Sarkozy de 2007. Programmé sur trois mois, ce procès fleuve verra comparaître, outre l’ex-président de la République, son premier cercle de l’époque. C’est entre autres le cas des anciens ministres de l’Intérieur Claude Guéant et Brice Hortefeux, de Thierry Gaubert ou encore d’Eric Woerth.
L’ancien chef de l’État sera, lui, jugé pour recel de détournements de fonds publics, corruption passive, financement illégal de campagne électorale, association de malfaiteurs. Tous sont présumés innocents.
Le colonel Kadhafi étant décédé en 2011, un seul Libyen comparaîtra aux côtés de cette joyeuse clique : l’ex-directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et ancien directeur du fonds souverain LAP, Bachir Saleh. Aujourd’hui âgé de 78 ans, ce père de quatre enfants vit réfugié aux Émirats Arabes Unis en dépit d’un mandat d’arrêt émis par la France. Il est accusé de détournements de fonds publics, corruption passive d’agent public étranger, blanchiment de détournements de fonds publics et de corruption passive en bande organisée.
Si son avenir judiciaire en France demeure incertain, il s’est soudainement éclairci en Suisse le 18 décembre dernier. Contre toute attente, le tribunal pénal fédéral a suspendu une condamnation prononcée par le ministère public de la Confédération (helvétique) et renvoyé le dossier à l’instruction.
Déclaré coupable
Pour comprendre cet incroyable revirement, il faut remonter au 12 décembre 2023. Le ministère public, dont la mission est d’enquêter et de porter les accusations, déclare par ordonnance pénale Bachir Saleh coupable de «participation à une organisation criminelle» et de «blanchiment d’argent aggravé».
En tant qu’ancien directeur de cabinet de Mouammar Kadhafi et ex-directeur du fonds souverain Libya Africa Investment Portfolio (LAP), il lui est reproché d’avoir participé à une organisation criminelle appelée les «Hommes de la Tente». Selon le ministère public suisse, celle-ci se composait d’un cercle informel de proches du Guide libyen dont les membres se sont enrichis «en détournant les revenus du commerce national de pétrole et en s’appropriant illégalement d’autres ressources publiques». En d’autres termes, en ayant détourné des fonds publics qui ont parfois été placés dans les banques suisses.
Le ministère public condamne alors Bachir Saleh à cinq mois de prison avec sursis et confisque certains de ses avoirs bancaires. Contrairement à la France, en Suisse, on peut directement être condamné par l’équivalent du parquet sans passer par la case procès. Si la personne condamnée ne s’oppose pas à cette décision dans un délai de dix jours, alors celle-ci devient exécutoire. Et c’est là justement que le ministère public suisse s’est pris les pieds dans le tapis.
Le ministère public recherche le prévenu en Afrique du Sud…
En effet, par la voie de ses conseils en Suisse, Bachir Saleh a formé opposition à sa condamnation par le ministère public le 6 février 2024. Soit plus d’un mois après le délai légal. En théorie, son recours n’est donc pas valable. Mais – et c’est invraisemblable – le ministère public a échoué à localiser Bachir Saleh pour lui signifier sa condamnation ! Plus gênant, les services dudit ministère l’ont cherché en Afrique du Sud où il a effectivement résidé quelques années après la chute du colonel Kadhafi.
Or, après une tentative d’assassinat qui l’a laissé grièvement blessé, survenue en février 2018, juste après des interviews dans la presse française, Bachir Saleh a quitté Johannesburg pour s’établir aux Émirats arabes unis où il est mieux protégé. Des articles de presse que le ministère public suisse n’a visiblement pas vus en attestent sur internet… dès 2018…
Encore plus accablant, le ministère public, pourtant en contact avec les enquêteurs français de l’OCLCIFF, qui enquêtent alors d’arrache-pied sur le financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, ignore que Bachir Saleh a mandaté l’avocat français Eric Moutet pour le représenter en France. Les Suisses ne contacteront donc jamais Me. Moutet pour lui demander comment joindre son client…
Le tribunal tranche en faveur de Bachir Saleh
Face à ce raté, les avocats de Saleh en Suisse se sont fait un plaisir de revendiquer la validité du recours formulé par leur client contre sa condamnation en terre helvète. C’est que Bachir Saleh ignorait qu’il avait été condamné et ne pouvait donc guère formuler de recours… Et comme le prévoit le droit suisse dans ce cas de figure, c’est à un tribunal en bonne et due forme, en l’occurrence le tribunal pénal fédéral, de se prononcer sur la validité du recours. L’enjeu est de taille : la condamnation pourrait être gelée.
C’est ce point précis que le tribunal fédéral vient de trancher : «il résulte (…) que le MPC (ministère public de la Confédération) n’a pas entrepris toutes les recherches qui pouvaient être raisonnablement exigées pour déterminer le lieu de séjour du prévenu» ; «en définitive, il est constaté que Bashir Saleh Bashir a valablement formé opposition à l’ordonnance pénale rendue par le MPC le 12 décembre 2023» ; «La procédure (…) est suspendue et la cause renvoyée au ministère public de la Confédération». Autrement dit, le dossier est renvoyé aux calendes grecques…
source : https://reseauinternational.net/