Après le “oui” à la Constitution, quelle stratégie pour l’opposition égyptienne ?

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Mohammed ElBaradei prononce un discours, place Tahrir, le 30 novembre. | AFP

Le président égyptien Mohamed Morsi, issu des Frères musulmans, a réussi son pari. Malgré la mobilisation de l’opposition, plus unie que jamais contre le projet de Constitution controversé qu’il a soumis à l’approbation des Egyptiens lors d’un référendum en deux phases, les 15 et 22 décembre, le “oui” l’a emporté. Selon les résultats officialisés mardi 25 décembre par la commission électorale, le projet a été approuvé à 63,8 % des votes avec un taux de participation de seulement 32,9 % des près des 52 millions d’électeurs inscrits.

Cette victoire du “oui” ouvre la voie à de nouvelles élections législatives dans les deux mois à venir. Rendez-vous est pris pour l’opposition, qui s’est fédérée ces dernières semaines au sein du Front de salut national (FSN) mené par le Prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei. Celle-ci affirme ne pas avoir dit son dernier mot, tant dans sa demande d’invalidation du vote que dans sa mobilisationpolitique. Clément Steuer, chercheur en sciences politiques au Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales en Egypte et au laboratoire Triangle à Lyon, analyse la stratégie qui se dessine au sein de l’opposition égyptienne.

Le Monde.fr : comment analyser le peu de réactions de l’opposition, et notamment du Front national du salut, à l’annonce officielle de la victoire du “oui” au référendum constitutionnel ?

Clément Steuer : le président Morsi a joué avec succès le pourrissement et la légitimité des urnes pour faire passer son projet de Constitution. Cela fait déjà un mois que les gens manifestent, ça ne pouvait pas durer indéfiniment. Ce n’est toutefois pas totalement terminé pour l’opposition car il y aura encore des recours juridiques contre le processus constitutionnel, que ce soit sur la Constituante ou le référendum. Mais, ce serait étonnant, quoique pas exclu, qu’une institution judiciaire invalide le scrutin.

L’opposition semble avoir accepté cela et s’être résignée, même si l’on entend des déclarations contradictoires à l’issue du scrutin. Tous les moyens seront mis en œuvre mais l’opposition n’a pas intérêt à contester davantage le processus et àlaisser les Frères musulmans et les salafistes aller seuls aux élections législatives. Dans la nouvelle Constitution, comme dans celle de 1971, toute révision constitutionnelle requiert la majorité des deux tiers de l’Assemblée. L’objectif de l’opposition est désormais de constituer une minorité de blocage au sein du Parlement qui sera élu afin d’empêcher toute modification ultérieure de la Constitution par les Frères musulmans et les salafistes.

Contrairement à la dispersion qui avait prévalu lors des dernières élections, l’opposition pourrait-elle parvenir à se présenter en un front uni face aux partis islamistes lors des législatives à venir ?

Le Front national du salut a fédéré presque tous les partis non islamistes dans une opposition au processus constitutionnel. Cette unité va perdurer dans une certaine mesure et certainement donner lieu à l’établissement de listes communes aux élections législatives. Il n’y a pas de risque d’éclatement majeur de cette coalition dans les deux mois à venir. Le plus grand danger est la question de la répartition des sièges entre les différents partis, ainsi que les enjeux locaux.

Il va falloir que les partis tiennent compte, dans chaque circonscription, du poids de chacun des alliés et de leur répartition au niveau local. Ces enjeux sont nombreux et complexes. Les trois principales figures de l’opposition – Hamdeen Sabahi, Amr Moussa et Mohamed El Baradei – sont désormais à la tête de partis qui n’existaient pas lors des dernières législatives et il est difficile d’estimer leurs poids respectifs. Des négociations seront nécessaires pour attribuer les sièges et les circonscriptions. La coordination entre les différents partis devrait toutefois être plus grande que lors des dernières législatives et les risques d’une lutte entre personnalités moindres.

Tous ces partis ont désormais pour priorité la lutte contre la “frérisation” de l’Etat. Ils se rejoignent ainsi sur des thèmes comme la question de la citoyenneté, des droits des femmes et des minorités religieuses. La peur notamment d’une dissension entre chrétiens et musulmans est fédératrice, même au-delà du camp laïc, auprès notamment de l’islamiste Abdel Moneim Aboul Foutouh ou du parti Al-Wasat.

La menace posée à l’unité de la nation est le principal argument opposé aux islamistes depuis les années 70. L’autre thème fédérateur est la question sociale, même si des débats existent entre les partis libéraux, sociaux-démocrates et ouvriers. En dernier lieu, la préservation des acquis de la révolution et notamment la question de la place de l’armée et de la sécurité fédèrent les partis de l’opposition.

Une opposition ainsi unie aurait-elle des chances de séduire un large électorat ?

La population égyptienne est assez partagée. La défense de la citoyenneté et l’idée que les islamistes sont en train de remplacer l’ancien régime en usant du même style ont un certain écho au sein de la population, notamment au Caire et dans le Delta. L’opposition dispose également d’une réserve de voix non négligeable chez les professionnels du tourisme qui, bien qu’ayant voté en faveur de la Constitution pour le retour de la stabilité, pensent que les islamistes donnent une mauvaise image de l’Egypte. Cela devrait se traduire par des votes en faveur de l’opposition dans des gouvernorats comme Guizeh, Louxor, la mer Rouge et le Sud-Sinaï. Toutefois, au sein du reste de la population, l’importance de la question religieuse, le contrôle des mosquées et des réseaux caritatifs par les islamistes jouent en leur faveur.

L’opposition est apparue au cours des dernières semaines comme une force capable de s’imposer. L’attitude de l’opposition consistant à contester le référendum devant les tribunaux plutôt que dans la rue semble bien passer aux yeux des commentateurs égyptiens. Les partis de l’opposition ont en outre montré qu’ils étaient capables de se recycler dans le système politique, d’y avoir une place. Depuis les dernières élections, il y a eu une certaine recomposition des partis de gauche qui peut permettre de donner plus de visibilité à leur programme. Les islamistes ont remporté 70 % des sièges aux dernières législatives, le défi de l’opposition est de gagner 4 % de plus pour les empêcher d’obtenir la majorité qualifiée. Ce qui est possible car beaucoup de voix ont été perdues lors des dernières législatives du fait du manque de coordination et de la présence d’une multitude de partis et de candidats n’ayant aucune chance.

Propos recueillis par Hélène Sallon / Le Monde.fr | 26.12.2012 à 19h34

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