Après la mort de Kadhafi, le pays si divisé doit se réconcilier avec lui-même en construisant un État moderne. Une tâche titanesque.
Quel avenir pour la Libye ? © Chine Nouvelle / Sipa
Par Mireille Duteil
C’est maintenant que tout commence en Libye. Muammar Kadhafi est mort. La guerre est terminée. Samedi, le Conseil national de transition (CNT) va annoncer officiellement la libération totale de la Libye. Reste maintenant à reconstruire le pays, à le réconcilier avec lui-même, à faire de cette Libye si divisée une nation et à construire un État moderne. Une tâche titanesque.
La situation risque de ne pas être facile dans les prochaines semaines. Les Occidentaux, dont les Français, vont certainement déchanter, eux qui ont fait la guerre en espérant que la disparition de Muammar Kadhafi le dictateur allait déboucher sur un pays moderne, en route vers la démocratie, voire la laïcité. N’est-ce pas ce que laissaient entendre aux responsables français certains des membres du CNT lorsqu’ils venaient à Paris, au printemps dernier. Or, la Libye se trouve devant une multitude de problèmes.
Le plus important est son extrême fragmentation entre régions, tribus, libéraux, islamistes. Ces divisions se reflètent au sein du CNT et ont empêché, jusqu’alors, Mustapha Abdel Jalil, son président, de former un gouvernement. Il était convenu d’attendre la libération totale du pays et la capture de Kadhafi. Le CNT est désormais au pied du mur. Peut-il réussir à surmonter ses divisions ?
Trouver un consensus
Première chose : il va lui falloir trouver un consensus entre les partisans d’un État moderne et séculier à l’occidentale, tel Mahmoud Jibril, le Premier ministre, formé en Europe, et ceux qui demandent l’instauration d’un État religieux, voire d’un État islamiste. Les laïcs sont l’extrême minorité et n’auront pas gain de cause. Le concept de laïcité est étranger à la grande majorité des Libyens qui ne le comprennent pas comme la séparation du temporel et du spirituel, mais comme le refus de Dieu. En août, une ébauche de Constitution a précisé que "l’islam est la religion de l’État, et la charia islamique la source principale de la législation".
En septembre, Mustapha Abdel Jalil confirmait que "l’islam serait la source principale de la législation dans la Libye nouvelle". Le conservatisme religieux est la norme en Libye, et les Frères musulmans – un courant important – étaient sévèrement réprimés par Kadhafi. Le président du CNT doit en tenir compte, mais il sait aussi que ses amis occidentaux s’inquiètent et vont surveiller avec attention les institutions qui vont se mettre en place. En octobre, Mustapha Abdel Jalil précisait donc qu’il voulait former un parti avec une base religieuse, mais modéré sur le modèle de l’AKP turc. Une réunion était prévue à Tripoli entre des hommes politiques turcs de l’AKP et des Tunisiens du parti islamiste Ennahda.
Accommodement entre les régions
Mustapha Abdel Jalil devra aussi tenir compte des islamistes radicaux, tel Abdelhakim Belhadj, chef militaire autoproclamé de Tripoli, et ancien membre des Groupes islamiques combattants libyens (GISL) liés à Aqmi. Ses combattants, incontestablement les mieux entraînés du pays (certains sont allés en Afghanistan), ont largement participé à la prise de la capitale. Ils entendent peser sur les nouvelles institutions, même s’ils affirment ne pas vouloir bâtir un État islamiste. Leur présence a déjà suscité des contestations au sein de l’organisation militaire de la capitale. Le problème n’a pas été tranché.
Deuxième problème : le futur pouvoir libyen devra trouver un accommodement entre les régions : en fait les gens de Benghazi et de Cyrénaïque en général, à l’origine de la révolution, et ceux de Misrata, la ville martyre de Tripolitaine, qui réclame aujourd’hui sa part du gâteau. Les deux régions sont historiquement antagonistes. Parallèlement, le CNT devra aussi réunifier les tribus, dont une partie est restée fidèle aux Kadhafa, le clan auquel appartenait Kadhafi.
Troisième problème : le poids des Berbères. Leurs combattants, en particulier ceux du djebel Nefoussa, où la France a parachuté des armes, contestent la toute-puissance d’Abdelhakim Belhaj, le chef militaire de Tripoli, alors qu’ils estiment que ce sont eux qui sont entrés les premiers dans la capitale et ont permis sa chute en ouvrant un nouveau front à l’ouest. Ils sont en outre remontés contre les islamistes et la nouvelle Constitution qui affirme que l’arabe est la seule langue nationale.
Entre islamistes, berbéristes et modernistes, les prochaines semaines risquent d’être agitées pour le CNT et la Libye.
Le Point.fr – Publié le 21/10/2011