Le candidat du Rassemblement du Peuple de Guinée, (RPG) l’opposant historique, le professeur Alpha Condé, était, dans la matinée du vendredi 20 août 2010, en transit à Bamako, venant de Ouagadougou où il venait de passer cinq jours. Contacté par nos soins, Alpha Condé nous a accordé un entretien exclusif dans le salon d’honneur de l’Aéroport international de Bamako Sénou. Dans cet entretien, Alpha Condé a évoqué, entre autres sujets, son voyage à Ouagadougou, sa rencontre avec Moussa Dadis Camara, les dysfonctionnements du premier tour, les préparatifs du second tour, l’organisation de sa campagne, la Commission électorale indépendante (CENI).
L’Indépendant : Monsieur Alpha Condé, pouvez-vous expliquer les raisons de votre présence à Bamako ?
Alpha Condé : Je suis en transit. Je viens de Ouaga où j’ai passé cinq jours. J’étais parti voir le facilitateur, le président Blaise Compaoré. Je suis allé lui expliquer, ainsi qu’à d’autres personnalités, certaines situations relatives au processus électoral que nous vivons en Guinée.
Ensuite, nous sommes des musulmans, dans pareille situation, nous compatissons. Il a reçu un coup très dur avec la tentative de son assassinat, et aujourd’hui, il vient d’en recevoir un autre, extrêmement dur, avec la mort de son fils aîné qui n’avait que 24 ans.
La semaine prochaine, ce sera avec le parti d’Alpha Sinaba. Nous avons déjà 90 partis politiques guinéens qui nous soutiennent, avec en tête la plupart des candidats au premier tour.
C’est pourquoi nous avons appelé notre alliance "Arc en ciel" qui regroupe les différentes sensibilités (régionales, ethniques ou religieuses) du pays.
Une fois que nous avons le maximum de conditions réunies pour un vote transparent et crédible, je suis sûr de renverser la tendance. Je compte sur les partisans de Sidiya Touré qui savait très bien que sa base n’allait pas le suivre en choisissant le camp de Cellou Dalein Diallo.
Si vous allez aujourd’hui à Conakry, vous verrez que l’essentiel de sa base est de mon côté. Et de nos jours, que ça soit la Basse Guinée, la Haute Guinée, ou la forêt, les trois régions sont fortement mobilisées derrière moi. Parce que le camp d’en face a transformé l’élection en une question ethnique, ce qui a amené les autres à se regrouper contre eux.
En ce qui concerne le découpage électoral, ils ont envoyé des missions qui sont en train de prendre les mesures qui s’imposent.
Cependant, il semblerait qu’hier (NDLR : jeudi 19 Août), ses missionnaires ont indiqué, à la rencontre de l’Union Africaine et des Nations Unies, que sur 22 points, il y a 16 qui ne sont pas résolus. Donc, il reste beaucoup à faire. Cet état de fait a été même reconnu par la CENI.
Le président Compaoré, à son passage, avait demandé à la CENI de faire un chronogramme, pour qu’on puisse suivre la solution des différents dysfonctionnements avant le second tour.
Nous avons porté plainte contre lui auprès du tribunal en citation directe, parce que nous estimons qu’il est disqualifié pour avoir commis un véritable crime contre le peuple de Guinée. Son acte doit être puni.
Si l’on ne fait pas la rupture avec la gestion passée, le pays ne peut pas s’en sortir. Ce combat, je vais le mener avec des cadres compétents dont certains ont travaillé dans des conditions où ils étaient obligés de faire la politique du chef.
Moi je ne pose pas le problème en termes de peulh ou pas. J’estime tout simplement que Cellou n’est pas le candidat des peulh, il est le candidat d’une mafia qui a mis ce pays en coupe réglée.
Ils veulent mettre la main sur l’appareil d’Etat, pour pouvoir installer un véritable Etat de mafiosi. Je pense que beaucoup de cadres peulh, patriotes ne souhaitent pas que cette mafia mette la main sur la Guinée. Déjà, nous savons qu’ils sont responsables de trafic de drogue, de faux billets, etc. Ils ont mis l’économie à terre.
Pour tout dire, ce sont des mafiosi qui sont derrière le candidat de l’UFDG. Ils estiment, à tort, que c’est le tour des Peulhs de diriger la Guinée. Mon Dieu, une élection ce n’est pas une question ethnique. Sans quoi le pays serait difficile à gérer.
Vous avez confiance en vos capacités ?
Je ne crois pas que j’allais faire la politique pendant tant d’années, si je n’avais pas confiance en mes capacités.
Quel commentaire faites-vous du balai diplomatique des chefs d’Etats africains en Guinée ?
D’abord, je pense qu’avant l’arrivée du médiateur cela se justifiait. Mais après le passage de celui-ci, je pense que ce n’était plus nécessaire. Mais, chacun s’inquiète un peu, étant donné que nos pays voisins sont fragiles.
Vous avez vu ce qui s’est passé en Sierra Leone, au Libéria, ce qui se passe en Guinée Bissau et au Sénégal avec la Casamance.
Ainsi, il est normal que les pays voisins s’intéressent à la Guinée parce que, quand la case de votre voisin brûle, il y a des chances que le feu atteigne votre case. Je comprends bien qu’ils viennent s’enquérir de la situation.
Nous essayerons de faire en sorte que nous puissions faire correctement notre campagne. Avec l’aide de Dieu, je gagnerais au second tour, si le vote populaire est pris en compte.
Je souhaite que les Guinéens se donnent la main. Vous savez, il s’est passé beaucoup de choses. Je souhaite réellement que les Guinéens tournent la page et pour cela, j’ai voulu montrer que nous devons nous pardonner. Moi, j’ai été condamné par contumace par le président Sékou Touré, j’ai été mis en prison par le président Conté.
En allant leur rendre hommage, et allant faire des lectures de Coran pour qu’ils reposent en paix, je donne moi-même l’exemple. Je vais le faire pour Cherfoulaye Diallo et Lassana Beyavogui. Cherfoulaye Diallo l’ancien président de l’Assemblée nationale et Lassana Beyavogui, l’ancien Premier ministre. C’est pour que réellement les Guinéens se pardonnent, et qu’on pense à nos enfants et nos petits enfants, parce que ce n’est pas quelqu’un qui viendra de Chine, de France ou des Etats-Unis pour développer la Guinée. C’est à nous Guinéens de le faire et nous ne pouvons pas le faire si nous ne sommes pas unis. C’est pourquoi, je souhaite réellement que les Guinéens tournent la page du passé et que nous nous préoccupions tous de l’avenir de notre pays, de nos enfants et de nos petits enfants.
Moi, je ne vends jamais la peau de l’ours avant de l’abattre. Une élection n’est jamais gagnée à l’avance, ou perdue à l’avance. Pour le moment, battons-nous pour gagner. Chaque chose à son temps.
La Guinée a des très bons cadres, qui réellement connaissent très bien la Guinée, qui n’ont pas eu la chance d’être associés à la gestion qui, du reste, a été jusque-là catastrophique. Je compte sur des cadres compétents pour exploiter au mieux la richesse guinéenne. Vous savez, on parle surtout du scandale géologique en Guinée
Avez-vous un message pour les Guinéens ?
Je souhaite réellement que l’élection se passe dans la transparence, afin que le vote populaire, pour une fois, soit pris en compte. Et que réellement la Guinée ait un président voulu par le peuple de Guinée. Cela permettra à la Guinée de démarrer et si la Guinée démarre, ce sera un coup de fouet pour toute l’Afrique de l’ouest.
Propos recueillis par Alassane DIARRA et Kassim TRAORE