Contre toute attente, Jacob Zuma limoge son ministre des Finances, Pravin Gordhan. Quel impact cette affaire va-t-elle avoir sur la présidence Zuma ?
Entre les deux hommes, la rivalité faisait rage. Jacob Zuma, président de l’Afrique du Sud englué dans des affaires de corruption, a finalement limogé son très respecté ministre des Finances Pravin Gordhan. Un remaniement de grand ampleur a été annoncé ce jeudi 30 mars.
Ce n’est pas vraiment une surprise en Afrique du Sud. Le très controversé, mais néanmoins respecté par les investisseurs, ministre des Finances Pravin Gordhan a été démis de ses fonctions ce 30 mars. Après plusieurs jours d’atermoiement sur fond de forte chute du rand, le président sud-africain Jacob Zuma a tranché. Et ce malgré le refus exprimé par ses alliés et les risques de rupture au sein du Congrès national africain (ANC) au pouvoir. Le nouveau gouvernement voit la nomination de dix ministres et de dix vice-ministres. Et sans surprise, le chef de l’État a attribué le portefeuille du Trésor à l’un de ses fidèles, le ministre de l’Intérieur Malusi Gigaba.
La première réaction est venue des marchés, avec la baisse du taux de change du rand avec le dollar de l’ordre de 12,8 à 13,5, principalement en raison de l’inquiétude d’un possible contrôle de Jacob Zuma, sur les finances publiques, alors qu’il a déjà été inculpé dans le passé.
L’ANC tente de faire bloc
Le vent a tourné pour Pravin Gordhan, le 27 mars dernier, quand le chef de l’État a brusquement interrompu une tournée de promotion auprès des investisseurs de son ministre au Royaume-Uni en lui ordonnant de rentrer toutes affaires cessantes en Afrique du Sud.Une décision qui ne fait pas l’unanimité au sein de l’ANC, la famille politique qui dirige le pays. Selon la presse sud-africaine, une partie du haut état-major de l’ANC, dont le vice-président Cyril Ramaphosa et le secrétaire général Gwede Mantashe, s’y sont fermement opposés. L’un des principaux partenaires de l’ANC dans la coalition au pouvoir, le Parti communiste sud-africain (SACP), a lui aussi tenté de faire obstacle au départ du ministre. En vain. “Nous lui avons fait part de notre objection à un tel remaniement”, a déclaré jeudi devant la presse un chef du SACP, Solly Mapaila.L’affrontement entre les deux homme s’est encore accentué mercredi 29 mars lors des obsèques de l’ancien compagnon de route de Nelson Mandela, Ahmed Kathrada . Il ne cachait pas son hostilité au président Zuma. Suite à la demande de la famille du défunt, ce dernier n’a pas pu assister aux obsèque et Pravin Gordhan y a été ovationné.
La bataille engagée autour du sort de Gordhan a illustré les profondes fractures politiques qui déchirent l’ANC, au pouvoir depuis l’élection de Nelson Mandela en 1994. Le parti est écartelé entre les partisans de Jacob Zuma, qui a réaffirmé sa volonté de procéder à une “transformation radicale” de l’économie en faveur de la majorité noire, et une aile plus modérée incarnée par M. Gordhan et M. Ramaphosa.
Quid de la mission du nouveau gouvernement ?
Quant à Jacob Zuma, il a justifié cette décision par une nouvelle feuille de route pour son gouvernement dont l’objevctif sera de “mettre en œuvre une transformation socio-économique radicale afin de faire du rêve d’une meilleure vie pour les pauvres et les classes populaires une réalité”. Pour ses opposants, cet argumentaire n’est pas valable. Ils voient dans chaque décision du président sud-africain une volonté d’imposer son ancienne épouse à la présidence de l’ANC en décembre prochain, dans la perspective des élections générales de 2019.
Face à elle, il y aurait Cyril Ramaphosa, l’actuel vice-président. “Les adversaires de Zuma vont probablement utiliser le départ de Gordhan pour lancer une attaque contre le président et essayer de reprendre le contrôle de l’ANC”, a pronostiqué dans une note le centre d’analyses Eurasia Group. “Il ont peu de chances de réussir”, a toutefois relevé Eurasia, “à long terme, l’ANC va avoir des difficultés à se remettre de cette période d’intense instabilité”.
L’économie sud-africaine plonge
En attendant, c’est l’économie qui trinque. Les marchés et les investisseurs redoutent le départ de Pravin Gordhan, qui s’est jusque-là efforcé de tenir les cordons d’une économie sud-africaine au ralenti et endettée. Depuis lundi, le rand sud-africain a reculé par rapport au dollar américain et à l’euro.
Jeudi, le principal parti d’opposition, l’Alliance démocratique (DA), a annoncé le dépôt au Parlement d’une nouvelle motion de défiance contre Jacob Zuma, accusé de menacer l’économie du pays en renvoyant Pravin Gordhan. “Le président a encore montré qu’il ne se préoccupait pas de l’avenir de notre cher pays”, a déploré son chef Mmusi Maimane jeudi soir après l’annonce du remaniement.
Fin 2016, les trois grandes agences de notation financière ont accordé un sursis à l’Afrique du Sud en ne la dégradant pas dans la catégorie des investissements spéculatifs. Mais elles ont menacé de le faire en cas de persistance de l’agitation politique.
Les Combattants de la liberté économique (EFF, gauche radicale) ont de leur côté déposé jeudi à la Cour constitutionnelle une requête en destitution contre le chef de l’État pour corruption. “Les nuages s’accumulent au-dessus de sa tête, ses jours sont comptés”, a lancé le chef des EFF Julius Malema.