Afrique : le scandaleux commerce des carburants toxiques

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Un employé fait le plein pour une voiture dans une station-service de Lagos, au Nigeria. © AFP PHOTO / PIUS UTOMI EKPEI

Alors que la limite de soufre admise en Europe est de 10 ppm (parties par million), elle dépasse largement 1 500 ppm dans certains pays africains.

C’est un reportage qui nous conduit dans les stations-service de huit pays du continent africain : Angola, Bénin, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Ghana, Mali, Sénégal et Zambie. À chaque arrêt, l’enquêteur sort une petite bouteille pour prélever à la pompe des échantillons de diesel et d’essence, puis note consciencieusement l’adresse de la station visitée, prend une photo, retient la date et l’heure de son passage. Le constat est toujours le même : les carburants livrés sont dangereux pour la santé. Parmi les substances les plus nocives, du soufre, des composés aromatiques, du benzène, classé cancérigène, et même certains métaux comme le manganèse, un métal neurotoxique. Au Mali, la société suisse Oryx « a remporté, parmi nos 47 échantillons, la palme avec son diesel comportant une teneur de 3 780 ppm ! Autrement dit, 378 fois plus que la limite autorisée à Malte », écrit l’ONG helvétique Public Eye dans une grande enquête intitulée « Dirty diesel », qui a réclamé plusieurs années de travail.

Augmentation des cancers des poumons

Comment expliquer que le continent africain, qui produit du pétrole souvent d’excellente qualité, ne propose aux Africains que de l’essence toxique ? Un carburant responsable de l’augmentation vertigineuse du nombre de personnes souffrant d’asthme, de maladies respiratoires chroniques, de cancer des poumons et de maladies cardiaques. C’est simple : les pays africains vendent la quasi-totalité de leur or noir vers l’Europe et les États-Unis pour acquérir des devises. Ils sont ainsi contraints d’importer la quasi-totalité de l’essence et du diesel ! Le Nigeria, par exemple, n’a raffiné que 3 % de sa production en 2014. Quant aux onze raffineries d’Afrique de l’Ouest, elles sont pour la plupart obsolètes. Mais comme ces pays africains, dans leurs législations, se contentent de normes particulièrement laxistes, notamment en ce qui concerne la teneur en soufre, des multinationales, souvent installées en Suisse, leur fourguent des carburants sales, mélangés à d’autres produits chimiques, comme le naphta de cokéfaction, invendables ailleurs ! Une seule livraison, dans des navires en fin de vie, peut générer un bénéfice de 7 millions de dollars. Entre eux, les pétroliers ne se gênent pas pour parler de « qualité africaine ».

Des déchets de l’industrie chimique

Bref, l’Afrique se ruine pour acheter de l’essence dangereuse pour la santé. Public Eye constate que le Ghana, pourtant riche en pétrole brut, engloutit 10 % de son PIB pour se fournir en essence et en diesel. Non seulement le nombre de voitures dans le pays a plus que triplé entre 2005 et 2012, mais le carburant raffiné est indispensable pour faire tourner les générateurs de courant « qui pallient les défaillances structurelles de la compagnie nationale d’électricité ». Ces négociants européens ne se contentent pas de transporter et de vendre des carburants pollués, ils les fabriquent eux-mêmes. En effet, l’essence et le diesel sont le résultat d’un mélange de différents composants, appelés produits pétroliers intermédiaires (blendstocks). Si la clientèle est peu regardante, le négociant ne va pas utiliser les meilleurs ingrédients, il lui arrive même d’intégrer des déchets de l’industrie chimique. « Comme les gouvernements de nombreux pays africains tolèrent des carburants dont la teneur en soufre est de plusieurs centaines de fois supérieure à la limite admise en Europe, les négociants cuisinent spécialement pour eux », souligne cette enquête passionnante, mais qui donne froid dans le dos. C’est comme si un cuisinier dans un hôpital donnait des produits avariés à des malades trop faibles pour protester.

Un chiffre d’affaires de 168 milliards de dollars

L’ONG suisse Public Eye s’est principalement intéressée aux géants du négoce, dont le siège social est en Suisse, comme Vitol, Trafigura, Glencore ou Gunvor. Certains d’entre eux ont investi leurs immenses bénéfices dans des réseaux de stations-service en Afrique en utilisant d’autres noms. Trafigura opère sous la marque Puma Energy, présente dans 19 pays. Vitol porte le nom de Shell, après avoir racheté 40 % des parts du réseau de distribution du pétrolier anglo-néerlandais. Ce géant distribue ses produits frelatés dans 16 pays. Au total, Trafigura et Vitol possèdent 2 000 stations-service en Afrique. À titre de curiosité, Vitol a réalisé en 2015 un chiffre d’affaires de 168 milliards de dollars. Quel pays du continent peut lutter contre un tel monstre ?

Publié le 29/09/2016 à 12:25 | Le Point Afrique

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