Afrique-France: à la vie, à la mort

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Le 19 janvier, près de Bamako, un premier contingent de soldats nigérians de la Misma (Mission internationale de soutien au Mali) foule le sol malien.
Reuters

Le passé colonial, les enjeux de demain: Paris ne rompra jamais les amarres avec le continent noir, mais peut oeuvrer autrement à son essor et à sa sécurité. 

Il fut un temps, pas si lointain, où les stratèges du dispositif militaire français en Afrique rêvaient de “partir pour mieux rester”. En clair, d’orchestrer un repli en bon ordre, budgétairement inéluctable et symboliquement nécessaire, assorti de la transmission du témoin sécuritaire aux armées du continent, dûment formées. A la lumière des crises en cours – centrafricaine hier, malienne aujourd’hui -, il s’agit plutôt de rester pour ne pas devoir revenir…

“Vaut-il mieux garder 600 hommes à Bangui, feint de s’interroger un haut gradé familier des convulsions subsahariennes, ou en dépêcher le double demain pour voler au secours de compatriotes menacés?” De même, insiste cet officier, dès lors qu’il urge d’enrayer en quelques heures la percée de colonnes djihadistes vers Mopti et Bamako, “on s’aperçoit que le maintien d’unités prépositionnées a du bon”. Allusion aux bases de Libreville (Gabon) et de Djibouti ; mais aussi aux sites de Dakar (Sénégal), de N’Djamena (Tchad) ou de Ouagadougou (Burkina Faso), quartier général des forces spéciales. “Le principe de réalité, entend-on chez les vétérans des aventures africaines, finit par prévaloir. Même s’il le voulait, François Hollande ne pourrait se délester d’un enjeu qui colle au doigt comme un sparadrap.” Et de louer le “pragmatisme remarquable” du tombeur de Nicolas Sarkozy, tout en flétrissant le mélange de dogmatisme et de naïveté imputé à son entourage.

Les idées reçues du “gendarme de l’Afrique” et de l'”affreux”

Si la riposte déclenchée par l’assaut des phalanges djihadistes surKonna a bouleversé la donne, elle trouble aussi le logiciel des procureurs d’une “Françafrique” en partie fantasmée, prompts à ne voir dans tout engagement hexagonal que le énième avatar d’un coupable archaïsme. Lecture tentante sur les bords de la Seine, mais un rien datée pour les civils de Gao, de Kidal ou de Tombouctou, pieux musulmans réfractaires au totalitarisme islamiste. Dans le genre, la mise en garde de Valéry Giscard d’Estaing, le “cher parent” de l’empereur Bokassa Ier, contre le péril néocolonialiste vaut son pesant de pierres précieuses.

Dans mon pays, en cas de conflit, tout le monde réclame la France, chante l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly.

Environ 30 000 soldats français stationnés sur l’échiquier africain à l’heure des indépendances, 5000 à ce jour, à peine plus de 4000 l’an prochain: le déclin des effectifs paraît irréversible. Mais l’essentiel est moins de savoir combien d’hommes servent au sud du Sahara que ce qu’on y fait, avec qui et pourquoi. Au chamboule-tout des idées reçues, le faciès du “gendarme de l’Afrique” figure tout à côté de celui de l'”affreux”, mercenaire sans foi ni loi. Suspicion légitime? Soit. Trop souvent, dans le passé, les militaires ont endossé – sur ordre de l’exécutif – l’uniforme peu flatteur de gardes-chiourmes de régimes illégitimes, impopulaires ou prébendiers. “Ça me fait honte, chante l’Ivoirien Tiken Jah Fakoly, figure de proue du reggae africain. Dans mon pays, en cas de conflit, tout le monde réclame la France.” De fait, il arrive que des pouvoirs faibles tirent par la manche le gendarme malgré lui. Faut-il pour autant nier que l’harmattan, vent du désert, a tourné? Et que, confronté à l’éclosion de nouveaux périls transnationaux, le bras armé de l’ancienne puissance coloniale peut jouer un rôle de garant de l’ordre juste, en partenariat avec des Etats authentiquement souverains et sous le regard vigilant des sociétés civiles locales?

Une réplique géostratégique inédite

Essor du djihad global en version afro, narcotrafic, piraterie maritime, sécurité aéroportuaire: les menaces défient les frontières et dictent l’invention d’une réplique géostratégique inédite, dont la boussole pointe obstinément vers le Grand Sud. Pas d’angélisme pour autant. En Afrique comme ailleurs, la France défend et promeut avant tout ses intérêts. Elle a les deux pieds dans les sables du Mali, mais garde un oeil sur le Niger voisin et son uranium, atout vital dans l’arène énergétique.

Pour danser le tango, il faut être deux. Et pour enraciner in situ la lutte – aléatoire – contre l’hydre terroriste, bien davantage. Voilà pourquoi Paris s’échine à mobiliser le concours logistique d’alliés occidentaux pusillanimes, et à hâter le déploiement de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma), force panafricaine censée encadrer les vestiges d’une armée de Bamako en lambeaux. On annonce l’arrivée “sur zone”, dès la fin de cette semaine, de 2000 des 5800 soldats attendus. Aux avant-postes, les Tchadiens, rompus aux traquenards du désert, et les Nigérians, appuyés par les contingents de sept pays de la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) à hauteur d’un bataillon chacun, soit de 500 à 600 hommes: Niger, Burkina Faso, Sénégal, Bénin, Togo, Guinée et Ghana. “Les Africains doivent prendre le relais”, insiste le patron du Quai d’Orsay,Laurent Fabius. Son objurgation reflète l’irritation que suscitent les louvoiements de diverses capitales et l’inquiétude qu’inspire l’hypothèque financière. Qui paiera? Les paris sont ouverts. Rendez-vous à Addis-Abeba (Ethiopie), siège de l’Union africaine et théâtre, le 29 janvier, d’une conférence des donateurs.

 

Au Sahel, le nerf de la guerre a connu des fortunes diverses. Américains et Européens – dans une moindre mesure, il est vrai – ont englouti dans la formation de l’armée malienne des sommes colossales. Parfois en pure perte. Dans une enquête récente, leNew York Times révèle que Washington aura ainsi investi en quatre ans l’équivalent de 400 millions d’euros dans un ambitieux programme de “contre-terrorisme”. Las! plusieurs fleurons de l’élite militaire locale, Touareg en tête, on fait défection et rallié la galaxie des porte-flingue de la charia avec armes, bagage technique et précieuse expertise.

Penser la guerre et l’après-guerre

Impérieuse politiquement, l'”africanisation” de l’opération Serval risque de mettre en évidence d’autres travers récurrents au royaume de la coopération militaire. “Tant qu’on verra tel pilote d’hélico talentueux, entraîné par nos soins, nommé dans un régiment d’infanterie parce qu’il n’est pas de l’ethnie du président, soupire un expert français, il sera impossible d’avancer. En Côte d’Ivoire, des officiers sont payés à ne rien faire tant on se méfie d’eux ; même si ça bouge dans le bon sens.” Là encore, nulle fatalité. Imaginée dès 2003, la Force africaine en attente se fait toujours… attendre? “Il n’empêche, nuance un initié galonné. Le travail d’intégration sécuritaire avance. Qui aurait imaginé, voilà dix ans, 1000 types venus de quatre pays s’interposer, comme ce fut le cas au nord de Bangui, entre une rébellion et un pouvoir aux abois? A nous d’arrimer notre présence militaire aux brigades sous-régionales prévues, en adaptant les pôles de Dakar, de Libreville et de Djibouti, tout comme celui de la Réunion, tourné vers l’Afrique australe. Puisqu’il faut être moins visibles, soyons plus cohérents.” Autre indice de changement: les partenaires de la France mesureraient mieux l’impact des facteurs de chaos. “Aujourd’hui, insiste un officier, des pays tels que le Bénin, le Togo et la Guinée, exposés aux assauts de pirates, prennent l’initiative d’acheter des patrouilleurs ou de bâtir avec notre concours un réseau de sémaphores de surveillance.”

Prise dans la tourmente sahélienne, l’Afrique a, plus que tout, besoin de visionnaires aptes à penser la guerre et l’après-guerre ; donc le développement. Voilà sans doute pourquoi l’état-major français a choisi pour emblème ce petit félin du désert: un serval, des cerveaux.

 

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2 COMMENTAIRES

  1. Les grandes puissances , en tête la France , doivent dorénavant prendre en charge la formation des soldats africains . Les soldats doivent être bien équipés pour faire face aux terroristes d’où qu’ils viennent . Aussi, il est très important de mettre en place une force africaine en attente digne de ce nom . Cette force devrait pouvoir se déployer en tout temps et en tout lieu dès que le besoin se fera sentir . Pour l’Afrique aura besoin des visionnaires , des hommes et des femmes compétents soucieux du bien-être des des populations africaines .
    Et oui “un serval , des cerveaux.”

    • 😉 JAMAIS PERSONNE, PERONNE NE FERA QUOI QUE CE SOIT DE BON AUX AFRICAINS A LEUR PLACE,JAMAIS…CE MONDE EST UN MONDE DE PROFIT

      …a qui profiteraient des armees, faibles,sous equipees,de clownade? …avant les terroristes il ya eu des rebellions armees par qui?…A noter que les rebellions en afrique francophones ont toujours ete plus armees que les etats et ont toujours ete instrumentalisees pour faire des changements de regimes , aux profits de qui…?…
      Donnez vous des reponses!

      😆 LES AFRICAINS DOIVENT COMMENCER A SE RESPECTER, PERSONNE NE LE FERA A LEUR PLACE ❗

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