L’Amérique du Nord, à l’évidence, a un problème avec le sexe qui vient de son héritage protestant mais elle veut en plus donner des leçons au monde entier. La qualifier de puritaine ne suffit pas car c’est un puritanisme retors, d’après la révolution des mœurs, qui parle le langage de la liberté amoureuse et coexiste avec une industrie pornographique florissante
Il y a quelques années, nous étions en vacances familiales sur une plage de
L’Amérique du Nord, à l’évidence, a un problème avec le sexe qui vient de son héritage protestant mais elle veut en plus donner des leçons au monde entier. La qualifier de puritaine ne suffit pas car c’est un puritanisme retors, d’après la révolution des mœurs, qui parle le langage de la liberté amoureuse et coexiste avec une industrie pornographique florissante. C’est très exactement un puritanisme lubrique : à quoi ont servi les affaires Clinton ou DSK ? A condamner l’érotisme pour mieux en parler, à se pourlécher des semaines, des mois durant de détails croquignoles, à évoquer la fellation, la semence, les organes génitaux avec une gourmandise faussement indignée. La jubilation obscène avec laquelle Kenneth Thompson a évoqué le vagin ‘’agressé’’ de sa cliente Nafissatou Diallo est révélatrice à cet égard. Dira-t-on que dans le cas de Bill Clinton, c’est le mensonge qu’on a sanctionné plus que la passade avec la stagiaire de
Il semble que l’establishment médiatique d’Outre-Atlantique, si prompt à condamner
Punir
Il s’est passé en effet aux Etats-Unis un phénomène singulier qui n’a pas touché l’Europe : l’alliance du féminisme et de la droite républicaine, ultra conservatrice. Ces deux forces se sont unies, au nom d’intérêts différents, pour refermer le couvercle ouvert par les années 60-70. Voilà pourquoi tant d’intellectuelles féministes, telle une Joan Scott spécialisée dans le frenchbashing, sont devenues de purs et simples propagandistes du département d’Etat, chargées de promouvoir urbi et orbi l’American way of life. Cela explique l’ambiance de maccarthysme moral qui touche là-bas les choses de l’amour et dont les Américains les plus lucides s’alarment depuis longtemps. Dès le début des années 90, pour tout professeur étranger venant enseigner à l’Université, de strictes consignes furent édictées : ne jamais recevoir une étudiante dans une pièce fermée à moins d’enregistrer la conversation, ne pas prendre l’ascenseur seul avec l’une d’elles et bien entendu ne pas entretenir une relation avec une femme de la faculté, même majeure et consentante, sous peine de renvoi immédiat. Les relations de travail dans les bureaux sont elles-mêmes assujetties à un certain nombre de règles : éviter les tenues trop seyantes, les conversations équivoques, les propos déplacés, s’engager à ne pas nouer de relations intimes entre collègues à moins de les conclure par un mariage. On se souvient peut-être de cette université de l’Ohio qui avait tenté au début des années 90, appuyée par la principale organisation féministe de l’époque, de promulguer une charte réglementant l’acte intime entre étudiants : ceux-ci devaient en prévoir par écrit toutes les étapes jusqu’au moindre détail, toucher ou non les seins… Heureusement, cette charte ne fut pas retenue. Cette codification folle est le lot d’une société paniquée, dépourvue de toute culture amoureuse et qui veut imposer une police du désir à tous.
De quoi s’agit-il en l’occurrence ? De redoubler la condamnation des plaisirs par la criminalisation de l’acte hétérosexuel : tout homme est un violeur en puissance, toute femme une victime potentielle. Le compliment est la première étape du harcèlement, la drague un viol anticipé, la galanterie un euphémisme pour dissimuler la volonté de prédation. La chair est corruptrice, le désir dangereux. Même si DSK était acquitté, il resterait coupable : sa faute se déduit de son statut. Mâle blanc, riche et européen, c’est-à-dire décadent, il ne peut être autre chose qu’un agresseur compulsif. Il n’y a pas que les hommes politiques aux Etats-Unis à être poursuivis par l’indiscrétion médiatique (les deux dernières victimes de cette chasse sont l’élu démocrate Anthony Weiner coupable d’avoir envoyé des photos de ses appâts virils via Twitter à des dames rencontrées en ligne et Arnold Schwarzenegger, père d’un enfant illégitime obtenu avec sa bonne). N’importe quel Américain peut tomber à un moment ou à un autre sous les fourches caudines de cette inquisition démocratique. A la réprobation compréhensive de l’adultère en France répond sa condamnation outre-Atlantique : c’est plus qu’un faux pas, une faute qui mérite sanction judiciaire et rééducation psychiatrique. Certains groupes de soutien aux femmes ou aux hommes trompés comparent le traumatisme ressenti lors d’une incartade à celui des attentats du 11 Septembre. La trahison conjugale est du même ordre qu’une trahison nationale, c’est une violation du pacte qui lie ensemble tous les citoyens. Il existe sur la côte est une émission quotidienne du matin qui relate des cas d’infidélité conjugale, mêlant anathème public pour les coureurs et humiliation pour les maris trompés à qui l’on brandit, par exemple, des tests ADN prouvant que leur enfant n’est pas d’eux.
Entendons-nous : de part et d’autre de l’Atlantique le viol est un crime, le harcèlement un délit et c’est un progrès objectif. De part et d’autre, les tensions entre hommes et femmes, consécutives à l’émancipation, demeurent et s’exacerbent parfois. Mais tandis qu’aux Etats-Unis, cette coexistence semble toujours au bord de la guerre, sous l’œil vigilant des avocats prêts à faire les proches des époux désunis, l’Europe latine semble mieux protégée de ce fléau par une culture ancienne de la conservation et une tolérance aux faiblesses humaines. Le pari de
L’effet désastreux du cas Strauss-Kahn, s’il est confirmé que la plaignante n’a pas dit la vérité, c’est qu’il va disqualifier les vraies victimes qu’on soupçonnera de mensonges et de vénalité. Ni les médias, ni la justice ne sort grandis de cette histoire, même si le procureur Cyrus Vance a eu l’honnêteté, dès juillet, de reconnaître la minceur du dossier.
Touristes français qui partez outre-Atlantique, soyez prudents ; si jamais vous prenait l’envie de batifoler avec un ou une autochtone, munissez-vous d’une décharge officielle : que votre partenaire, mâle ou femelle, reconnaisse par écrit qu’il vous autorise à jouir de son corps. Nous avons beaucoup de choses à apprendre de nos amis américains mais certainement pas l’art d’aimer.
Source:lemonde.fr