Soldé de tout compte. Voilà le qualificatif que nous donnions de la rencontre Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo du 27 juillet dernier. Voilà deux ennemis intimes qui sont d’excellents animaux politiques qui viennent de jouer la plus parfaite comédie de retrouvailles qu’ils ont tous les deux qualifiées de “cordiales, fraternelles et amicales”. Ils ont été parfaits dans leur rôle. Chaque camp des militants est soulagé et commence à rêver, à espérer que l’animal de brousse, comme Gbagbo s’est qualifié lui-même, tout en qualifiant Ouattara d’animal de ville, ont fait un match nul et compte rejouer le match, cette fois-ci de manière civilisée. Voilà le déroulé du match.
Phase 1 : Houphouët meurt en laissant un héritier constitutionnel et un Premier ministre au fait de sa gloire car il a pu redresser et assainir les comptes de la nation. Il veut continuer l’œuvre mais en tant que Président, vu la vacance du fauteuil. On demande l’arbitrage de Gbagbo qui a reçu, dans le passé, des moyens financiers de Henry Konan Bédié, pour qu’il secoue le Vieux Houphouët malade, afin qu’il lui cède le fauteuil, ce dernier dit appliquer la Constitution. Sa motivation est sa rancune envers le PM Ouattara, qui l’a emprisonné pour troubles et casses en poussant ses militants (enseignants, étudiants, loubards d’Abidjan) dans les rues. Il connaît le prestige que l’unique PM du Vieux vient d’acquérir auprès d’une partie de l’opinion publique avec son style flamboyant d’Américain qui a séduit les jeunes cadres ivoiriens en reléguant Gbagbo de sauvageon avec un discours simpliste qui ne reflète pas son titre de professeur d’université.
Il a fréquenté longtemps les geôles pour élever le niveau des débats. Cela se ressent encore dans ses déclarations récentes. On se pose toujours la question d’où il tire son charisme sur ses partisans minoritaires mais remuant dans les rues et sur les réseaux sociaux. Malgré l’appui de Philippe Yacé, Bédié fait une rentrée fracassante dans le studio de la RTI, pour annoncer qu’il est le nouveau président selon la Constitution et que les Ivoiriens doivent se mettre à sa disposition, un peu saoul par le bandji, sa boisson préférée, pour avoir du cran. Il va achever le mandat du Vieux et organisé les élections de 1995 qu’il veut remporter par tous les moyens, en empêchant Ouattara d’y participer, mettant en avant le concept d’ivoirité qui va faire tant de mal à la Côte d’Ivoire post Boigny.
Ce concept dénie aux Dioula et autres populations du Nord leur statut d’Ivoiriens de souche. Ouattara et Gbagbo s’allient dans un front républicain pour boycotter le scrutin. Remarquez que Gbagbo n’a pas épousé, en ce moment (1995), cette thèse d’ivoirité.
Phase 2 : C’est à partir de cette date que Ouattara va nouer un partenariat avec l’ambitieux Gbagbo qui est fier de se hisser au niveau d’un tel personnage dont le carnet d’adresse est riche. Alassane Ouattara est appelé à la direction du FMI par Michel Candessus comme d député dans son fief de Gagnoa, va continuer à s’affirmer dans le bas fond d’Abidjan, auprès du peuple exclut du miracle ivoirien, dont il deviendra le leader. Il cultive et entretient sa popularité auprès des universitaires et des étudiants dont c’est sa base principale depuis son début, en politique. Il va lier amitié avec ses camarades français et africains de l’International socialiste. Il va fréquenter Blaise Compaoré, Alpha Oumar Konaré et IBK.
Bédié va poursuivre son nouveau mandat en prenant un chemin différent de celui tracé par le Vieux. Il abandonne Yamoussoukro, la capitale politique au profit de son village Daoukrhou qu’il veut hisser à son niveau. Il va s’adonner sans limites à ses plaisirs favoris qu’il a hérités de son séjour au Ministère de l’économie et des finances, à savoir les détournements des fonds publics. Il a fêté ses 7 milliards avant ses 30 ans en 1965. Ses cigares venaient de Cuba. Il va toucher les fonds de l’OMS qui va ternir son image auprès de la Francafrique qui sera très déçue de sa façon de gouverner après le passage d’Alassane Ouattara. Il n’a pas de vision comme le Vieux jusqu’au point que les gens se posent la question de savoir ce qui a motivé son choix sur cette personne terne, sans envergure.
Phase 3 : Un coup d’Etat stupide de sous officiers va le renverser sans que la France ne fasse jouer la clause secrète conclue avec le Vieux .Il ne doit son salut qu’en empruntant le tunnel secret qui relit son Palais à l’ambassade de France qui va l’ex filtrer vers Lomé. Le Général Guei qui avait longtemps rêvé du fauteuil présidentiel que ses collègues occupent dans les pays voisins, car c’était le soleil du coup d’Etat en Françafrique sauf au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Gabon où la France a maintenu ses bases militaires pour veiller sur ses intérêts et ses ressortissants. La France bouscule Robert Guei d’organiser les élections où il prendra part avec son statut de civil en tant que Général à la retraite.
Gbagbo va faire la preuve de son opportunisme et de fin tacticien en usant de son flair de politicien roué, en travaillant au corps le militaire naïf afin d’adopter une nouvelle constitution pour écarter les deux poids lourds du Pdci (dont Guei n’a pas obtenu l’investiture à la grande joie de Gbagbo) et du RDR en spécifiant dans la constitution une phrase visant l’élimination d’Alassane Ouattara qui “s’est prévalu d’une autre nationalité “. Il a fait croire à son grand frère de l’Ouest qu’il se contenterait d’un poste de Premier ministre. Il va mériter son nom de boulanger que Robert Guei va lui coller par la suite. La victoire va être revendiquée par les deux candidats. Gbagbo, dont les partisans ont représenté les deux candidats au niveau des bureaux de vote, car le Général va croire jusqu’au bout que c’est une élection de connivence où il sera forcément le gagnant. Pourtant, Gbagbo le prévient ,quand il a appris que Guei a préparé une fête pour célébrer sa victoire, qu’il n’acceptera pas qu’on lui vole sa victoire avant de se cacher dans le coffre de la voiture d’un de ses partisans pour se mettre en sécurité quelque part et supervisé la bataille électorale qu’il va emporter grâce au Chef de la Gendarmerie, le Général Doué. Robert Guéi qui avait renvoyé les sous officiers qui l’ont mis au pouvoir va perdre la bataille militaire face à un civil.
Voilà, comment Gbagbo, un politicien utra-minoritaire va accéder au pouvoir en Côte d’Ivoire dans un bain de sang où l’on va découvrir le lendemain des cadavres de Dioula, partisans d’Alassane Ouattara tués par balles, dans une décharge à Yopougon dont le seul crime est d’avoir manifesté pour demander l’annulation des élections. Guei va se réfugier dans son village. Gbagbo prête serment alors que les armes crépitent entre les partisans des deux adversaires. Il va tenter de s’opposer par tous les moyens de la reprise des élections dont la communauté internationale conteste la validité.
Pour consolider son pouvoir minoritaire, il va créer des “escadrons de la mort” pour pourchasser surtout les militants du RDR, en mettant au goût du jour le concept d’ivoirité en rejetant la candidature d’Alassane Ouattara aux élections législatives, alors qu’il est parti chercher l’appui de ce dernier en disant que ce n’est pas lui qui a organisé les élections et que le Président de la Cour constitutionnelle est un parent proche de Robert Guei qui l’a éliminé pour “nationalité douteuse”. Il va ajouter pour le convaincre que c’était mieux qu’un civil soit président plutôt qu’un militaire qui n’a pas hésité à congédier les ministres RDR du gouvernement. Alassane Ouattara va accepter de lui donner le titre de “Monsieur le Président ” devant la presse en le félicitant. C’est tout ce qu’il attendait d’Alassane Ouattara qui est tombé dans le piège.
Les sous-officiers auteurs du coup d’Etat de Noël, contre Bédié sont retranchés au Burkina voisin, où ils se préparent à redorer le blason des nordistes dont la citoyenneté ivoirienne est mise en cause par les “bushmen” du FPI et du Pdci. Gbagbo va ramener d’exil son Président Henri Konan Bédié. Le RDR ayant boycotté les législatives à cause de la disqualification de son champion, FPI et Pdci s’allient, après les élections législatives, pour former un gouvernement.
Le post est devenu long et a débordé le cadre de la récente rencontre qui est en réalité mon sujet. Mais, j’ai eu besoin de planter le décor pour mieux démontrer le match nul.
A.Bah