Le 24 mars 2013, coup d’Etat en Centrafrique. Bozizé fuit au Cameroun. Djotodia s’autoproclame président. «Un de plus !», se sont dit la plupart des Français, surtout qu’on leur rappelait que le président démis était lui-même arrivé à la tête de l’Etat par la force. La situation politique restait instable en RCA, mais la vie en Occident continuait. Seuls les Centrafricains de la diaspora et les parents des migrants, qu’ils soient Maliens, Sénégalais, Tchadiens ou autres, qui s’étaient installés en RCA depuis parfois des dizaines d’années, savaient ce que leurs parents, leurs sœurs, leurs frères subissaient là-bas.
En septembre, la diaspora centrafricaine criait son désespoir face au silence des médias et de «l’internationale». Quasiment du jour au lendemain, les images de violence et de pillage nous ont propulsés dans les rues de Bangui. Les populations terrorisées se réfugiaient à l’aéroport. Balakas, anti balakas, sélekas, anti sélakas, autant de mots auxquels nous nous sommes habitués sans vraiment en comprendre le sens. Viols, famine, épidémies. Guerre ethnique. Guerre entre communautés religieuses. Et même «pré-génocide». Des Musulmans tuent des Chrétiens. Des Chrétiens tuent des Musulmans. Machettes. Massacres. L’horreur absolue était là. Quelle que soit l’appartenance ethnique, quelle que soit la croyance religieuse, quelle que soit la tendance politique, la diaspora centrafricaine s’accorde sur un point, ils insistent même tous sur un seul et unique point : il n’y a jamais eu de problèmes religieux en RCA. Les Centrafricains ont toujours bien vécu ensemble. Les Centrafricains sont tous animistes, d’abord. Ensuite, ils sont chrétiens ou musulmans. Mais avant ça, ils sont tous Centrafricains. Ils rappellent que, dans leur pays, comme partout en Afrique, il n’y a jamais eu, non plus, de conflits, sous prétexte de nationalités, entre les peuples que les frontières coloniales RCA/Cameroun, RCA/RDC, ou RCA/Tchad ont séparés. Les Centrafricains, les Camerounais, les Congolais, les Tchadiens sont traditionnellement frères. Il n’y a pas de conflit religieux, le problème est ailleurs, le problème est politico-économique.
Le problème est d’abord régional, et semble remonter à la fin des guerres au Tchad et au Soudan, lorsque des rebelles de ces deux pays sont descendus vers le sud, en RCA. Certains d’entre eux ont rejoint des milices en RCA, quand d’autres y ont ouvert des commerces. Il se trouve qu’ils sont tous musulmans. En sous-main, il semble qu’il y ait une volonté du président du Tchad de renforcer son pouvoir dans la région, et qu’il ait, dans les derniers mois, envoyer des forces en RCA, dans le but officiel d’aider le pouvoir en place. Lors des affrontements, tous ces Tchadiens et Soudanais, qui se trouvent être musulmans, ont été visés pour ce qu’ils avaient fait ou faisaient, et non pour ce qu’ils étaient. Lors des pillages, ils ont été visés pour ce qu’ils possédaient, et non pour ce qu’ils étaient. Mais le processus «affrontements, pillages, massacres» était enclenché.
La douleur populaire, de part et d’autre, et les commentaires qui accompagnaient les images de cette tragédie, ont transformé les conséquences d’un problème politico-économique en une guerre civile entre musulmans et chrétiens. Quoique les termes soient différents, la distorsion politico-médiatique concernant la RCA ressemble, à s’y méprendre, aux deux distorsions politico-médiatiques majeures qui ont empoisonné l’analyse de la crise au Mali depuis le début. En RCA, on parle d’opposition Musulmans/Chrétiens. Au Mali, très vite, on expliquait l’opposition d’un prétendu «Nord-Mali» blanc à un «Sud Mali» noir. On présentait les revendications du groupe indépendantiste comme celles des populations du Nord, alors que ni les populations du Nord, ni l’immense majorité des Maliens Kel Tamashek ne se reconnaissaient dans les agissements et discours de ce groupe.
En RCA comme ailleurs, les rivalités économiques néo-libérales sino-américaines et moyen-orientales pour récupérer le pré carré français, et prendre le contrôle des richesses du sous-sol ont peu à peu généré ce conflit. Comme toujours, les populations sont sacrifiées sur l’autel du profit. Les ficelles sont tirées pour allumer le feu, et pouvoir ensuite venir l’éteindre, prétendant que le feu est dû à conflit religieux, ethnique ou culturel. Cela ne date pas d’hier, il suffit de relire l’historique des interventions militaires occidentales en Afrique, ou ailleurs. L’urgence humanitaire, qui est un fait au bout d’un certain temps, sert de couverture finale aux sordides intérêts politico-économiques. Celui qui décide d’une intervention militaire dans un pays étranger ne peut pas dire à ses citoyens contribuables qui souffrent des fermetures d’usines, et du chômage, que leurs impôts financeront une opération qui permettra d’augmenter les profits des multinationales. Donc, il attend le dernier moment de l’urgence. Il modèle le discours politico-médiatique, afin que les populations occidentales encouragent, et accueillent l’intervention avec humanité.
Une intervention militaire, qu’elle s’appelle Serval ou Sangaris, a un coût, un coût très élevé. Les Français veulent savoir ce qu’il leur en coûte. Le jeudi 16 janvier, Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense français, a été auditionné à l’Assemblée nationale française. Il a expliqué le budget déjà investi, et le budget prévisionnel. Tous ces chiffres nous sortent de l’entendement, tellement ils sont élevés. Mais, beaucoup n’a pas été dit. Le chef du gouvernement français, comme tout chef de gouvernement, n’a pas décidé pas de voler au secours d’un autre pays, juste pour «les beaux yeux» de la population. À plus ou moins court terme, le pays aidé, les populations aidées devront rembourser. Rembourser en acceptant de creuser la dette publique. Rembourser en acceptant d’accorder l’exclusivité des marchés, ou de l’exploitation des ressources naturelles au pays «aidant», via une de ses entreprises ou multinationales.
C’est ce qu’on appelle joliment la politique du «donnant-donnant», à savoir, et tous les décideurs le savent, je t’aide en volant au secours de ton pays, mais, en échange, tu acceptes de remercier mon pays, donc mes entreprises, financièrement, que ce soit en nous signant des «contrats juteux», ou via le FMI et la Banque mondiale. Comme d’habitude, ce sont des accords économiques de gré à gré entre décideurs locaux et internationaux, toujours bien maquillés en aide, cette fameuse aide au développement qui, paradoxalement, laisse les populations dans le même dénuement depuis des dizaines d’années, et enrichit toujours les mêmes.
Françoise WASSERVOGEL
Comments are closed.