Depuis 2011, cet Etat fictif qui parodie le gouvernement burkinabé organise chaque soir des réunions pour échanger avec humour sur l’actualité.
« Le Président arrive ! » « Restez assis, restez assis ! », ordonne solennellement le chef de l’Etat, engoncé dans une veste de costume grise. Le port de tête présidentiel, il prend place au milieu de son gouvernement et s’assied sur son trône de plastique en rétorquant : « Où est le thé ? Il doit y avoir un premier thé qui accueille le président, c’est quand même la moindre des choses. Nous sommes dans une République ! »
Nous sommes dans une République qui n’existe pas. Ou presque. La République du Grin, un Etat fictif voisin du Burkina Faso né en 2011, qui en a répliqué le modèle pour mieux s’en moquer.
A chacun son rôle
« C’est un premier thé qui n’est pas très sucré. A l’image du pouvoir actuel », lâche Hyacinthe Sanou, alias Blaise Compaoré, l’ancien président chassé du pouvoir par la rue en octobre 2014, en regardant droit dans les yeux Ibrahim Guigma, président de la République du Grin.
Ici, à chacun son rôle. Dans la vraie vie, Hyacinthe est journaliste à Radio Omega. Ibrahim est quant à lui conseiller au sein de la Haute Cour de justice, l’institution chargée de juger Blaise Compaoré et l’ancien gouvernement de Luc-Adolphe Tiao pour leur rôle joué dans la répression de l’insurrection d’octobre 2014.
« Tu as raison Blaise, il manque quelque chose », rétorque Jean Gilbert Rongo, journaliste à la radio nationale du Burkina. Il joue le rôle de Yacouba Isaac Zida, l’ancien premier ministre exilé au Canada. Le « général trois lunes », comme le surnomment les citoyens griénistes, précise : « Il manque la menthe. Et les cacahuètes ! Ça montre que l’économie du Grin est en faillite. »
L’ancien président, Blaise Compaoré, rétorque : « Qu’avez-vous changé depuis que vous êtes arrivés à la tête du Grin ? Rien ! Ce sont les mêmes verres qu’on utilisait avant pour boire le thé, le même plateau, le même thé ! »
Eclat de rire général. Chaque soir de 22 heures à 2 heures du matin, les abords de Dodo Alimentation, une supérette plantée en contrebas d’un goudron de Ouagadougou, se transforme en un conseil des ministres théâtral. C’est un « grin », une de ces réunions où les Burkinabés boivent le thé en parlant d’actualité.
Ciment de la société
Au sein de la République « très très démocratique » du Grin, comme celle « très très démocratique » du Gondwana, imaginée par l’humoriste de RFI Mamane, une vingtaine de personnes sont entrées au gouvernement. Journalistes, communicants, juristes, médecins, commerçants… Une quarantaine de personnes animent à tour de rôle ce grin politique. Au total, cet Etat parodique compte près de 2 500 citoyens, les membres de la page Facebook animée par le « gouvernement ».
« C’est une parodie de notre système politique, explique Aimé Nabaloum, journaliste au bimensuel Reporter et qui endosse le costume de l’actuel premier ministre Paul Kaba Thieba. L’objectif du grin est de faire entendre, par l’humour et de manière crue, les choses que le vrai gouvernement ne veut pas dire. »
« Thé et démocratie pour le peuple griéniste ! », coupe le président en levant son verre de thé. Ce jeudi 23 novembre, l’ordre du jour est la venue du président français Emmanuel Macron à Ouagadougou. « Moi, tout-puissant président du Grin, quand j’arrive en France pour une visite officielle, figurez-vous que c’est un secrétaire d’Etat adjoint qui m’accueille à l’aéroport. Aussi ai-je décrété que je n’irai pas chercher mon homologue Macron à l’aéroport de Ouagagrin, lundi soir. Sil veut me voir, qu’il vienne au palais, je lui accorderai une audience. Trente minutes, pas plus ! »
Comme derrière toutes les répliques, celle-ci révèle tout haut ce que pensent les Burkinabés tout bas. Au Burkina Faso, les grins sont le ciment de la société. Si sa jeunesse est aussi politisée, c’est en partie grâce à ces discussions informelles entre amis.
« La République du Grin attend le jeune président Macron au tournant. Nous avons un compatriote, en France, dont nous avons besoin, insinue le président, en référence à François Compaoré, le frère de Blaise, dont la France est en train d’étudier la demande d’extradition vers le Burkina : « Envoyez-nous notre colis ! »
Un « petit signal » de nouveauté
« Il faut que la France arrête d’accueillir sur son sol tous les dictateurs, les sanguinaires qui quittent l’Afrique, poursuit le « général trois lunes » en déballant sa liste de recommandations. Il dit qu’il veut changer la France-Afrique avec son discours de l’université, très bien ! Qu’il se prononce clairement sur le franc CFA par exemple. »
« Mais qu’est-ce que Macron peut faire par rapport au franc CFA ? Rien !, s’agace son successeur. La responsabilité de se prononcer, de faire quelque chose, incombe aux pays africains et à la jeunesse africaine. »
Le président : « Moi, j’ai une commission pour le président Macron. Dites-lui qu’au moment de sa campagne électorale, son discours sur la politique extérieure, notamment en Afrique, a séduit ici, à la République du Grin. Il avait promis de revoir les fondements de la coopération entre la France et l’Afrique. » « Ça, c’était avant qu’il rencontre la cellule Afrique de l’Elysée », s’esclaffe le « général trois lunes ».
Le président : « Je disais donc, si vous le croisez à l’aéroport, posez-lui une seule question : “En quoi les relations franco-africaines ont-elles changé depuis votre arrivée au pouvoir ?” » Le gouvernement du Grin le reconnaît, le Conseil pour l’Afrique d’Emmanuel Macron est un « petit signal » de nouveauté. « Attendons son discours à la jeunesse pour nous prononcer », modère le premier ministre.
Autour du gouvernement, les Griénistes affluent et tendent l’oreille. Mais que pensent les étudiants griénistes de ce discours à la jeunesse africaine que le président français prononcera mardi 28 novembre à l’université de Ouagadougou ? « Je suis contre, tranche Georges, 25 ans. Nous savons tous que la France a des intérêts et pas d’amis. »
« Dans l’amphi Kadhafi »
L’ancien président : « En tout cas, j’admire le courage de la jeunesse de Macron mais je plains la naïveté de sa décision. Il veut maîtriser un terrain qui n’a jamais été dompté par aucun pouvoir : l’université de Ouaga. C’est un bastion imprenable et, lui, il veut le conquérir ! »
« En plus, il va faire son discours dans l’amphi Kadhafi, ajoute, impressionné, le président du Grin. A Ouagadougou, c’est comme cela que l’on surnomme l’amphithéâtre Union africaine de l’université, car il a été financé par le Guide libyen déchu. Mais quel symbole, mes amis ! Quelle ironie de l’Histoire ! C’est la dernière victoire de Kadhafi ! », ajoute le président en se levant.
Il est 1 heure du matin, l’heure pour le gouvernement de se séparer. Mais avant, le président a une annonce de la plus haute importance à faire devant la quinzaine de Griénistes présents : « En tant que tout-puissant président de la République du Grin et au nom de tous mes pairs africains, je voudrais dire qu’il faut que le président Macron comprenne que les Africains de 2017 ne sont pas les Africains de 1975. Il est le bienvenu chez nous, mais nous n’allons plus accepter les leçons de qui que ce soit, d’où que cela vienne. Et, au nom du sacro-saint principe de réciprocité de la diplomatie, ce qu’il va venir faire ici, eh bien, je vous l’annonce, moi, président du Grin, je vais le faire. J’irai en France m’adresser aux étudiants de la Sorbonne, des universités de Bordeaux, Lille, Nice. Aux étudiants de toute l’Europe ! Et je vais également dire ce que moi, président de la République du Grin, je pense de la jeunesse européenne. »
Par Morgane Le Cam (Ouagadougou, correspondance du monde.fr)