À Abidjan, l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré pris dans la guerre de succession ivoirienne

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Blaise Compaoré, l’ancien président du Burkina Faso, en octobre 2016 en Côte d’Ivoire. CRÉDITS : ISSOUF SANOGO / AFP

À Abidjan, l’ex-président burkinabè vit pleinement la guerre de succession entre deux dauphins putatifs du chef de l’État ivoirien, non déclarés publiquement mais qui s’affrontent en coulisses et par médias interposés. Il s’agit d’Amadou Gon Coulilaby, l’actuel Premier ministre et ancien secrétaire général de la présidence, et de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale. Les deux hommes rendent régulièrement visite au président déchu qui habite dans une résidence d’État, au quartier de Cocody-Ambassade.

Pourtant, Compaoré pensait avoir scellé l’ordre de succession en 2011 après avoir aidé son ami Alassane Ouattara, reclus à l’Hôtel du Golf, à prendre militairement le pouvoir sur les forces restées fidèles à Laurent Gbagbo. Une de ses armes pour y parvenir était alors Guillaume Soro, l’ancien patron de la rébellion ivoirienne, qu’il considère comme son «fils» spirituel. Il l’a placé à la tête des Forces nouvelles (FN, ex-rébellion) en 2002, alors qu’il n’était qu’un leader estudiantin en exil au Burkina Faso, puis l’a aidé à mûrir politiquement et à tenir tête, comme Premier ministre, à Laurent Gbagbo. Mustapha Chafi, l’un de ses conseillers politiques, et Boureima Badini, alors son représentant en Côte d’Ivoire, l’ont chaperonné à ses débuts. Ils continuent de le conseiller sur les dossiers sensibles. Ils sont souvent à Abidjan au chevet de Compaoré. Assurance anti-extradition.

Pour l’ancien chef de l’État burkinabé, Soro est un pari sur l’avenir. C’est l’assurance qu’il ne sera pas extradé au Burkina si la justice le réclame. Mais le président de l’Assemblée nationale a du vague-à-l’âme. Ouattara, qui le présentait comme son successeur en 2011, a mis sur orbite son fidèle allié de Korogho, Amadou Gon Coulibaly… Et d’aucuns considèrent qu’il n’hésitera pas à renier ses déclarations publiques pour briguer un nouveau mandat, si l’opportunité se présente. «Blaise Compaoré est mal à l’aise, explique l’un de ses proches. C’est lui le garant des accords secrets entre Ouattara et Soro. En 2011, ce dernier pouvait prendre militairement le pouvoir mais il a accepté de surseoir à ses ambitions car il était persuadé que le président ivoirien tiendrait sa promesse de lui passer de témoin». Avec la plupart de ses visiteurs, le Burkinabè ne souhaite pas aborder le sujet tabou de la succession. «Quand ses interlocuteurs en parlent, il les écoute poliment et leur dit ne pas vouloir s’immiscer dans les affaires intérieures ivoiriennes».

En réalité, Ouattara lui a récemment demandé d’intercéder auprès de Guillaume Soro pour qu’il ne claque pas la porte du Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel) et se rende au prochain congrès de la formation, en septembre. Ouattara est allé rendre visite à Compaoré avant la 6e conférence du Traité d’amitié et de coopération entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, le 17 juillet dernier. «Il a du mal à digérer le lâchage de la France en 2014, surtout quand il voit qu’Ali Bongoet Denis Sassou Nguesso sont passés en force pour rester au pouvoir. Dans ses rêves les plus fous, il doit s’imaginer reprendre ses activités de chef d’Etat».

À Abidjan, Compaoré est parfois gagné par la lassitude. Son pays lui manque. «C’est un Mossi, habitué à manger le tô et à vivre dans la savane sahélienne, confie son proche. Le climat d’Abidjan, plus humide et forestier, lui convient moins». Il s’est bien remis de sa fracture du col du fémur, soignée au Maroc. Fin avril, il s’est envolé pour le royaume afin de faire une visite de contrôle à l’hôpital militaire de Rabat, les frais étant pris en charge par sa majesté. C’était son troisième déplacement dans le pays depuis son départ du Burkina. Il en a profité pour voir ses amis comme le diplomate Abdellatif Bendahane, ancien M. Afrique du royaume qui était devenu son conseiller spécial.

Ex-commando parachutiste, Compaoré fait régulièrement du vélo dans la salle de sport qu’il s’est fait installer dans sa résidence à Abidjan. Il passe de longues heures à la lecture d’ouvrages politiques et accorde des audiences à la classe politique ivoirienne. Outre Soro et Gon Coulibaly, Alain Lobognon, un ex-ministre, et Hamed Bakayoko, le ministre de la Défense, lui rendent visite. Il se rend aussi chez Henri Konan Bédié, l’ancien président, et peut recevoir la visite de chefs d’État de passage à Abidjan comme le Togolais Faure Gnassimbé, qu’il a longtemps couvé. Il voit aussi régulièrement Salif Kaboré, qui fut son ministre des Mines. Sa femme, Chantal, est à ses côtés. Cette ancienne joueuse de basket est Ivoirienne. Elle a toutes ses habitudes à Abidjan. Blaise Compaoré voit aussi son frère, François, dans le collimateur de la justice burkinabè. Ce dernier vit entre le Togo et la France. Parfois, l’ancien président rencontre aussi d’anciens compatriotes, au gré de ses sorties. «Il y a plus d’un an, il nous a surpris au restaurant 37°2 à Abidjan, se rappelle un homme d’affaires burkianabè. Ce soir-là, il a même salué le fils de Roch Kaboré, le président actuel du Burkina». La métropole ivoirienne est un lieu de passage fréquent pour les officiels burkinabè, les deux pays étant très liés politiquement et économiquement.

En 2014, la France a poussé à son départ mais l’a sauvé in extremis. En liaison avec Abidjan, Jean-Yves Le Drian, alors à la Défense, et Cédric Lewandowski, à l’époque directeur de cabinet du ministre français, ont directement géré l’exfiltration du dirigeant déchu à Yamoussoukro, étape avant son exil abidjanais. Trois ans plus tard, Compaoré aimerait revenir dans son village natal à Ziniaré, s’occuper des animaux de son zoo, et reprendre ses chasses dans la réserve de Pama. Son ancien représentant spécial, Boureima Badini, a rencontré en février le président du Burkina, Roch Kaboré, et lui a suggéré de le mettre en résidence surveillée. L’ex-dirigeant burkinabè est prêt à jouer sa partition à la faveur d’un processus de réconciliation nationale. D’autres amis lui conseillent plutôt d’aller se mettre à l’abri chez Faure Gnassingbé au Togo ou Mohammed VI, deux protecteurs potentiels, en attendant que l’orage de la succession ivoirienne soit passé…

Pascal Airault, l’opinion.fr France

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