18 mars 1965 : Leonov, le premier piéton de l’espace a failli rester coincé dehors

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Le cosmonaute russe a été à deux doigts d’avaler sa capsule de poison prévue en cas d’incapacité à rentrer dans la capsule.


Quand faut y aller, faut y aller. Alekseï Leonov jette un coup d’oeil à son commandant, Pavel Beliaïev, qui hoche la tête. C’est l’heure pour lui d’aller faire un petit tour hors de la capsule. Non pas pour griller une clope, mais pour effectuer la première sortie dans l’espace de l’histoire de l’humanité. Et une fois de plus, c’est un Russe qui accomplit cette grande première ! Depuis Gagarine, les Américains sont complètement dans les choux. Toutes les premières spatiales sont pour les Soviétiques. À ce moment, aucune angoisse n’étreint Leonov. Au contraire, il est impatient de sortir. Cela fait des années qu’il s’entraîne dans ce but. Pas question de reculer au dernier moment. Avoir à quitter Voskhod 2 pour se retrouver suspendu à 190 kilomètres au-dessus du sol, pour tout dire, le dérange moins que d’avoir à sortir de sa datcha pour affronter une tempête de neige. Il n’y a pas que les astronautes américains à être taillés dans l’étoffe des héros.

Beliaïev aide Leonov à enfiler l’équipement dorsal qui contient la réserve d’oxygène et le système de refroidissement du scaphandre. Une fois le sas gonflable déployé, Leonov s’y engouffre avec détermination. Il s’y enferme, puis entreprend d’ouvrir la trappe donnant sur le vide. Plus question de reculer. Le vide lui tend les bras. Il sort la tête, le tronc, les jambes. Avec précaution, il écarte le cordon ombilical qui l’attache au vaisseau afin qu’il ne s’entortille pas autour de lui. Il ne manquerait plus qu’il s’étrangle avec. Personne ne viendrait le rechercher. Des millions de Soviétiques et de Terriens observent son image en noir et blanc retransmise en direct par une caméra. Avec stupéfaction et fierté, on le voit nager dans le vide.

Balade intersidérale

De retour sur Terre, Leonov racontera cette première balade intersidérale : “Je m’avançais vers l’inconnu et personne au monde ne pouvait me dire ce que j’allais y rencontrer. Je n’avais pas de mode d’emploi. C’était la première fois. Mais je savais que cela devait être fait […]. Je grimpai hors de l’écoutille sans me presser et m’en extirpai délicatement. Je m’éloignai peu à peu du vaisseau […]. C’est surtout le silence qui me frappa le plus. C’était un silence impressionnant, comme je n’en ai jamais rencontré sur Terre, si lourd et si profond que je commençai à entendre le bruit de mon propre corps […]. Il y avait plus d’étoiles dans le ciel que je ne m’y étais attendu. Le ciel était d’un noir profond, mais en même temps, il brillait de la lueur du Soleil… La Terre paraissait petite, bleue, claire, si attendrissante, si esseulée. C’était notre demeure, et il fallait que je la défende comme une sainte relique. Elle était absolument ronde. Je crois que je n’ai jamais su ce que signifiait rond avant d’avoir vu la Terre depuis l’espace.” C’est beau comme du Dostoïevski.

Après s’être extasié, Leonov revient vite à la réalité : son scaphandre commence à gonfler comme une outre sous l’effet de la pression intérieure, l’empêchant de plier les bras et les jambes. Sur le moment, il n’en souffle pas mot pour ne pas inquiéter ses interlocuteurs terrestres. Pourtant, il ne réussit pas à déclencher la caméra qu’il porte sur une épaule, ou encore à démonter celle qui est fixée sur le sas et qui a enregistré sa sortie. En voyant les images, les techniciens comprennent cependant qu’il éprouve certaines difficultés, aussi interrompent-ils la retransmission du direct.

Pépins en série

Il est temps pour Leonov de réintégrer Voskhod 2. C’est à ce moment-là que les vraies difficultés commencent pour le cosmonaute. Engoncé dans son scaphandre bibendum, il ne parvient pas à se glisser dans l’écoutille les pieds les premiers, comme le prévoit la procédure. Sans paniquer, il se retourne pour pénétrer la tête la première. Ça rentre ! La première marche de l’homme dans l’espace a duré exactement douze minutes et neuf secondes. À l’envers dans le sas, Leonov est incapable de fermer la trappe donnant sur le vide. Il lui faut absolument se retourner. Il s’y emploie de toutes ses forces, mais le voilà maintenant coincé. En actionnant une valve, il parvient à faire baisser la pression intérieure du scaphandre, ce qui lui permet de retrouver une légère mobilité. Au prix d’un effort herculéen, il pivote suffisamment pour fermer la trappe. Leonov est alors au bord de la syncope, il baigne dans plusieurs litres de sueur. Mais, au moins, il peut regagner son siège près de Beliaïev. Il n’aura pas eu besoin de croquer la pilule de poison que les médecins lui avaient remise en vue de lui éviter une pénible agonie au cas où il serait resté à l’extérieur.

Les pépins ne sont pas finis pour autant. La capsule exécute encore seize révolutions autour de la Terre quand une petite panne technique les contraint à débrancher le pilotage automatique. C’est Beliaïev qui prend les commandes du vaisseau pour effectuer la descente. Nous sommes maintenant le 19 mars au petit matin. Un changement d’orientation les oblige à quitter leur fauteuil, ce qui a pour conséquence de retarder de 46 secondes le déclenchement des rétrofusées. Lors de l’entrée dans l’atmosphère, le module de service tarde à se séparer du module d’atterrissage qui abrite les cosmonautes.

Des loups et des ours

Ces événements cumulés se traduisent par un atterrissage à 386 kilomètres de l’endroit où les attend l’équipe de réception. La capsule tombe dans une zone inhospitalière de Sibérie, en pleine forêt. Le sol est couvert d’un mètre de neige, empêchant tout déplacement à pied et obligeant de ce fait les cosmonautes à rester à l’intérieur. Leonov et Beliaïev commencent à se résoudre à l’idée de passer leur première nuit sur Terre… dans leur capsule. Une épreuve d’autant plus pénible qu’elle est ouverte à tous les vents. En effet, comme prévu, la trappe d’ouverture a été éjectée automatiquement dès l’atterrissage. Pour éviter de geler, les cosmonautes doivent se mettre à poil pour essorer la combinaison complètement mouillée de sueur qu’ils portent sous le scaphandre.

Finalement, un hélicoptère les repère vers 13 heures, soit quatre heures après leur atterrissage, mais il ne peut pas se poser à proximité à cause des arbres. Les passagers jettent aux naufragés des vêtements chauds et de quoi manger. L’hélico atterrit à cinq kilomètres de là. Les deux hommes passent donc bien la nuit dans leur capsule, craignant la visite de loups et d’ours, nombreux dans cette forêt. Même si l’équipement de survie de la capsule comprend un pistolet et ses munitions. Imaginons le titre des journaux : “Le premier piéton de l’espace dévoré par un ours !” La nuit se déroule, heureusement, sans attaque, et dans la matinée les naufragés de l’espace voient arriver une équipe de secours déposée par un hélicoptère à un kilomètre et demi de là. Elle a quand même mis quatre heures en ski pour parcourir cette petite distance ! Il est décidé d’attendre encore le lendemain matin pour rapatrier Leonov et Beliaïev. Les secours ont toutefois apporté des rondins pour construire une cabane en bois de façon à passer une nuit plus confortable. Le lendemain, les deux héros de l’Union soviétique rejoignent en ski l’hélicoptère. Fin de la première balade spatiale.

Le Point.fr- Publié le 18/03/2012 à 00:00 – Modifié le 18/03/2012 à 01:22

 

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5 COMMENTAIRES

  1. Ils se fatigueront car il n’y a de vie que sur la terre et dans l’Au-delà (monde spirituel).

  2. Des vrais heros. Si seulement on pouvait avoir une telle mentalite de battants dans notre pays. 😉

    • On est dejà dans l’espace: le nord du Mali 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆 😆

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