En limogeant l’argentier Dacoury, les présidents de l’Uemoa serrent davantage Laurent Gbagbo de plus en plus isolé entre le blocus du port d’Abidjan, la flambée des prix locaux et l’option militaire qui vont installer Alassane Ouattara dans ses fonctions.
Quand les visages fermés, Blaise Compaoré et Abdoulaye Wade quittèrent, vers 17 heures, la salle où se trouvaient encore leurs homologues, ils ne savaient sans doute pas qu’ils allaient éclipser, pour une trentaine de minutes, la star plébiscitée du sommet, Guillaume Soro. Pour la foule de journalistes auxquels ils n’ont pas pipé mot, le Burkinabe et le Sénégalais claquaient la porte du sommet.
Or l’un partait rencontrer à Ouaga les champions cadets de l’Afrique et l’autre avait, lui aussi, une « urgence » à Dakar. Les deux irréductibles -selon l’opinion- de la ligne de fermeté contre Gbagbo rentraient parce que l’affaire était pliée, ne tardent pas à apprendre les Bamakois qui avaient le regard et l’attention tournée vers ce sommet de l’Uemoa devenue, par la force des choses, un sommet extraordinaire sur la Côte d’Ivoire. Qui, il est vrai, commence vers midi, avec deux heures de retard et une ambiance quelque peu tendue malgré une interprétation magistrale de l’ensemble instrumental national du Mali et les applaudissements nourris pour le Premier ministre du président élu et certifié de Côte d’Ivoire. Ils étaient cinq présidents sur huit à avoir fait le déplacement, le Cap-verdien Pires, le bissau guinéen Sagna et le Nigérien Djibo s’étant fait représenter. Le président sortant de l’Uemoa, Att, ne fait pas mystère de l’ordre du jour.
Il y avait certes les questions ordinaires, notamment l’examen du rapport du président sortant de la Commission de l’Uemoa, Soumaila Cissé. Mais le clou c’était bien l’affaire Dacoury Tabley. Bamako devait trancher le cas de ce patron ivoirien de la Bceao qui aurait passé outre l’arrêté des ministres des finances de l’Uemoa. Ceux-ci lui avaient interdit, à Bissau le 23 décembre dernier, d’alimenter le camp Gbagbo. Or depuis, il lui est reproché d’avoir facilité le transfert de quelques 80 milliards de francs Cfa à son « ami » Gabgbo. Soro s’était battu en vain pour que le banquier ne soit pas admis dans la salle plaidant pour qu’il soit purement et simplement limogé pour « la forfaiture qui est documentée» à ses dires.
Devant les chefs d’Etat, Dacoury se défend sans convaincre. Seule concession : les chefs d’Etats lui sauvent la face en acceptant sa « démission ». Le sommet, ensuite, autorise Alassane Ouattara à désigner le successeur du directeur récusé qui improvise un mini point de presse.. Il est victime, assure t-il, d’être un proche de Gbagbo et dit qu’il n’a démissionné que pour son amour d’une banque qu’il a servi plus de trente ans et surtout pour préserver l’Union menacée selon lui par l’instrumentalisation politique.
L’étau se resserre autour de Gbagbo
Une « démission forcée » qu’il rejette, s’indigne dans la foulée, le camp Gbagbo par son porte-parole Ahoua Don Mello. Lequel avertit que « la Côte d’Ivoire a saisi la Cour de l’Uemoa » pour invalider la décision. D’ailleurs, annonce t-il, une mission sera incessamment diligentée auprès des présidents de l’Union monétaire pour qu’ils reviennent sur leur « décision ». Une heure après les déclarations du désormais ex patron de la Bceao, dans une conférence de presse aux allures de meeting, Soro se disait satisfait par la mesure prise par les chefs d’Etat de l’Uemoa. Autre motif de satisfaction par rapport au sommet de Bamako? Soro a précisé que cette rencontre n’a pas discuté de l’option militaire actuellement envisagée par la Cedeao pour permettre à Ado d’exercer la plénitude de ses fonctions. Mais le Premier ministre est pessimiste sur les chances du dialogue avec Gbagbo qu’il avait lui-même informé, devant témoin, le 1er décembre de la victoire de Alassane Ouattara au scrutin du 28 novembre. Les arguments du genre « attention il y a beaucoup de ressortissants Cedeao » ne doivent pas passer. Car, prévient-il, il y a déjà plus de 300 morts et plus de 20 000 réfugiés ». Au contraire, pour Soro, l’action militaire opportune peut même sauver des vies. Cela aurait été le cas au Rwanda si la communauté internationale était intervenue à temps.
La leçon ne semble pas perdue pour Abidjan, même si les choses ne vont pas aussi vite que le ne souhaite Soro qui souligne que le combat en Côte d’Ivoire c’est contre le déni de démocratie. En effet, Compaoré a entamé un véritable ballet diplomatique : Paris, Londres, Abuja, bientôt Addis-Abeba sans compter les hôtes qu’il reçoit à Ouaga. De son côté, Jonathan Goodluck du Nigeria, de plus en plus actif et résolu contre Gbagbo démontre qu’il ne bluffe pas. Bouaké, selon les indiscrétions sur place et les messages d’internautes accueille armes et militaires. Le compte à rebours peut bien avoir commencé pour Gbagbo malgré la formidable volteface de Jacob Zuma visant, selon plusieurs observateurs, à donner du temps au locataire -mais pour encore combien de temps- de Cocody.
Adam Thiam