Les voix qui s’élèvent contre la révision de la constitution du 25 février 1992, initialement prévue le 9 juillet (elle a été reportée à une date ultérieure), se multiplient au jour le jour. Cette protestation se fait sous diverses formes, soit à travers les marches (par exemple la marche du samedi 17 juin 2017 qui a regroupé des hommes politiques, des leaders de la société civile, des artistes,…), soit à travers les plumes ou les débats des universitaires (nous voulons donner comme exemple les écrits du constitutionnaliste, Dr Brahima Fomba, la conférence débat organisée le jeudi 15 juin 2017 à la Faculté de Droit public,…). Cependant, toutes ces contestations ont mis l’accent, d’une manière générale, sur la violation de l’article 118 de la constitution malienne du 25 février 1992. A la différence de ceux-ci, nous nous appuierons sur l’article 26 de la même Constitution pour démontrer que la Cour a donné un coup fatal à la loi fondamentale en ignorant son importance. Nous démontrerons également que la Cour constitutionnelle n’avait pas besoin de faire recours au droit international et qu’il existe suffisamment de dispositions au niveau interne pour trancher sur la légalité de la tenue du référendum. Nous pouvons citer l’article 118 de la constitution et l’article 47 et suivant du Code pénal malien.
A la lumière de la problématique de la supériorité du droit international sur le droit interne, nous pouvons dégager deux solutions logiques: Celle retenue par le droit international et celle retenue par le droit interne. Visiblement, la Cour s’est rangée du côté de la première solution dans son Avis n°2017-01/CCM/REF du 06 juin 2017 qui indique en substance: « L’intégrité territoriale, au sens du droit international, s’entend du droit et du devoir inaliénable d’un Etat souverain à préserver ses frontières de toute influence extérieure. En l’état, celle du Mali n’est pas compromise par l’occupation d’une quelconque puissance étrangère ». La Cour a-t-elle raison de primer le droit international sur le droit interne ? Avait-elle besoin de faire recours aux dispositions internationales ? Suivez plutôt notre analyse !
La solution logique retenue par l’ordre juridique international
La solution prônée par le droit international est la suprématie des normes internationales sur les normes internes.
L’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 dispose à cet égard qu’ « une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non-exécution d’un traité ». Mais ce principe vaut pour l’ensemble du droit international (y compris les normes coutumières), qui l’emporte sur toutes les normes internes, quel que soit leur rang (constitutionnel, législatif, réglementaire ou judiciaire). Le préambule de la Charte des Nations Unies évoque, à cet égard, « le respect des obligations nées des traités et autres sources du droit international ».
Il reste que si le droit international commande les deux extrémités de la chaîne puisque, d’une part, il impose sa suprématie et que, d’autre part, il en sanctionne le non-respect, il se garde bien de dicter aux Etats une règle commune touchant à ses modalités d’application dans l’ordre interne. S’il en avait été ainsi, ceci aurait d’ailleurs constitué une sérieuse limite à la souveraineté des Etats. Il appartiendra donc à ces derniers d’assurer concrètement, dans leur ordre juridique propre, la suprématie du droit international, et ce, selon les modalités de leur choix.
Pour démontrer que la Cour ignore l’importance de la Constitution et qu’elle a péché en s’appuyant sur le droit international, nous allons fonder notre argumentaire sur la solution retenue par le droit interne.
La solution logique retenue par le droit interne
Il ressort clairement de l’analyse qui va suivre que, contrairement à la logique retenue par le droit international, la constitution est supérieure aux normes internationales.
Ceci dit, la solution logique retenue par l’ordre juridique international (la suprématie du droit international sur le droit interne) est loin de coïncider nécessairement avec celles adoptées par les ordres juridiques nationaux. En pratique, toute une gamme de solutions sont envisageables : valeur infra-législative du droit international ? Égale à la loi ? Supra-législative et infra-constitutionnelle ? Supra-constitutionnelle ? Ceci montre qu’il existe à l’évidence un hiatus entre l’ordre international et l’ordre interne. Dans l’ordre international, les traités sont supérieurs à la Constitution d’un Etat, laquelle n’est pas opposable à un autre Etat; la Constitution est un simple fait qui n’est revêtu d’aucune autorité juridique particulière. Dans l’ordre interne, il en va, bien entendu, différemment puisque tout procède de la Constitution et que toutes les autorités de l’Etat tirent leur existence et leurs compétences de celle-ci ; dès lors, la suprématie de la Constitution dans l’ordre interne est une réalité incontournable.
En effet, le principe de la supériorité de la constitution sur le traité, si on peut s’exprimer ainsi, est admis dans le droit positif malien lorsque l’article 116 de notre constitution se borne à dire que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve pour chaque traité ou accord de son application par l’autre partie. Nous remarquons que cette disposition ne parle que des lois, elle passe complètement sous silence la constitution. Cette suprématie de la norme constitutionnelle trouve sa justification dans le fait que la constitution est l’expression de la souveraineté nationale et, en tant que tel, un devoir de conformité s’impose alors à tout acte international intégrant l’ordonnancement juridique national.
La constitution, expression de la souveraineté nationale
Le mot constitution est formé à partir des éléments latins: ”cum” qui signifie ensemble et ”statuo”qui veut dire ”fixer”. D’après son étymologie, ce mot signifie donc le fait d’établir ou de fixer ensemble.
Cette définition intègre la notion de souveraineté nationale qui est l’expression ni d’un individu ni même d’une partie du peuple, mais plutôt de l’ensemble de celui-ci. La constitution malienne de 1992 en fait expressément mention à son article 26 lorsqu’il dispose:« La souveraineté nationale appartient au peuple tout entier qui l’exerce par ses représentants ou par voie de référendum. Aucune fraction du peuple ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice. (…)». La constitution, telle que présentée, traduit la volonté du peuple dans son ensemble, laquelle (volonté) est placée au sommet de la hiérarchie des normes sur le plan interne. Ce qui nous amène à dire que la constitution est l’expression du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
En effet, le principe des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes est parmi ceux appelés à dominer la formation des Etats occupant ainsi une place prépondérante. Il est conçu comme celui selon lequel chaque peuple dispose du choix libre et souverain de déterminer la forme de son régime ou son système politique. Ce principe est défini à l’article 1er du Pacte des droits civils et politiques (du 16 décembre 1966):« tous les peuples ont le droit de disposer d’eux-mêmes. En vertu de ce droit, ils déterminent librement leur statut politique et assurent librement leur développement économique, social et culturel.» Qualifié de principe self détermination, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes trouve son application dans des aspirations d’un peuple qui peuvent se faire jouir et produire des effets dont il faut tenir compte dans l’intérêt de la paix intérieure et extérieure des nations. Or, la constitution traduit bien ces aspirations.
Toutefois, il est aussi à noter que la réalité malienne, en matière d’adoption des constitutions, présente une approche très mitigée si l’on s’en tient au principe développé ci-dessus. En effet, l’analphabétisme, le manque de véritable culture démocratique font que la population ignore sa place dans un système politique, notamment dans la mise en œuvre du principe de la souveraineté. Du nombre des projets de lois constitutionnelles pour lesquelles l’opinion publique malienne a été mise en consultation par référendum, on constate que ces actes constitutionnels ont été votés sans pour autant que la population ait vraiment pris connaissance de leur contenu. On vote ”à la mode” même ce qu’on ne connaît pas, au point d’approuver ce qui est contraire à sa propre volonté. Dans des circonstances pareilles, le peuple ne peut réellement s’approprier d’une constitution qu’il a votée.
Cet état des faits tend à remettre en cause la légitimité d’une constitution qui se veut être l’expression des droits des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Au demeurant, en dépit de ce formalisme constitutionnel, l’expression du suffrage universel prime sur toutes les considérations qui sont mises en jeu. La constitution ainsi votée devient la loi fondamentale de l’Etat car elle est l’émanation de tout un peuple. Elle se place, à ce titre, au sommet des normes sur le plan interne et international.
La supériorité de la volonté du peuple
Conformément à l’article 26 de la constitution malienne du 25 février 1992, la constitution est l’expression la plus authentique de la souveraineté nationale. Cette qualité, qui lui est reconnue, s’explique d’abord par sa genèse (issue d’un référendum) et ensuite par son contenu (elle établit un ensemble de règles de base qui fait l’objet d’un large consensus dans le temps). La légitimité de la constitution réside dans la volonté nationale exprimée dans le cadre du suffrage universel. Cette volonté, autrement appelée souveraineté, traduit l’identité du corps politique duquel émane la capacité à édicter les normes juridiques opposables à tous. Elle est conçue comme un pouvoir absolu, suprême et sans concurrent. Et c’est cette absence de concurrence qui rend légitime l’influence des normes constitutionnelles sur les dispositions des traités.
Le souverain (le peuple) est l’entité qui détient la réalité de la puissance de l’Etat. C’est d’ailleurs par le biais de la hiérarchie des normes qu’il détermine plus ou moins directement le contenu de toutes les normes juridiques de l’ordre interne. La constitution permet, en effet, de déterminer le contenu des normes de niveau inférieur.
Le gouvernement est-il en mesure d’organiser le référendum du 09 juillet prochain sur toute l’étendue du territoire ? « Toutes les dispositions sont prises pour que le scrutin se déroule sur l’ensemble du territoire », a rassuré le gouvernement à plusieurs reprises.
La lecture de l’article 26 de la constitution du 25 février 1992 nous incite à poser la question suivante: Quel sort sera-t-il réservé audit référendum lorsque les autorités ne parviendront pas à l’organiser sur toute l’étendue du territoire ?
Dans tous les cas, le débat est ouvert et nous exhortons les neuf (09) sages de la Cour constitutionnelle, pardon ! Les éminents constitutionalistes à éclairer la lanterne des Maliens.
En fin, la spontanéité avec laquelle la Cour a donné son avis nous pousse à poser les questions suivantes :
Pourquoi la Cour constitutionnelle au lieu de s’appuyer intégralement sur les dispositions internes, notamment l’article 118 de notre constitution et l’article 47 de notre Code pénal s’est plutôt donnée à une interprétation fantaisiste du droit international ?
N’est-ce pas ridicule que la Cour constitutionnelle ignore l’importance de la Constitution dont elle est le garant ?
Dr Moussa Etienne TOURE, juriste-environnementaliste, enseignant-vacataire à l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako
“…du devoir inaliénable d’un Etat souverain à préserver ses frontières de toute influence extérieure..” EST CE QUE L’ETAT MALIEN EST CAPABLE DE CA ACTUELLEMENT?
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