Une fois n’est pas coutume. Depuis 1994 que nous suivons de près la Cour constitutionnelle et vouons aux gémonies ses errements jurisprudentiels, l’Avis n°2018-01/CCM relatif à la demande de prorogation de mandat des députés vient attester qu’à l’occasion, elle sait aussi faire preuve de courage et surtout d’indépendance d’esprit, dans l’interprétation de la Constitution du 25 février 1992. C’est le cas de le dire. De façon générale et même si l’on a pleine conscience que la Cour pouvait mieux faire, on peut considérer que le droit a été dit dans l’Avis n°2018-01/CCM du 12 septembre 2018 rendu suite à une saisine du Premier ministre.
Dans sa lettre n°884/PM-CAB en date du 10 septembre 2018, le Premier ministre avait sollicité l’Avis de la Cour constitutionnelle à propos de la prorogation de 9 mois du mandat des députés et de ses modalités de mise en œuvre.
Les raisons avancées par le Premier ministre pour justifier cette sollicitation sont emballées dans un gros paquet argumentaire marqué du sceau de « difficultés contextuelles d’ordre administratif et politique consécutives à l’opérationnalisation des nouvelles régions administratives, notamment leur représentation à l’Assemblée nationale et la nécessité de conduire les réformes qui s’imposent désormais ». Un Premier ministre qui sollicite en quelque sorte une entorse évidente à la Constitution rien que dans l’intention délibérée de suppléer aux carences du gouvernement dans l’exercice de ses prérogatives constitutionnelles, alors même que nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude, comme dit l’adage. En vérité, ce que le Premier ministre qualifie de « difficultés contextuelles d’ordre administratif et politique consécutives à l’opérationnalisation des nouvelles régions administratives » n’est ni plus ni moins que le résultat du laxisme et des carences des gouvernements successifs du premier mandat du Président IBK. Les « réformes qui s’imposent désormais » dont on voudrait, sous la caution de la Cour constitutionnelle, faire endosser par la pauvre Constitution, ne sont en fait que de banales activités gouvernementales de relecture de textes de loi dont la loi portant création des collectivités territoriales au Mali, la loi portant organisation territoriale au Mali et la loi organique sur les députés. En réalité, ces éléments sur lesquels le Premier ministre fonde sa demande d’avis ne font qu’administrer de la manière la plus éclatante, la preuve indiscutable que le régime du Président IBK n’a fait que s’endormir cinq ans durant, sur les dossiers sensibles de la nation. Pour une fois, la Cour constitutionnelle semble avoir craché dans la soupe en refusant de jouer au sapeur-pompier, d’autant que la sollicitation portait aussi bien sur le principe de la prorogation que sur ses modalités de mise en œuvre. C’en était probablement trop pour la Cour.
Une procédure consultative à la recevabilité constitutionnellement douteuse
L’avis sollicité par le Premier ministre a été déclaré recevable par la Cour sur la base de l’article 85 alinéa 2 de la Constitution selon lequel la Cour constitutionnelle est « l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Or, contrairement aux autres attributions de la Cour liées notamment au contrôle de constitutionnalité et au contentieux électoral, les missions d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ne font l’objet, ni dans la Constitution ni dans la Loi organique sur la Cour constitutionnelle, d’aucune procédure explicite précise quant à leur modalité d’exercice. En particulier, il n’est prévu nulle part de « procédure en matière de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». L’Avis rappelle à cet égard « qu’aucune disposition constitutionnelle ou légale ne détermine expressément les personnes habilitées à saisir la Cour constitutionnelle aux fins de statuer en matière de régulation du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics ». Comme on l’a toujours revendiqué, nous considérons pour notre part que sur cette question, la Cour constitutionnelle s’est volontairement enfermée dans le piège de son interprétation erronée de l’article 85 de la Constitution relatif à ses missions « d’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des pouvoirs publics » et d’organe statuant sur « les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ». Nous estimons que la bonne interprétation de la notion de « conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat » renvoie plutôt aux différentes procédures prévues par la loi organique sur la Cour lui permettant de déclarer le caractère législatif ou réglementaire d’une loi ou une irrecevabilité lors de la procédure législative au sein de l’Assemblée nationale. Il n’existe pas de vide juridique. Mais au lieu de s’inscrire simplement dans cette logique de la Constitution et de la loi organique sur la Cour, les juges prétextant d’un soi-disant vide juridique, ont opté pour l’institutionnalisation de procédures consultatives de facto à la constitutionnalité douteuse. Ce « vide juridique » est ainsi à l’origine de l’ouverture jurisprudentielle de procédures qui ne sont pas formellement prévues ni dans la Constitution, ni dans la loi organique sur l’institutionnelle-même. Les Arrêts N°00-120 du 27 juillet 2000 et N°06-173 du 15 septembre 2006 évoqués dans l’Avis n°2018-01/CCM participent de cette considération comme quoi « ce vide juridique ne saurait bloquer le fonctionnement des institutions de la République ». C’est sur le fondement de cette jurisprudence que la demande d’avis du Premier ministre a été jugé recevable. Mais en même temps et à la charge de la Cour constitutionnelle, qui semble avoir ainsi pris de la liberté par rapport sinon à la lettre, du moins à l’esprit du cadre juridique, la question se pose de savoir si la Cour constitutionnelle qui procède de la Constitution peut ouvrir une procédure d’intervention qui n’est prévue ni par la Constitution ni par la loi organique la concernant.
L’aberration de l’Avis n°2018-01/CCM du 12 septembre 2018 extirpé dans des conditions jurisprudentielles douteuses, est qu’il n’a pas de force contraignante au sens de l’article 94 de la Constitution selon lequel les décisions de la Cour Constitutionnelle ne sont susceptibles d’aucun recours et s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales.
Les arguments du niet catégorique de la Cour à la prorogation de mandat des députés : le Mali n’est plus dans une Transition !
La Cour a d’abord commencé par rappeler l’Arrêt N°2013-12/CC-EL du 31 décembre 2013 qui a fixé le début du mandat en cours des députés au 1er janvier 2014 à 00H avec comme conséquence du quinquennat constitutionnel, que cette législature vient à expiration le 31 décembre 2018 à minuit. Après ce rappel, elle met en exergue l’article 61 de la Constitution relatif à l’élection des députés « pour cinq ans » comme pour souligner que la durée du mandat des députés relève avant tout au Mali de la matière constitutionnelle. Cette quasi mise en garde est renforcée par la référence explicite à l’article 29 de la Constitution qui fait du Président de la République le gardien de la Constitution, responsable à ce titre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics entre autres. Mais de manière quelque peu superfétatoire, puisque redondante par rapport à une question déjà tranchée par voie constitutionnelle, la Cour rappelle également l’article 166 de la loi électorale qui reproduit la durée constitutionnelle de cinq du mandat de député et précise que l’Assemblée nationale se renouvelle intégralement à l’expiration de son mandat. La messe était ainsi dite, puisque la Cour conclut que « de tout ce qui précède, la prorogation du mandat de député n’étant prévue par aucune disposition constitutionnelle ou législative, il y a lieu de s’en tenir aux dispositions sus référenciées ». Comme on le voit, c’est un niet simple mais catégorique à la sollicitation du Premier ministre. On regrettera simplement le fait que la Cour se soit inutilement aventurée sur le terrain de la loi électorale, alors que la Constitution très claire et catégorique sur la question du mandat de cinq ans, lui suffisait largement. De toute façon, l’on sait bien qu’au Mali, une loi ne peut déroger à une prescription constitutionnelle si tant est que le pays n’est pas en état d’exception qui par définition, est créateur de monstre institutionnel d’Etat de déni du droit et de la Constitution. C’était le cas en 2012 avec la rhétorique du rétablissement de la Constitution et ses impostures juridico-institutionnelles.
L’imposture dénoncée de la loi n°2012-024/ du 12 juillet 2012 portant prorogation du mandat des députés de la législature 2007-2012 de l’Assemblée nationale
La triste année 2012 demeure pour le Mali, celle où l’on a vu le cadre juridique et institutionnel de l’Etat vaciller entre les solutions soi-disant « conformes à la constitution » et les solutions « les plus proches possible de la Constitution », comme si la Loi fondamentale d’un pays devait se saucissonner et s’appliquer à géométrie variable. En vérité, ce qui avait été vendu à l’opinion comme un retour à la Constitution s’est évéré avéré une opération hypocrite de pseudo-rétablissement de la Constitution qui n’aura servi que de vecteur de diffusion à profusion du poison des tripatouillages constitutionnels. Tout se passait à l’époque comme si le Mali avait cessé de se réclamer d’un système de constitution rigide, au profit d’un régime de constitution souple sans véritable suprématie constitutionnelle, où toute inconstitutionnalité revenait de facto à une révision constitutionnelle implicite. En d’autres termes, le pseudo rétablissement de la Constitution avait consacré de fait un processus de dissolution de la Constitution de 1992 dans le cocktail des circonstances exceptionnelles et de la force majeure, dont l’objectif ultime fut d’anesthésier toutes les graves violations qu’elle subissait. L’une des dragées du poison de ces tripatouillages constitutionnels fut justement la loi n°2012-024/ du 12 juillet 2012 portant prorogation du mandat des députés de la législature 2007-2012 de l’Assemblée nationale, avec son article unique et inique ainsi libellé : « Le mandat des députés pour la législature 2007-2012 est prorogé jusqu’à la fin de la transition notamment par la mise en place de la nouvelle Assemblée nationale élue ». On l’aura compris, même les termes employés par cette loi attestent clairement que cette solution palliative qu’elle fût n’était que celle de l’état d’exception qui prévalait à l’époque. Il est bien précisé dans la loi que le mandat des députés est prorogé « jusqu’à la fin de la transition… ». Cinq après, que des démocrates républicains viennent exhumer et exhiber cette loi qui déshonore l’Etat de droit, il y a vraiment de quoi se faire quelque souci. Puisque le pays n’est plus dans une transition politique, va-t-ton alors proroger de nouveau le mandat des députés « jusqu’à la fin de la vie constitutionnelle » que nous connaissons tant bien que mal aujourd’hui ? Heureusement que l’Avis n°2018-01/CCM de la Cour tombe à pic comme on dit, pour définitivement jeter aux oubliettes la loi n°2012-024/ du 12 juillet 2012 portant prorogation du mandat des députés de la législature 2007-2012 de l’Assemblée nationale. Et coupe court aux tentations nostalgiques des tripatouillages juridico-institutionnelles de 2012.
Dr Brahima FOMBA, Université des Sciences
Juridiques et Politiques de Bamako (USJP)