Hôtel MAEVA Palace de Bamako a abrité mardi le 24 août 2021 une journée d’échange des membres de la Cour constitutionnelle du Mali avec les hommes de médias sur le thème général « Les pouvoirs des Cours Constitutionnelles Africaines en matière électorale». Une initiative citoyenne du Coordinateur du Cadre de Concertation des Directeurs de Publication (CCDP), Boubacar Bany Zan. Au cours de cette rencontre entre la famille judiciaire et la presse le discours du Président de la Cour constitutionnelle, M. Amadou Ousmane Touré a beaucoup attiré notre attention avec des vérités crues. Car selon lui les difficultés politiques actuelles, sont en réalité les résultats tangibles d’une gouvernance publique désastreuse. Nous vous livrons l’intégralité de son discours.
DISCOURS D’OUVERTURE DE MONSIEUR AMADOU OUSMANE TOURE, PRESIDENT DE LA COUR CONSTITUTIONNELLE DU MALI |
Messieurs les Présidents des Institutions de la République ;
Ø Monsieur le Ministre de la justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux ;
Ø Monsieur le Ministre de la Refondation de l’Etat chargé des Relations avec les institutions ;
Ø Monsieur le représentant du Ministère de l’Administration Territoriale et de la Décentralisation ;
Ø Monsieur le représentant du Ministère délégué auprès du Premier ministre, chargé des Réformes politiques et Institutionnelles ;
Ø Monsieur le Doyen, Mesdames et Messieurs les Conseillers et Monsieur le Secrétaire Général de la Cour Constitutionnelle ;
Ø Monsieur le Recteur de l’Université des Sciences Juridiques et Politiques de Bamako ;
Ø Monsieur le Président de la Maison de la Presse ;
Ø Monsieur le Président de l’Association Malienne de Droit Constitutionnel ;
Ø Monsieur le Maire de la Commune IV du District de Bamako ;
Ø Monsieur le Coordinateur du Cadre de Concertation des Directeurs de Publication ;
Ø Madame Monsieur les représentants de la MINUSMA ;
Ø Honorables invités ;
Ø Mesdames et Messieurs ;
Ø En vos rangs et qualités respectifs ;
Je voudrais, Mesdames et Messieurs, remercier chacune et chacun de vous, pour votre présence à la présente cérémonie que la Cour Constitutionnelle du Mali organise en partenariat avec le Cadre de Concertation des Directeurs de Publication du Mali.
Au nom de tous mes collègues et de tous les membres de la Cour Constitutionnelle et en mon nom propre, je vous prie d’accepter notre profonde gratitude et notre sincère reconnaissance.
Je suis très heureux de cet accompagnement de qualité qui constitue pour mes collègues et moi, la manifestation d’un grand intérêt aux travaux de notre institution, mais aussi, une interrogation, sur notre vision nouvelle, nos valeurs et nos vertus, notre éthique, nos capacités et aptitudes à accompagner le changement politique en cours, sans bien sûr, reniement du Droit et de la Justice.
Messieurs les Présidents d’Institution,
Messieurs les Ministres,
Distingués invités et participants,
Après la prise de nos fonctions à la Cour Constitutionnelle et conformément aux bonnes pratiques en cours, nous avions voulu commanditer un audit institutionnel et organisationnel, afin d’évaluer d’une part, le cadre juridique en déterminant les dispositions législatives et réglementaires inadaptées, incomplètes ou désuètes ou aux applications extrêmement sensibles, et d’autre part, la structure organisationnelle relative aux fonctions support. Par manque de moyens financiers cette activité absolument importante pour tracer notre vision et nos lignes de force dans la conduite de la gestion institutionnelle et juridictionnelle de la Cour Constitutionnelle n’a pu se réaliser.
Les résultats attendus de cet audit auraient été certainement entre autres la mise en place d’une stratégie de communication et son plan d’actions.
Monsieur le Président de la Maison de la Presse,
Monsieur le Coordinateur du Cadre de Concertation des Directeurs de Publication,
Nous avons voulu cette journée d’échange avec les femmes et les hommes des médias sur le thème général « Les pouvoirs des Cours Constitutionnelles Africaines en matière électorale » pour engager une nouvelle politique de communication institutionnelle qui concernera, les uns après les autres, tous les acteurs et observateurs du contentieux électoral. Pour ce qui est de la communication juridictionnelle, elle est déjà réalisée par les arrêts rendus par la Cour.
En effet, un Arrêt rendu par une Cour Constitutionnelle, au-delà de la décision qu’elle impose, est aussi un outil de communication.
Mesdames et Messieurs,
Nous sommes tous d’accord que dans une République qui fonctionne sur la base d’un système et de mécanismes démocratiques, et, se fonde, sur un Etat de Droit, la Constitution est la norme supérieure de l’ordonnancement juridique. Comme un Dieu vivant, tout part d’elle et tout devrait se conformer à elle. En dehors d’elle, et bien sûr du bloc de constitutionnalité qui en constitue partie intégrante, toute activité politique ou publique, individuelle ou collective, tombe dans l’illégalité la plus absolue.
Monsieur le Ministre de la Justice et des Droits de l’Homme, Garde des Sceaux,
Monsieur le Ministre de la Refondation de l’Etat, Chargé des Relations avec les Institutions,
La réalité et l’effectivité d’un Etat de Droit assurent la puissance nécessaire et la durabilité utile à une Constitution. L’Etat de droit assure la soumission des pouvoirs publics au droit constitutionnel et garantit les droits fondamentaux des citoyens. Plus spécifiquement, l’indépendance des juges et les garanties démocratiques de cette indépendance, constituent une exigence majeure dans un état de droit.
Un inventaire des lieux depuis l’adoption de la Constitution de 1992 à nos jours, serait une excellente chose, car, de cet inventaire pourrait naitre les termes de référence, pour un changement qualitatif de la Cour Constitutionnelle du Mali.
Au Mali, les articles 85 et 86 de la Constitution disposent, je lis :
Article 85 : « La Cour Constitutionnelle est juge de la constitutionnalité des lois et elle garantit les droits fondamentaux de la personne humaine et les libertés publiques.
Elle est l’organe régulateur du fonctionnement des institutions et de l’activité des Pouvoirs Publics ».
Article 86 : « La Cour Constitutionnelle statue obligatoirement sur :
– la constitutionnalité des lois organiques et des lois avant leur promulgation ;
– les règlements intérieurs de l’Assemblée Nationale, du Haut Conseil des Collectivités et du Conseil Economique, Social et Culturel avant leur mise en application quant à leur conformité à la Constitution ;
– les conflits d’attribution entre les institutions de l’Etat ;
– la régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats. »
Mesdames et Messieurs, vous noterez avec moi, que cette disposition constitutionnelle, détermine aussi bien les misions que les domaines de compétence de notre Institution, tout en indiquant son positionnement juridictionnel.
Le thème de cette journée d’échange porte spécifiquement, comme on peut le lire sur la dernière énumération des missions de la Cour, je la relis, la répétition étant pédagogique dit-on, « la régularité des élections présidentielles, législatives et des opérations de référendum dont elle proclame les résultats.»
Pour vous donner un aperçu sommaire sur la portée de cette disposition constitutionnelle majeure, et sans entamer les débats, je voudrais juste poursuivre par la lecture de l’article 40 de la Loi organique n°97-010 du 11 février 1997 modifiée, portant loi organique déterminant les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour constitutionnelle, ainsi que la procédure suivie devant elle, je lis :
« Lorsqu’elle fait droit à une requête, la Cour peut selon le cas, annuler l’élection contestée ou réformer les résultats et proclamer le candidat qui a été régulièrement élu. »
Enfin un dernier article (article 165 de la Loi électorale), pardonnez-moi je n’ai pas l’intention de rendre ces échanges trop techniques et scientifiques, donc fastidieux, mais ces dispositions me paraissent utiles. Je lis :
« La Cour Constitutionnelle procède au recensement général des votes, examine et tranche définitivement les réclamations et statue souverainement sur la régularité de l’élection des membres de l’Assemblée nationale. Dans le cas où elle constate l’existence d’irrégularités, il lui appartient d’apprécier si, au regard à la nature et à la gravité de ces irrégularités, il y a lieu de maintenir les dits résultats, soit de prononcer leur annulation totale ou partielle.
Le Président de la Cour Constitutionnelle proclame les résultats définitifs du scrutin en audience solennelle. »
Monsieur le Président de la Maison de la Presse,
Monsieur le Président du Cadre de concertation des Directeurs de Publication,
Mesdames et Messieurs des Médias,
L’exercice de ces compétences dans le cadre de la gestion des dernières élections a suscité une incompréhension généralisée.
Mesdames Messieurs, chers invités,
La communication est de tous les temps un enjeu majeur dans nos démocraties modernes. Dans le champ politique, elle retrouve sa forme la plus emblématique parce qu’elle favorise ou facilite la prise du pouvoir d’Etat.
En effet, on peut noter qu’au cours des dernières décennies, notre société a accompli des grandes avancées dans de nombreux domaines, particulièrement celui de la communication où des progrès considérables ont, en effet, été réalisés aussi bien dans les techniques que dans les moyens utilisés, pour la transcription et la diffusion de l’information. Ce qui a souvent, conduit, à des remises en cause parfois déchirantes des comportements. À l’instar d’autres structures, la Cour constitutionnelle se trouve donc à la croisée des chemins : s’en tenir à sa tradition, avec son corolaire de devoir de réserve, ou, entrer dans la dynamique d’une ouverture médiatique, plus conforme à l’air du temps.
Au regard de cet enjeu, il nous a été donné de constater, que de toutes les Institutions, la Cour Constitutionnelle est la moins bien connue et ainsi dire mal comprise tant de l’opinion publique que de la plupart des professionnels des médias.
Est-ce la raison pour laquelle, on trouve ce qu’on trouve dans la presse ? C’est-à-dire, de façon triviale je m’en excuse, une certaine caricature ou théâtralisation de nos décisions juridictionnelles.
Certainement pas !
Dans tous les cas, nous espérons et c’est l’objectif général de cette journée, que mieux découverte, mieux connue, la Cour Constitutionnelle serait mieux comprise et pourrait être utile, une alliée des médias, sans aucun compromis et dans le respect réciproque de notre indépendance et de votre liberté !
Bien sûr et par ailleurs, nous objectivons que, dans une société dite démocratique il parait acceptable que les décisions juridictionnelles puissent faire l’objet de contestations et de critiques par les hommes politiques, la presse et les universitaires.
En tout état de cause, je voudrais vous dire que cette activité ainsi que de nombreuses autres qui suivront dans le domaine, constitue la rampe de lancement de la politique communicationnelle de la Cour Constitutionnelle du Mali. Je voudrais ici, remercier Monsieur le Ministre de l’Economie et des Finances pour sa grande ouverture d’esprit et son soutien constant.
Il ne sera plus question pour notre institution « de se replier sur elle-même, de se retrancher derrière des « arrêts rideaux », pour dénier le droit à l’information. C’est d’une combinaison entre deux libertés, celle de statuer sur un contentieux électoral avec indépendance et impartialité et celle de bien informer que naitra une meilleure garantie des droits ».
Ainsi, des efforts seront faits pour renforcer ceux déjà accomplis par nos prédécesseurs pour améliorer cette communication par des partenariats, des diffusions d’images, de publications diverses auprès de publics spécialisés ou du grand public à des fins didactiques, de vulgarisation citoyenne etc.
Je partage l’avis de ce grand politologue qui dit « ce sont les carences de nos grandes institutions qui font naitre une certaine forme de presse » et celui plus solennel de Badinter qui affirme, « il y a un progrès à admettre une caméra civilisée dans le prétoire plutôt qu’à subir uniquement des caméras sauvages dans les couloirs. »
Monsieur le Ministre de la Refondation,
Pour atteindre ces objectifs importants d’appropriation de la justice constitutionnelle surtout celle électorale par les citoyens et les médias, des reformes sont indispensables. Mais avant l’élaboration de ces réformes, je ne me situe dans aucun temps, il serait utile d’évaluer et mesurer les procédures appliquées et surtout la méthode, les techniques et procédés par lesquels le juge électoral prend et rend ses décisions.
Nous sommes d’avis et ceci est un phénomène général même dans les démocraties les plus établies que les décisions électorales, surprennent et étonnent, irritent et inquiètent et finalement elles déçoivent.
Malgré tout et sans être dans le déni de la réalité de la Cour Constitutionnelle du Mali, nous exhortons et encourageons la culture de l’indulgence, et de la tolérance, parce que « la qualité de la démocratie c’est certainement la mesure, la modération, c’est le symbole des balances, l’équilibre. Et un équilibre, d’une part, entre le suffrage universel et les droits fondamentaux, et d’autre part, un équilibre entre les pouvoirs constitutionnels » écrivait Rousseau.
Le débat politique actuel sur la Cour Constitutionnelle, est plus que préoccupant. Il est inquiétant parce qu’il donne le sentiment que la Cour Constitutionnelle, « est finalement responsable de la ruine lente de notre démocratie.»
En vérité, les difficultés politiques actuelles, sont en réalité les résultats tangibles d’une gouvernance publique désastreuse, de stratégies de développement aventureuses se basant sur des politiques publiques hasardeuses aux contours de prime à bord insincères et irréels.
Le discours politique de certaines personnalités politiques sur la Cour Constitutionnelle est totalement abscons tant il voudrait selon notre lecture, faire passer le juge électoral pour un acteur politique et les hommes politiques, et, pour des nouveaux juges électoraux.
Et, comme le dit ce moraliste « c’est dans les défauts de l’autre qu’on trouve la justification de sa propre transgression ».
Tocqueville ne disait-il pas à ce sujet, je le cite « les politiques ne se bornaient plus à désirer que leurs affaires fussent mieux faites mais à vouloir les faire eux-mêmes ».
Le contentieux électoral contrairement à la signification réductrice qu’on voudrait lui donner reste une fois de plus l’enjeu majeur des élections. Il est évident, qu’une bonne organisation administrative, matérielle et logistique des élections affaiblirait substantiellement et considérablement, la nature et le volume du contentieux devant le juge électoral.
Il reste tout aussi évident, qu’un seul dossier de contentieux électoral même juridiquement excellemment bien traité, mais ayant fait l’objet d’une communication partisane, sensationnelle et évènementielle pourrait créer le chaos social. En politique, à chacun son champion qui ne doit en aucun cas perdre. On gagne ou on gagne ! La fameuse formule ivoirienne.
Il est de notoriété publique que les sommes d’argent mises en jeu dans ces compétitions sont si importantes que les mauvais perdants sont potentiellement dangereux pour la société.
A juste raison serait-on de dire, les décisions électorales deviennent aujourd’hui, un facteur d’union sacrée d’actions politiques et de grande mobilisation de l’opinion publique et souvent même de la presse, où, nous le savons tous d’une manière générale il n’y a guère une unité de regards qui sont portés sur une élection.
Face à cette situation socio-politique justifiée, l’unique bouclier et le meilleur, pour la Cour Constitutionnelle est en amont et avant la tenue de toute élection, d’informer le peuple par tous les mécanismes et moyens de communication disponibles, sur l’organisation, le fonctionnement, les contraintes, les difficultés, les procédures, les pouvoirs et limites de l’institution.
Dans ce cadre, trois (3) thèmes seront développés par d’éminents juristes choisis par la Cour. Il s’agit :
- Les règles d’organisation et de fonctionnement de la Cour Constitutionnelle ainsi que la procédure suivie devant elle qui sera présentée par Maître Moustaph CISSE, Bâtonnier de l’Ordre des Avocats du Mali, qui dispose d’une rare expertise et une très grande expérience dans le domaine électoral ;
- Les pouvoirs de reformation des résultats et d’annulation du scrutin constituent des pouvoirs exceptionnels, redoutables, exorbitants. Dr Ousmane TRAORE, un grand commis de l’Etat, excellent universitaire tentera de vous expliquer le cadre et les conditions d’exercice de ces pouvoirs ;
- Enfin, l’autorité des décisions de la Cour Constitutionnelle qui s’imposent aux pouvoirs publics, à toutes les autorités administratives et juridictionnelles et à toutes les personnes physiques et morales. Beaucoup plus redoutés et contestés, ces pouvoirs appellent un Etat de droit fort, juste et équitable. Dr Fousseyni DOUMBIA, jeune universitaire talentueux à l’esprit réfléchi et intelligent vous dira pourquoi et dans quels intérêts et limites, il est utile pour toute la société que ses décisions soient imposées.
Le modérateur choisi pour civiliser et rendre utiles les débats est un excellent Avocat, bien connu, défenseur des droits de l’Homme de la première heure, universitaire, reconnu et respecté, j’ai nommé Me Amadou Tiéoulé DIARRA.
Je ne saurais terminer mon propos, sans réitérer mes remerciements de façon singulière à mes homologues Chefs d’Institution, à Messieurs les Ministres KASSOGUE et MAIGA et à l’ensemble des invités et participants qui ont bien voulu honorer par leur présence l’éclat de cette cérémonie.
En souhaitant pleine réussite à nos travaux, je déclare ouverte la journée d’échange des membres de la Cour Constitutionnelle avec les hommes et femmes de médias en partenariat avec le Cadre de Concertation des Directeurs de Publication.
Je vous remercie.