La rupture friserait le chiqué et tournerait le peuple en bourrique si faisant pièces, à la promesse du Chef de l’État lui-même, la Haute Cour de Justice, continuait d’exister en l’état surtout qu’elle n’a pas connu d’affaire depuis sa création. Du coup, sa crédibilité de départ est au devant de la scène. Surtout qu’un budget de fonctionnement de 897 millions de francs CFA lui a été alloué en 2019 contre 905 millions en 2020. Mais à l’heure du bilan, le résultat est nul.
Sans préjudice des bonnes intentions des constitutionalistes qui ont créé la Haute Cour de Justice, le citoyen ordinaire a fini par percevoir cette instance comme une institution de complaisance, incapable de jouer le rôle à elle dévolue par la Constitution.
Recentrage et clarté du débat
En effet, force est de constater que la Cour n’a pu exercer jusqu’alors son rôle de poursuite et de mise en accusation d’un haut responsable de la République, en dépit des nombreux scandales qui ont ébranlé le pays et dont tout le monde a eu la pleine connaissance. Aussi le peuple était-il en phase avec le Chef de l’État quand il lui proposa la suppression de la Cour dans son projet de société.
Mais, il sied de reconnaître que les raisons de l’inefficacité de l’institution, qui du reste, militent en faveur de sa suppression, résident en dehors d’elle et relèvent du Législatif de par son intrusion systématique et d’entrée de jeu dans tout méfait commis par le Chef de l’État et les membres de son Gouvernement dans l’exercice de leurs fonctions respectives. La décision de les poursuivre et de les mettre en accusation est, en effet, sujette au vote à la majorité des deux tiers des députés composant l’Assemblée Nationale ; et c’est là que le bât blesse, en fait. La question essentielle, c’est de savoir pourquoi il en est ainsi et ce qui justifie une telle disposition constitutionnelle ; puis d’en convaincre le peuple, le cas échéant.
D’aucuns pourraient arguer du fait que le Chef de l’État est élu par le peuple et que, de manière discursive, il revient au peuple, en cas de malversation, de décider de son sort par l’intermédiaire des représentants que sont les députés. Il faut bien dire que le raisonnement ne manque pas de logique tout au moins en ce qui concerne le Chef de l’État. Mais alors, pourquoi la condition des deux tiers des députés ? Et c’est là que se trament et se nouent toutes les sordidités politiques n’ayant rien de commun avec l’intégrité du Chef de l’État. Le bon sens aurait été la majorité simple. Mais le bons sens n’est point la chose la mieux partagée quand la politique s’y mêle d’autant que les députés ne sont musés que par des contingences politiques et des considérations partisanes pouvant être en déphasage avec les intérêts du peuple qu’ils sont censés défendre.
Il faut dire que le raisonnement parait logique en ce qui concerne le Chef de l’État, mais quid des ministres ? Eux, ne sont tout de même pas élus par le peuple. Par ailleurs le principe de la solidarité gouvernementale ne saurait prévaloir en cas de malversation de leur part pour justifier que les membres du gouvernement soient logés à la même enseigne et bénéficient du même traitement que le Chef de l’État. C’est en raison de tout cela et parce qu’on ne peut pas avoir prise sur le Législatif qu’on trouve plus expéditif de supprimer l’institution, purement et simplement, la fin justifiant les moyens. Et pour ne pas y aller par quatre chemins, il faut dire qu’aujourd’hui la Haute Cour de Justice, est aux yeux de la population, rien moins que le symbole de l’impunité, entièrement contrôlée par l’Exécutif par le truchement de l’Assemblée Nationale, ce qui au demeurant, porte entrave au principe fondamental de la séparation des pouvoirs. Outre cela, le public ne comprend pas qu’honneur spécial soit fait à des personnes publiques qui ont dilapidé les biens dont il leur a confié la gestion. Un vol demeure un vol, qu’il soit commis par un col blanc ou un col bleu ; et le vol relève des tribunaux de droit commun. En démocratie inégalitaire où nous sommes et où la majeure partie de la population tire le diable par la queue, ne pouvant s’offrir trois repas par jour ni se loger décemment, il est carrément scandaleux d’offrir un traitement de faveur aux prédateurs. La population relevant des tribunaux de droit commun pour ses méfaits, la moindre des choses c’est que ceux qui la spolient soient soumis au même traitement qu’elle ; c’est une affaire d’équité. Si au moins il était prévu que cette fameuse Cour infligera des peines tout à fait exceptionnelles aux délinquants, l’on pourrait encore avaler la pilule, mais ce n’est même pas le cas.
C’est pourquoi, l’un dans l’autre et pour solde de tout compte, l’on devrait soutenir la suppression de la Haute Cour de Justice. Car, elle coûte chère au peuple.
Les inquiétants ballons d’essai
Le Président IBK a été porté au pouvoir, essentiellement en raison de sa profession de foi afférente à la rupture d’avec les pratiques de l’ancien régime. Mais il convient de se faire à l’idée que, pour le peuple, la rupture c’est d’abord et avant tout, la lutte contre la corruption. C’est tout le sens de l’accueil flamboyant, par les applaudissements on ne pouvait plus nourris, qui a été réservé à la dernière partie de son discours d’investiture que le Chef de l’État a prononcé au stade du 26 Mars lorsqu’il déclara, en dernier ressort, qu’il mènera la vie dure à la corruption et qu’il s’y est préparé soigneusement. Visiblement le peuple, à tort ou à raison, consciemment ou inconsciemment, lie l’amélioration de son niveau de vie à la lutte contre la corruption et aux fonds censés être récupérés dans ce cadre. Alors, il ne comprendra pas que l’institution qui symbolise l’impuissance de la lutte contre l’impunité soit maintenue en l’état. Le peuple, trépigne d’impatience et attend un signal fort contre la corruption. Laisser la Haute Cour de Justice en l’état, la laisser sans pour le moins toucher à la procédure de sa saisine, serait un camouflet qui lui sera infligé. Toutefois, les maliens s’inquiètent des ballons d’essai qui commencent à paraître tendant à préparer l’opinion à son importance. C’est à se demander alors, quelle pourrait bien être la raison de ces revirements. Peut-être est-ce péremptoire et trop risqué d’imaginer que notre Chef d’État sortant pourrait être sous quelque influence de ses pairs africains notamment de la CEDEAO qui craindraient l’effet de contagion dans la zone. C’est un pas qu’on hésite à franchir, et il demeure que nous nous devons de conserver notre appui total au peuple dans son dessein de supprimer la Haute Cour de Justice ainsi qu’il l’annonce ces derniers temps, face à l’intransigeance de nos dirigeants devant les dossiers de malversation des hauts responsables du Mali.
Jean Pierre James