Changement et rupture. Ce sont les deux vocables au nom desquels la junte, baptisée plus tard CNSP, disait avoir déposé le régime d’IBK. Mais à mesure qu’il est éprouvé par les défis, le dispositif institutionnel de l’après-IBK s’écarte impudiquement des vertus républicaines.
Au cœur de ce chaos démocratique se retrouve d’abord une Cour suprême dépositaire de l’autorité judiciaire et garante des principes et bonnes pratiques juridiques. Elle a pu tolérer, en effet, à coups de compromissions sur toute la ligne, une avalanche d’irrégularités dans la gestion du chamboulement institutionnel survenu le 18 Aout dernier : désignation biaisée et viciée du président de la Transition, manipulation de la charte de Transition et des textes fondamentaux, manœuvres dolosives sur la vacance de pouvoir, etc. C’est dans ces conditions de légèreté, de transgression et de tolérance collective du manquement à la légalité que le vide laissé par IBK a été comblé par le président intérimaire, Bah N’Daw – dont le serment a été reçu par la plus haute juridiction dans un parjure accompli. Et pour cause. Donnant l’air d’être la plus redevable parmi la poignée d’institutions épargnées par la vague putschiste, la Cour suprême, garante du pouvoir judiciaire, a davantage confirmé sa complaisance dans l’instrumentalisation, à travers un avis très mitigé et contestable quant à l’incidence de la Transition sur la hiérarchie des normes juridiques au Mali. Sollicitée par le Secrétariat général de la présidence, pour ce faire, elle s’est notamment illustrée par une posture très peu glorieuse entre les deux étapes ayant jalonné sa démarche.
Au niveau d’une première chambre consultative, ladite Cour s’est d’abord prononcée en faveur d’une suprématie de la Charte de Transition sur la Constitution du 25 février avant de corriger le tir en assemblée consultative plus élargie avec une opinion inverse sur la même question. En clair, c’est finalement la Constitution du 25 février qui prime sur la Charte de Transition dans les visas de textes juridiques et administratifs, a ainsi tranché la Cour suprême en ultime ressort et en vertu de l’avis de consultation juridique numéro 13-2020/CS-AC.FR en date du 07 octobre dernier. Lequel avis de consultation rend caduc le précédent jugement d’une chambre consultative restreinte en date du 25 Septembre 2020.
Mais, qu’il s’agisse de leurs compostions élargies ou restreintes, les différentes chambres de la plus haute juridiction du Mali étonnent toutes par la faible teneur et la légèreté des argumentaires qui soutiennent chacun des deux avis contradictoires émis sur la question. Dans l’un, la prééminence de la Charte de Transition repose entre autres sur les «insuffisances de la constitution, la démission du président de la République et la dissolution de l’Assemblée nationale ainsi que sur l’article 26 de la même charte qui stipule «qu’en cas de contrariété entre la Charte de la transition et la Constitution du 25 février 1992, les dispositions de la présente Charte s’appliquent». Quant au second et ultime avis de la Cour suprême, il se fonde sur le seul principe d’ancienneté de la Loi fondamentale pour soutenir sa prépondérance sur la Charte quand bien même les deux textes pourraient être départagés sur leurs origines et fondements légitimes : un texte circonstanciel qui émane d’un pouvoir conjoncturel de fait ne saurait en effet le disputer à une constitution découlant d’une volonté populaire. Quoi qu’il en soit, la donne n’est pas sans implications juridiques d’autant qu’elle abroge de fait la disposition de la Charte selon laquelle celle-ci l’emporte en cas de contrariété avec la constitution. Mais, en choisissant d’esquiver les raisonnements juridiques qui fâchent les princes du jour, les différentes membres de la Cour suprême auront manifestement failli à leur engagement solennel commun de se comporter en toute circonstance «en digne et loyal magistrat». Il s’agit manifestement d’un parjure contagieux d’autant que les plus hautes autorités de la Transition ne paraissent pas moins blâmables pour la même attitude libertaire à l’égard de leurs engagements solennels. Après avoir juré la main sur le cœur de respecter et de faire respecter la légalité, le nouveau président de la République par intérim affiche vis-à-vis de la loi une indifférence pour le moins indicative de la valeur accordée au serment et à la solennité dans le nouveau Mali prônée par les autorités de fait. En atteste un gouvernement composé avec moins de femmes que le nombre prévu par la législation en vigueur. Sur huit (8) représentantes possibles de la gent, c’est la moitié qui siège dans l’équipe gouvernementale de Transition au mépris flagrant de la Loi 052 portant «mesures de promotions du genre dans l’accès aux fonctions nominatives et électives». De quoi déclencher une vive protestation des organisations féminines contre les hautes autorités – alors que la violation tous azimuts de la procédure de leur investiture était passée inaperçue.
A KEÏTA
Excellente analyse sur la forme et sur le fond. Bravo M. Keïta!
Outre les nombreux parjures et violations manifestes de notre textes que avez éloquemment relevés, on peut aussi souligner l’absence de déclaration de patrimoines de nos nouvelles autorités (Président et gouvernement notamment). Plus inquiétant est le silence assourdissant de la classe politique et de la société sur ce manque flagrant de transparence. Pourtant, TOUT le Mali sait que la corruption et l’impunité particulièrement de nos gouvernants sont à la base de nos malheurs. Dès lors, en l’état il est fort à parier que demain ressemblera à hier. La montagne de la junte est donc bien partie pour accoucher d’une souris. La refondation de notre Faso tant souhaitée et annoncée semble encore et encore être un leurre. Hélas, pauvre Mali! Pauvres de nous!
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