Cette semaine, la rédaction de Bonne Lecture a rencontré un passionné de lecture du nom de Baba Djourté. Ce brillant intellectuel a bien voulu partagé son expérience de lecture avec nous. Suivez plutôt l’entretien !
« La lecture est la voie royale pour comprendre, un tant soit peu, l’univers dans lequel nous évoluons… ».
Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Baba Djourté, journaliste-réalisateur Diplômé du Centre d’Etudes des Sciences et Techniques de l’Information (CESTI), Spécialité Radio/Télévision, de l’Université de Dakar (aujourd’hui Université Cheikh Anta DIOP). Et cela, après des études en Lettres Modernes et en Philosophie au Lycée Askia Mohamed, études sanctionnées par un Baccalauréat en Philosophie (à une époque où le Baccalauréat se déroulait en deux parties). Je suis fier de faire partie – avec mon ami Souleymane DRABO, Directeur Général de l’Agence Malienne de Presse et de Publicité- des toutes premières promotions de journalistes maliens formés à l’université, à la sortie du lycée.
Ma carrière professionnelle commence en Octobre 1978 à la Radiodiffusion Nationale du Mali (Radio Mali) où j’ai tour à tour exercé les responsabilités de Chef de la Section Reportages, de Rédacteur en Chef du Journal Parlé, puis de Chef de la Division Informations jusqu’à l’avènement de la Télévision, le 22 Septembre 1983.
Présentateur du Journal Parlé- dans toutes ses éditions- puis du Journal Télévisé, j’ai occupé à partir de 1997 les fonctions de :
– Conseiller technique au Ministère de la Communication, chargé des médias ;
– Conseiller à la Communication de la Délégation Générale aux Elections ;
– Conseiller à la Communication de la Commission de Régulation de l’Electricité et de l’Eau (CREE).
Aujourd’hui encore, j’évolue dans le domaine des médias comme Consultant mais aussi comme Directeur de Radio Liberté, la première radio commerciale créée au Mali.
Au nombre de mes passions : la lecture, le cinéma, les voyages, les échanges sur tous les sujets concernant la société, l’Internet…
En tant que citoyen malien, j’ai la ferme conviction que notre pays ne pourra véritablement se développer que sans la maîtrise de deux préalables : un système éducatif solide et dynamique, d’une part ; une agriculture moderne et performante, d’autre part.
Qu’est-ce que la lecture selon vous ?
La lecture, au-delà des définitions académiques que l’on peut en donner (action de lire, de prendre connaissance d’un écrit, de déchiffrer, e t c) est pour moi une nourriture de l’esprit, la clé pour une bonne culture générale, la clé pour comprendre le monde contemporain, moderne mais aussi les civilisations qui ont précédé les nôtres. C’est la voie royale pour comprendre, un tant soit peu, l’univers dans lequel nous évoluons.
D’une certaine façon, la lecture nous sort des ténèbres de l’ignorance de certaines choses de la vie et nous permet d’avoir un meilleur éclairage des choses. Exemple concret : une personne qui lit régulièrement le journal « Le Monde diplomatique » est plus apte à comprendre les politiques étrangères menées çà et là, par les grandes puissances surtout- en fonction des intérêts politiques, géostratégiques et économiques des uns et des autres- que quelqu’un qui ne lit pas ce journal ! Bref, la lecture permet une ouverture sur le monde.
Quand est-ce que vous avez commencé à lire ?
Comme la plupart des gens de ma génération, c’est au Cours Préparatoire première année de l’école (CP1 comme on disait à l’époque) – l’école coloniale, je précise – que j’ai commencé la lecture, à partir du « Syllabaire ». C’était une véritable découverte pour moi et ce ne fut pas facile. C’était tout nouveau pour moi et ça se passait dans une langue qui m’était parfaitement inconnue. Ce n’était pas toujours de gaieté de cœur : l’apprentissage comportait beaucoup de contraintes mais en fin de compte, il a été très bénéfique.
Qu’est-ce que la lecture vous a apporté ?
Beaucoup de satisfactions, même s’il est difficile de vous donner une réponse précise à cette question tant il est vrai que la lecture procure de nombreux avantages. Disons que la lecture m’a permis de connaître et de savoir parler d’autres langues, différentes de ma langue maternelle qui est le Sénoufo. Elle m’a apporté toute une série de connaissances, spécifiques et générales et m’a amené à des sommets que je ne pouvais m’imaginer à mes débuts. En toute modestie, je peux dire que c’est la lecture qui a fait de moi le journaliste que je suis devenu (bien sûr, la vocation et la passion y ont leur place).
La lecture est pour moi une fenêtre ouverte sur le monde et me permet de voyager –à volonté- dans le temps et dans l’espace, ce qui me permet de connaître d’autres pays, d’autres civilisations, d’autres peuples et de me faire une idée sur le monde actuel et l’histoire. Que c’est passionnant lorsque vous tenez entre les mains un livre qui vous parle de l’Egypte des Pharaons, de la civilisation des Mayas, qui vous parle d’astronomie comme « Le grand livre du ciel » ! Je peux d’autres lectures relatives à d’autres sujets : la philosophie, l’anthropologie, le changement climatique, la dérive des continents, l’économie …
On a coutume de dire que les maliens ne lisent pas, selon vous, ce constat amer est dû à quoi ?
C’est difficile à dire. Je pense que c’est lié à plusieurs facteurs. Le livre n’est pas facilement accessible pour la grande majorité de nos concitoyens des villes et beaucoup plus des zones rurales. Les conditions de vie sont telles que les gens ne s’adonnent pas très tôt à la lecture. Ensuite, il faut le souligner, le livre coûte cher. Prenez l’exemple des journaux : un journal quotidien coûte entre 200 francs et 300 francs. Combien de Bamakois en achètent plus d’un, du lundi au vendredi et de façon régulière ?
C’est une question économique dans une certaine mesure ; il y a aussi que l’on n’incite pas les enfants très tôt à la lecture. Lorsqu’ils s’y mettent, les enfants, les élèves ne reçoivent pas l’encadrement nécessaire. Je suis toujours frappé d’étonnement par la façon de lire (à haute voix) de certains de nos jeunes concitoyens.
Avec l’arrivée de l’internet, ne craigniez-vous pas la disparition du livre imprimé ?
Non, je ne le pense pas. Autant la radio et la télévision n’ont pas empêché les gens de continuer à lire des journaux et des livres – comme l’on le pensait- autant le livre imprimé, par rapport à l’Internet, continuera d’attirer un grand public. Il n’est que de voir le nombre de livres qui sortent des maisons d’édition tous les jours (dans les pays développés en particulier) et tous les salons du livre qui se tiennent à travers le monde…
Personnellement, j’aime bien naviguer sur le Net mais j’aime savourer de temps en temps un bon roman policier, un bon polard de James Hadley CHASE ou d’Agatha CHRISTIE, de « revisiter » un des classiques de la littérature malienne, Sous l’Orage de Seydou Badian KOUYATE, ou encore l’un des grands classiques du théâtre français, Le Cid de Pierre Corneille.
Quel appel avez-vous à lancer pour que les gens lisent beaucoup dans notre pays ?
Plutôt qu’un appel, ce sont des propositions :
– Que les pouvoirs publics prennent des mesures rendant les livres plus accessibles aux tout petits et aux jeunes ;
– Si l’initiative n’existe déjà, les responsables de l’Education nationale doivent lancer dans chaque école, au niveau du primaire, un concours de lecture destiné à récompenser les meilleurs élèves dans la discipline ;
– Que les parents incitent leurs enfants à la lecture, en leur faisant savoir qu’elle ouvre beaucoup de portes.
Votre dernier mot
De la lecture, on tire toujours « quelque chose ». Je constate que les nombreuses heures que j’ai consacrées à lire des livres n’ont pas été vaines. Je termine par cette citation : « S’il arrive que le nom de la science soit omis dans l’article, la lecture suffira pour connaître à quelle science il se rapporte ». Jean Le Rond d’Alembert, Discours préliminaire de l’Encyclopédie.
Interview réalisée par Mamadou Macalou