Le dernier rapport de l’organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) publié début 2015, indique que «le Maroc est toujours le premier producteur de résine de cannabis du continent africain, principalement à destination de l’Europe.»
La drogue est cultivée principalement dans le rif marocain, dans la région de Ketama. Dans cette contrée, selon nos investigations, près de 80.000 hectares produisent annuellement 100.000 tonnes de kif brut, engendrant près de 2 milliards de dollars de revenus tous les ans. Au milieu des champs, un nombre incalculable de hangars de stockage, des ateliers de fabrication de différentes variétés de «zetla» et du «double zéro». Les lieux du seigneur sont inviolables ; il est plus facile d’aller en touriste sur la lune que de pénétrer à l’intérieur de ce site industriel à ciel ouvert.
La route de l’Algérie
La production de Ketama, bien gérée par un réseau, prend inéluctablement deux destinations : l’Espagne et l’Algérie. Des véhicules qui s’approvisionnent selon un programme bien défini sortent des plantations avec en moyenne 2 quintaux chacun. Comme on sort d’une huilerie ou d’une cimenterie. Une fois le droit de passage payé, les véhicules avalent l’asphalte tranquillement en direction d’Oujda, capitale de l’Oriental et porte privilégiée sur l’Algérie. Et c’est là que la pègre négocie : qualité, quantité, prix, date de passage… Et comme la frontière est poreuse, la traversée s’effectue après que «le laissez-passer est obtenu». La marchandise, qui est convoyée de nuit ou à l’aube, généralement à dos d’âne, jamais à bord de véhicules à moteur, est acheminée à la limite de l’escorte officielle jusqu’aux entrepôts des villages avoisinants de Maghnia, de Marsat Ben M’hidi, Souani, Sebdou…
Les baudets sur des kilomètres
Le baudet. Cet animal docile dont les besaces sont remplies de haschisch a appris à emprunter des itinéraires précis pour livrer à destination la marchandise. Une mission où il se fait rarement « arrêté » tant ses maîtres le télécommandent quasiment à distance. L’âne est dirigé par des écouteurs collés à ses oreilles. Des écouteurs reliés à un walkman attaché quelque part sur son corps.
Pour beaucoup de narcotrafiquants, pour ne pas incommoder ou « surcharger » leur « moyen de locomotion » lui font subir tout un test pavlovien avant de lui confier la mission. L’âne devient ainsi un automate qui exécute les ordres sans faille. Fidèle à sa programmation, il fonce cahincaha vers sa destination prédestinée. «Il n’y a plus d’ânes dans la région et pour en trouver un, il faut débourser jusqu’à 50.000 DA (400 euros). Oui, oui, ne vous étonnez pas, un baudet est plus rentable chez un trafiquant que chez un agriculteur», explique sérieusement un éleveur de la commune frontalière de Bab El Assa. «Et même quand le pauvre baudet est intercepté, le contrebandier n’est jamais démasqué ou identifié, puisque l’animal ne porte pas d’immatriculation», renchérit notre interlocuteur avec sarcasme.
Le travail de ces mammifères quadrupèdes commence au crépuscule et à l’aube : à partir du tracé frontalier, les «processions» (entre dix et quinze baudets) acheminent la marchandise jusqu’aux bourgades frontalières (Béni Boussaïd, Ouled kaddour, Sidi Boudjenane, Bab El Assa, et de là, les véhicules prennent le relais pour le convoyage de la drogue à destination des métropoles algériennes, notamment Oran, la capitale de l’Ouest algérien, Alger, l’est et le Sud du pays.
Les transactions se font d’une manière étudiée. «Ecoutez, monsieur, personne n’est dupe, les trafiquants achètent la route pour faire passer leur poison. «Ici, nous sommes tous en situation de sursis, le pouvoir de l’argent peut nous broyer en un clin d’œil. Quant aux barons, les vrais, ceux qui font et défont les lois locales, ceux-là on ne les voit pas. L’ostentation vient de leurs proches, mais bon», lâche désabusé un ancien dealer de la région qui recyclé dans la vente de pièces détachées pour poids lourds.
Ces derniers 14 mois, la douane et les différents services de sécurité (police et gendarmerie) ont procédé à la saisie de pas moins de 150 tonnes de résine de cannabis. Une quantité assimilée par les autorités algériennes à un acte de guerre. Une guerre dont les jeunes sont les premières victimes. Mais quand on sait que l’armée algérienne a creusé des tranchées profondes de trois mètres et larges de deux mètres et que son homologue chérifienne a érigé un grillage haut de trois mètres tout le long du tracé frontalier -une distance de 70 km – pour lutter contre l’immigration clandestine et le trafic de toute nature, l’on se demande par quelle magie, les contrebandiers de tout acabit, continuent de se mouvoir sur les lieux en terrain conquis ?!
Trafic de cannabis, un business qui rapporte gros
Le prix d’un kilogramme de résine de cannabis varie selon la qualité et le lieu de la transaction. A Maghnia, par exemple, il est cédé en moyenne, entre 40.000 DA et 80.000 DA (l’équivalent de 4 00 et 8 00 euros). Sur le tracé frontalier, il coûte moins. En revanche, à Oran, Alger ou à l’est du pays, les prix sont doublés, triplés, voire quadruplés. En fait, on l’a compris, plus la distance entre la frontière et la destination de la marchandise s’agrandit, plus le prix augmente. C’est calculé, entre autres, au nombre de risques encourus. Quant au joint (la cigarette de haschisch) généralement, 2 à 3 grammes, le tarif varie entre 200 et 400 DA (l’équivalent de 2 et 4 euros). Lors de son convoyage, des laboratoires de Ketama au Maroc vers l’Algérie, la drogue est généralement empaquetée en plaquettes de 1 à 5 kilos chacune.