Stratégies de dialogue: faiblesses et atouts

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Pour faire face à la dégradation continue de la situation sécuritaire, les autorités, après avoir mis en œuvre les mécanismes d’un processus inclusif de stabilisation et de paix, explorent à présent la piste de pourparlers avec les jihadistes maliens. Mais, le manque d’interconnexion des intervenants, l’approche même du dialogue sont des défis à relever pour la pleine expression des atouts.

Dans les discours officiels, l’on se défend d’avoir des initiatives concurrentes, sans pouvoir non plus nier l’absence de convergence des actions, le seul dénominateur étant la promotion du vivre ensemble, le retour de la paix et de la sécurité.

La nouvelle approche

A priori, le correctif apporté à l’approche en vue de la stabilisation du pays est salutaire. Le tout sécuritaire cohabite désormais avec d’autres stratégies. Par exemple, pour la mise en œuvre de sa stratégie globale de stabilisation des régions du Centre (Ségou et Mopti), dans son volet humanitaire de relèvement et de développement, le Gouvernement va mettre à la disposition du Projet de Relance et de Reconstruction Économique (PRRE) un montant de 12,3 milliards de francs CFA pour cette année 2020. Ces douze milliards vont concerner, entre autres, les secteurs suivants : la sécurité alimentaire ; l’eau, l’hygiène et l’assainissement ; la santé et la nutrition ; les abris et les biens non alimentaires ; l’éducation.

À cette action nationale, il faut ajouter celle (aléatoire) du G5 Sahel qui a adopté, dans le cadre du développement durable, un Programme prioritaire d’investissement (PIP) qui a été esquissé, pour répondre aux besoins du développement, notamment en matière de gouvernance, de sécurité, de résilience économique et d’infrastructures. Le G5S souhaite un financement à hauteur de 14,8 milliards de dollars pour le réaliser.

En sus, dans la dynamique de mettre fin au cycle de violence et de réconcilier les Maliens, les autorités ont mis en place des structures dédiées à promouvoir le dialogue.

Les limites du MARN

L’une de ces premières structures est la Mission d’appui à la réconciliation nationale (MARN) rattachée au Ministère de la Cohésion sociale, de la paix et de la réconciliation nationale. Créée par décret n° 2017/0367/PM-RM du 28 avril 2017, elle a pour mission : de concevoir les outils adéquats à la promotion de la réconciliation nationale ; d’identifier, au niveau national, les forces sociales capables d’influer sur le règlement diligent des conflits ; de déterminer les causes endogènes et exogènes des conflits et proposer des solutions ; d’identifier les voies et moyens susceptibles d’accélérer la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation nationale ; de proposer des mesures de gestion des conflits tenant compte des us et coutumes.

Sous l’impulsion de son Chef de Mission, l’ancien ministre Modibo KADJOKE, la MARN s’est beaucoup investie à assister le ministre en charge de la Réconciliation dans les questions liées à la réconciliation, pour un Mali en paix et des Maliens tolérants. D’importants efforts ont été déployés dans des actions de communication sur les stratégies de réconciliation ; le renforcement de la société civile dans la prévention et la gestion des crises d’ordre local ; l’accompagnement des autorités dans la mise en œuvre de l’accord d’Alger, etc.

Pour autant, globalement, le résultat est bigarré comme l’atteste l’exacerbation des violences intercommunautaires.

Le lundi 10 juin 2019, le village de Sobame Da était attaqué. Bilan officiel : 95 morts et de 19 portés disparus, plusieurs animaux abattus et des maisons incendiées.

Environ un mois avant, un communiqué de la MINUSMA du 4 mai 2019 souligne la dimension intercommunautaire du conflit au Centre : ‘’des membres de la communauté Dogon ont été tués au cours de plusieurs incidents distincts survenus les 1er et 2 mai 2019 dans le centre du Mali.

Mercredi, au nord de Mondoro (région de Mopti), des assaillants ont tendu une embuscade durant laquelle plusieurs Dogons ont perdu la vie. Jeudi, d’autres membres de la même communauté ont été tués alors qu’ils tentaient de retrouver les corps des victimes de la veille. Au cours des incidents, un membre de la communauté Peulh aurait également perdu la vie. Au total, au moins 18 morts sont à déplorer’’.

Auparavant, il y a eu une attaque du village de Ogossagou (commune de Bankass, cercle de Bankass, région de Mopti), le 23 mars 2019. La MINUSMA dans ses conclusions préliminaires de la mission d’enquête spéciale sur les graves atteintes aux droits de l’homme commises à Ogossagou, révèle : ‘’au cours de l’attaque, les assaillants ont tué au moins 157 membres de la communauté peule’’. Elle souligne : ‘’les dozos ont également incendié au moins 220 cases dont certaines, dans lesquelles les villageois s’étaient réfugiés’’.

Une nouvelle fois, la dimension intercommunautaire du conflit est mise en relief.

Plus tôt, le 1er janvier 2019, il y a eu une attaque dans le village de Koulogon Peul ayant causé la mort d’une trentaine de personnes. La MINUSMA met cette barbarie sur le compte de conflits intercommunautaires (Dogon/Peulh).

Cette évolution négative de la situation sécuritaire démontrait à suffisance que le seuil de l’intolérable est atteint et qu’il fallait trouver une alternative aux réponses jusqu’alors apportées, tout au moins les renforcer.

Ainsi, du point de vue militaire, le Conseil supérieur de la défense a planifié le ‘’Nouveau concept opérationnel’’ reposant sur le tout offensif. Bien sûr, la détermination n’aura pas résisté à étendue du massacre de Tabankort dont la conséquence a été un désengagement de certaines positions.

Le mandat décalé du HRPRRC

Le Président IBK a pris une initiative politique en créant par décret N° 0586/PRM du 31 juillet 2019 un Haut Représentant du Président de la République pour les Régions du Centre (HRPRRC) incarné par l’ancien Président de la Transition, le Pr Dioncounda TRAORE. Au terme de ce décret, il est chargé des missions suivantes : favoriser et soutenir le redéploiement des Forces de défense et de sécurité dans les Régions du Centre ; faire désarmer toutes les milices et forces hostiles ; élaborer et mettre en œuvre une stratégie globale axée sur la protection des civiles menacés par des violences physiques et la réduction des violences intercommunautaires ; contribuer au rétablissement des services sociaux de base ; veiller à ce que les responsables des violations des droits de la personne et d’atteinte à ses droits ainsi de violations du droit international humanitaire aient à répondre de leurs actes et soient traduits en justice ; assurer le suivi du sort réservé aux crimes perpétrés à Koulongo, Ogossagou et Sobane Da ainsi que d’autres crimes semblables commis au centre du pays ; faciliter les échanges intra-communautaires et de contribuer au rapprochement des points de vue à la lumière de l’intérêt exclusif du peuple malien ; contribuer à l’instauration et au maintien d’un climat de confiance entre toutes les communautés et entre ces communautés et l’État ; contribuer à rétablir les activités économiques du centre, sécuriser les travaux agro-sylvo-pastoraux et promouvoir l’investissement productif ; faire un plaidoyer pour la mobilisation des ressources financières en faveur du développement.

Même si dans les axes stratégiques des actions à mener le Haut Représentant du Président de la République pour les Régions du Centre, annonce : ‘’ le dialogue ne sera pas écarté a priori. (…) Car même une seule vie épargnée compte’’ ; il apparaît clairement qu’il n’a pas reçu mandat pour cela.

Pourtant, l’ancien Président de la Transition a révélé, lors de sa première conférence de presse, avoir jeté une passerelle entre lui et Iyad en lui faisant part de sa disponibilité à dialoguer. Il n’y a pas eu retour, avait-il fait savoir.

En fait, à ce niveau, il y a une espèce d’anachronisme. D’autant plus qu’au moment de la prise du décret de nomination du HRPRRC, le dialogue avec les jihadistes n’était pas à l’ordre du jour. C’est le Dialogue National Inclusif (DNI), sur la thématique n°1 ‘’paix, sécurité et cohésion sociale’’, qui a recommandé, dans le cadre des actions prioritaires : ‘’engager le dialogue avec Iyad et Kouffa pour ramener la paix au Mali’’. Alors, fort de cette légitimité populaire, le Président IBK, en marge du 33e sommet des chefs d’État de l’Union africaine, lors d’une interview accordée à RFI et France 24, a déclaré : « J’ai devoir aujourd’hui et mission à créer tous les espaces possibles et à tout faire pour que par un biais ou un autre on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit possible », « l’idée de dialoguer avec les chefs jihadistes n’a pas surgi au réveil d’IBK ».

Avec cette nouvelle donne, un recadrage de la mission du Haut Représentant du Président de la République pour les Régions du Centre d’impose.

Parmi les autres intervenants à la résolution de la crise malienne, il y a la Commission vérité, justice et réconciliation (CVJR) ; la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) qui appuie les initiatives, à divers niveaux, visant à promouvoir la paix et la cohésion sociale.

La stratégie gagnante

Mais, dans ce fatras de structures, une seule semblait avoir la légitimité de dialoguer avec les jihadistes maliens, à savoir la Mission de bons offices mise en place par l’ancien Premier ministre, Abdoulaye Idrissa MAIGA, présidée par l’ancien Président du Haut conseil islamique du Mali, l’Imam Mahmoud DICKO. Jamais adoubée par le Président IBK, la Mission a été trucidée par l’ancien Premier ministre Soumeylou Boubèye MAIGA. Avec cette pendaison sur la place publique, la seule passerelle qui existait entre les autorités et les chefs jihadistes s’est désagrégée.

À la décharge des autorités nationales, le dialogue avec les jihadistes n’était pas leur éclectisme. Maintenant, c’est le cas. La structure qui a tenté d’établir le contact avec Iyad, à savoir le Haut Représentant du Président de la République, est butée à une taciturnité tintamarresque, pendant que civils et militaires continue à faisander dans l’horreur.

La nouvelle orientation stratégique requiert donc une nouvelle stratégie opérationnelle dont le fer de lance devrait être la réviviscence de la Mission de bons offices, avec ou sans l’Imam Mahmoud DICKO, mais de préférence avec lui. Parce qu’il avait déjà réussi à s’aliéner la sympathie de Iyad et surtout qu’il avait déjà abattu un travail colossal dans l’établissement d’un pont avec ce chef jihadiste. Pourquoi réinventer la roue ?   

Le talon d’Achille

Le grouillement de structures sans aucune connexion les unes avec les autres n’est pas nécessairement gage de réussite dans un contexte de pourrissement avancé de la situation sécuritaire où le vivre ensemble est rudoyé. La seule convergence, dans cette pétaudière, est la stabilisation et la paix. Mais, cela devrait avoir comme substrat naturel indispensable la synergie des actions, au lieu d’une balkanisation des efforts, à travers une pléiade de structures.

Une autre faiblesse, c’est cette fameuse ligne rouge qui peut avoir une portée ambivalente. On ne touche pas à la LAÏCITÉ. Cette intransigeance qui a un fondement constitutionnel pourrait, soit effaroucher l’interlocuteur, auquel cas, on se retrouvera seul autour de la table, soit les parties se retrouvent autour de la table pour un dialogue de sourds. D’évidence, la ligne rouge est une violation des fondamentaux du dialogue : on parle de tout, on ne s’entend pas sur tout, mais on s’entend sur certains points. Au finish, chacun y trouve son compte ou pas, mais on y sera allé sans a priori. That’s the way.

In fine, il faut reconnaître que dans les mécanismes mis en place pour ramener la paix et la réconciliation il y a une imbrication des forces et des faiblesses qui ôte toute visibilité à l’action sur le terrain.

PAR BERTIN DAKOUO

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