Déjà contrarié par les revirements spectaculaires de la situation sécuritaire dans le Centre, le vocable «montée en puissance» est en perte manifeste d’allure et vit ses derniers instants dans la rhétorique dominante avec la tournure dramatique de l’insécurité dans le septentrion.
Alors que la polémique battait son plein sur la réalité du siège de Tombouctou par des terroristes, la tragédie sécuritaire a atteint son paroxysme, la semaine dernière, avec une série d’attaques meurtrières contre les populations civiles et militaires. La cruauté djihadiste s’est d’abord manifestée dans la matinée du jeudi, en ciblant des centaines de passagers du bateau «Tombouctou» aux abords des rives de Rharous. De cette mythique bâtisse flottante, l’état des débris restants en dit long sur l’ampleur des pertes infligées par les jets assassins de roquettes. Les victimes sont ainsi passées, en l’espace de 24 heures, d’une soixantaine de morts annoncés par les canaux gouvernementaux à plus de la centaine (civils et militaires confondus) que des sources officieuses assurent avoir dénombré sur le lieu de leur inhumation massive. Y figurent des femmes, des hommes, des vieillards, des enfants et même des bébés n’ayant pu survivre à la noyade, à défaut de compter parmi les nombreux cadavres défigurés par la calcination dans les confins du bateau.
Les équivoques et confusions qui entourent les proportions réelles du drame sont corroborées, au demeurant, par l’angoisse de nombreuses familles sans nouvelles édifiantes sur leurs proches et qui ne comptaient plus que sur le miracle pour retrouver les leurs parmi les quatre centaines de survivants repêchés par les secouristes de Rharous.
Ce drame a précédé un autre assaut meurtrier du camp militaire de Bamba, non loin du lieu de la tragédie, et que ses occupants avaient probablement dégarni pour prêter main forte aux passagers du bateau. Aucun bilan n’a filtré sur l’épisode revendiqué par le même groupe terroriste ayant perpétré, le lendemain vendredi, l’attaque suicide de la forteresse de Gao – dont aucun bilan n’est disponible en dehors des spéculations. En plus des importants dégâts matériels, d’aucuns parlent d’une trentaine d’éléments emportés par les déflagrations ou les tirs du commando longtemps retranché dans le camp.
De quoi justifier, quoi qu’il en soit, un deuil national de trois jours qui sonne comme le marqueur le plus visible d’une dégradation sécuritaire consécutive au retrait des ultimes forces étrangères du Mali. L’épisode de Ber et le blocus de Tombouctou en sont les éléments déclencheurs, mais le retour en force des assauts meurtriers et ravageurs de casernes s’annonçaient déjà par le lourd tribut que les populations civiles de certaines contrées ont payé ces derniers temps au fléau terroriste. C’est le cas de Menaka où la mémoire collective consigne de nombreuses centaines de paisibles citoyens massacrés dans le silence ou encore Ansongo où le même mutisme avait été entretenu autour des tueries massives et extorsions massives de bétails imputés aux hordes djihadistes de l’EIGS.
Le black-out sur l’ampleur réelle de l’insécurité n’a su résister en revanche aux bruyantes manifestations du phénomène dans les zones les moins propices au règne de l’opacité. En effet, sous forme d’indignations et de désarroi devant les implications humanitaires du phénomène sécuritaire, des signaux de détresse, auront retenti de façon plus alarmante depuis le Centre du Mali où la submersion des milices locales, ultime bouclier antiterroriste en l’absence de forces régulières, a contraint les populations de nombreuses localités isolées à l’abandon de leur terroir pour des destinations plus paisibles. Les cortèges de personnes délogées se bousculent sur les artères interurbaines, dans un décor de catastrophe humanitaire qui contrastait manifestement les espoirs suscités par «la montée en puissance». De la teneur de ce slogan fétiche, il ne reste en définitive que la justification des ressources budgétaires massivement consacrées aux secteurs de la défense et de la sécurité, pour des résultats déjà mitigés et qui risquent de paraître décevante davantage avec la reprise des hostilités entre les FAMa et les principaux protagonistes de l’Accord pour la paix. Et pour cause : face au pari d’imposer la paix par les moyens propres et de s’affranchir des contraintes exogènes, l’armée régulière accumule les épreuves, depuis la reprise des emprises léguées par le départ de la Minusma. Alors que sa «montée en puissance» se heurte au défi d’assurer la libre circulation des personnes et des biens, l’hostilité désormais affichée des connexions nébuleuses (groupes rebelles et terroristes) est en passe de relancer le péril d’une partition du pays, avec à la clé la réunion d’ingrédients comme les déclarations de guerre, les mobilisations et rappels de troupes sous la bannière séparatiste, des interventions aériennes et des répliques victorieuses de positions rebelles, etc.
A. KEÏTA