Qui ne connaît la cité historique des 333 Saints de l’Islam au Mali ? Peut-être bien que nous, « barbus », ignorons tout de Tombouctou ? Alors la question est de savoir : à combien mesurerons-nous l’atteinte la portée au patrimoine national ?
Les occupants de fait des territoires du Nord-Mali viennent de se distinguer d’un trait par leurs agissements en créant les « conditions d’une profonde déstabilisation de la société ». Certaines grandes villes occupées du Nord sont en proie à un asticotage tant elles sont contrariées par des bagatelles du fait des hommes. Dans ces villes occupées, on ne se parle plus au lieu de faire parler les versets du Coran. Des actes profanateurs ont eu lieu sur le Gina Dogon à Douentza, le monument Al Farouk, et le vendredi dernier sur les mausolées des saints à Tombouctou. Ces gestes de profanation ont mis sous pression le gouvernement, mais aussi le Haut Conseil Islamique dans son rôle d’intermédiation. Si bien que l’information à retenir est qu’une grande réunion de tous les musulmans se préparerait où les principaux dignitaires religieux ne seront pas absents. Tous essayeront, nous dit-on, de donner une réponse nationale à l’insoutenable traumatisme qui court dans la communauté des croyants.
Les occupants des groupes d’Ançardine et compagnie ne veulent pas perdre le contrôle des villes, mais la légitimité de leur présence s’érode.
L’histoire de l’Islam est inscrite dans les sites d’Es Souk avec les bâtisseurs d’empires, des savants et autres lettrés. Le patrimoine qui s’y trouve est un bien commun qui fait la singularité de tel ou tel autre coin. Disons même que ce patrimoine peut être en construction car c’est un marqueur d’identité. Toute la communauté nationale se prévaut de ces 52 ans de coexistence. Aujourd’hui, c’est cette République qui, d’abord sociale comme l’affirme la Constitution, puis laïque et solidaire, qui est menacée dans son existence. Si chaque société se célèbre et se commémore par ses rites, rituels et coutumes, d’où nous vient que l’on s’inquiétât aujourd’hui de nos rapports des sociaux dans ces villes occupées ? A Tombouctou, les populations ont montré leur désaveu pour les gens qui avait agi ainsi. Cela ne risque-t-il pas de rendre difficile le modus vivendi entre eux ? Quelle liberté religieuse se jouerait-elle à ce jour. Et pourtant, l’on doit se garder de faire passer le mot « Charia » dans le vocabulaire comme un synonyme. Dans les mouvements derniers, le mot désignerait en fait l’ensemble de préceptes fondamentaux régissant le droit musulman. C’est dans nos sociétés actuelles que le terme soulève des polémiques. Aujourd’hui, on serait même tenté de dire qu’on le voit comme un épouvantail…La Charia deviendrait donc un outil (de propagande) politique et psychologique. Pour certains, le mot « Charia » rend même antinomiques les droits de Dieu ( ?) et ceux de l’homme. Au Mali, la majorité de nos populations rejette cette façon de voir car pour un grand nombre de pratiquants sincères, la transcendance divine ne peut être conçue qu’à travers l’immanence de la foi. On peut rencontrer le mot « Charia » (disons-le ici fortuitement) dans la Sourate 18 au verset 18 quand on entend parler de loi pertinente, de loi claire. Le rigorisme qu’afficheraient aujourd’hui nos « conquérants du jour » peut être vu comme une action conservatrice pour rassurer les petites gens. Le problème pour nos « fous de Dieu » au Nord, c’est de nous regarder, nous autres habitants du Sud, comme des gens d’un pays voisin…
Derrière les masques qu’ils affichent, ce sont des pouvoirs de contractualisation qui sont en jeu. Les puissances tutélaires ne sont pas loin. Cependant, ceci ne dit pas tout de la prolifération des mouvements djihadistes au Nord. On peut dire que c’est AQMI qui peut contrebalancer les positionnements du MNLA au Nord. Le Coran n’enseigne-t-il pas que « les divergences dans la communauté sont un acte de grâce »? Nos rigoristes du jour fixent les règles de comportement comme s’il s’agissait d’actes de piété. Comme lapider les auteurs d’adultère, couper les mains des voleurs, voiler les femmes, détruire les images et autres représentations après les avoir saccagés…La question est de savoir si l’agilité intellectuelle des casuistes habiles ne va pas polluer l’immuabilité et l’intégralité de la révélation coranique. Est-ce pourquoi nous considérerons la religion comme une source naturelle, sinon unique, de toute normalité ? Les intégristes peuvent déroger aux règles prudentes parce qu’ils jugent nécessaire de « faire des exemples » pour des raisons politiques. Le conservatisme religieux devient alors pointilleux. Les occupants veulent construire dans le Nord une ceinture culturelle qui les protégerait. Mais de quoi ? De toute agression ? Ce faisant, ils s’inscrivent dans une perspective d’affrontement qui généraliserait ainsi l’exemple d’une austérité sociale. Nous sommes en face d’un pari : plus le temps passe, plus la position des islamistes se renforcera sur place. Malgré tout, il y aura un coût en termes d’images et de réputation. Nous y sommes…
S.Koné