Le documentaire choc « Salafistes » ambitionne de montrer une réalité jusqu’ici invisible de l’islamisme radical. Pour cela, le réalisateur français François Margolin et le journaliste mauritanien Lemine Ould Salem relatent les discours salafistes sans filtres et filment la charia en action, de l’amputation jusqu’à l’exécution. Ils dépassent consciemment les limites que la majorité des médias occidentaux se sont posées. Présenté en avant-première et dans des conditions imprévues (restriction d’accès aux plus de 18 ans et floutage d’une scène) au Festival international de programmes audiovisuels (Fipa) à Biarritz, avant la sortie en salle le 27 janvier et suivi d’une programmation prévue sur Canal +, ce « chocumentaire » anime le débat autour des questions essentielles face aux dangers d’un islamisme radical : Où se trouvent les limites de l’Information ? Doit-on diffuser tout pour documenter l’Histoire ? Entretien.
Votre film Salafistes est dédié aux victimes des attentats à Paris et ailleurs. Comment tenez-vous le choc de faire des interviews avec les bourreaux dont vous déplorez après les victimes provoquées par leurs attentats ?
Lemine Ould Salem : Ce n’est pas un sujet très facile. Le contact avec ce genre d’acteurs n’est pas évident. Cela dit, je pense que nous avons travaillé comme nous le faisons d’habitude, de façon très objective en allant voir ces gens, en essayant de savoir : Qui sont-ils ? Comment pensent-ils ? Pourquoi agissent-ils comme ils le font ? Et nous avons évité d’être dans la position de donneur de leçon ou de moralisateur, parce que nous pensons que le spectateur est assez intelligent pour comprendre et de se faire une idée.
François Margolin : Il y a très peu de temps, je me suis aperçu que dans mes films, j’ai toujours eu tendance à interviewer ceux qu’on appelle les bourreaux ou les méchants. Ou comme dirait Hitchcock : plus le méchant est réussi, plus le film est réussi. Cela m’a toujours intéressé d’interviewer des gens qui ne sont pas aimés par les autres. Dans les Salafistes, je suis parti d’un constat : eux, ils nous connaissent extrêmement bien. Et nous, on ne les connaît pas. Il me semble important de connaître les gens qui sont en face de nous et qui, eux, ont décidé d’être en guerre contre nous. Ils font le jihad. C’était important de comprendre ce qu’ils ont dans la tête, parce que, jusque-là, trop souvent, les gens font des documentaires en ayant strictement un point de vue moral.
Vous avez enquêté de 2012 jusqu’à aujourd’hui, dans plusieurs pays comme le Mali, la Mauritanie, la Tunisie, l’Irak, la Syrie… Est-ce une tentative de définir ce que cela veut dire d’être salafiste aujourd’hui ?
Lemine Ould Salem : On n’a pas la prétention de définir cette secte du salafisme aujourd’hui. Nous voulions poser des questions beaucoup plus simples : comment se fait-il que des individus décident aujourd’hui de prendre des armes ou de se faire exploser ou de prendre en otage d’autres individus ? On espère bien montrer que les salafistes ne sont pas tous pareils. Nous avons interrogé plusieurs théoriciens et acteurs. Avec le film, chacun peut se faire une idée du salafisme.
Vous montrez la charia en action : la main coupée d’un voleur, une lapidation, les flagellations, etc. Où sont les limites pour ne pas devenir le porte-parole ou le haut-parleur des salafistes ?
François Margolin : La limite c’est justement ce qu’on montre. Faire un film sur les salafistes, c’est forcément quelque chose qui est sur le fil du rasoir, mais en même temps, il faut montrer ce qu’ils font, en contrepoint de leur parole qui est très doucereuse, très établie. C’est un système de pensée, qui, pour certaines personnes, peut même sembler extrêmement séduisant. La réalité de ce qu’ils font, par moment, c’est l’ultraviolence, filmée avec un certain plaisir par eux-mêmes : des homosexuelles jetés d’un toit, filmés avec quatre caméras pour montrer tous les points de vue. On a aussi interviewé les victimes, mais les propos des victimes étaient finalement moins fort que la violence que les salafistes eux-mêmes prônent et montrent, parce qu’ils en sont fiers. Par exemple, on a aussi rencontré des yézidis, des esclaves sexuels, mais leurs propos étaient bizarrement très en dessous et ne faisaient pas un réel contrepoint.
En quoi votre film est-il inédit ?
Lemine Ould Salem : C’est la première fois que nous avons aussi bien des acteurs de ce qu’on appelle aujourd’hui le jihad que des théoriciens du jihad. Nous avons aussi des personnes ayant vécus sous l’autorité de groupes jihadistes, notamment dans le nord du Mali, de façon très posée, sans contraintes, et de façon très libre, parce qu’il n’y a pas de commentaires ou de voix-off dans le film. Nous avons estimé qu’il est nécessaire d’écouter ces gens, tels qu’ils sont, sans interférence aucune. Là aussi, je pense que c’est la première fois ou une des premières fois que ces gens sont montrés de façon libre, sans que leurs propos soient interprétés, sans que leurs propos soient victime ou l’objet d’un montage orienté. Nous avons voulu un travail assez « froid » sur ces gens-là.
Vous soulignez que vos interlocuteurs étaient libres dans leurs réponses. Est-ce que vous étiez libres de filmer comme vous le souhaitiez ?
Lemine Ould Salem : Dans la mesure que nous acceptions les règles qu’ils ont fixé, nous étions libres de travailler. C’est-à-dire une sorte de [pacte] : nous nous engageons à faire notre travail de façon professionnelle. Eux, ils s’engageaient à nous parler d’une façon libre et sincère. C’était une sorte d’engagement réciproque. Ils ont respecté leur parole. Nous avons aussi respecté notre parole. D’ailleurs, le film prouve que nous avons été très honnêtes et très respectueux de nos engagements.