Outre l’absence d’une idéologie fédératrice, susceptible de transcender leur soit disant lutte, la dizaine d’agitations armées rebelles est handicapée par l’absence de chefs charismatiques. Leurs chefs, loin d’être les porte-drapeaux de leurs mouvements, apparaissent plutôt comme de petits entrepreneurs militaires, bien enracinés localement, mais incapables de fédérer au-delà de leur fief ou de leur tribu.
Ce sont pour la plupart d’anciens déserteurs, des fonctionnaires en rupture de ban ou des étudiants ayant abandonné leurs études en cours de route. Leurs troupes sont composées de compagnons d’armes ayant eu le même parcours qu’eux, mais aussi de jeunes désœuvrés et d’adultes ayant perdu leurs troupeaux à la suite des sécheresses à répétition de la décennie 80.
Ces chefs ont fréquemment acquis leur expérience militaire dans les rangs du Front Polisario ou au sein de la Légion islamique. 1200 vétérans de cette légion auraient poursuivi leurs activités martiales au sein des différents fronts touaregs. Pragmatiques et opportunistes, ces chefs de guerre sont susceptibles de revirement spectaculaire, à condition que le camp d’en face soit capable d’y mettre le prix. Leur légitimité au sein de la communauté touarègue est ainsi sujette à caution. D’autant que seule une fraction minoritaire des touaregs, se réclamant de l’Azawad, est favorable à la lutte armée. Contrairement à ce que pensent la plupart des Maliens, nombreux sont ceux qui estiment pouvoir obtenir satisfaction de leurs revendications autrement qu’en empruntant la voie des armes.
Équipés de véhicules 4 x 4 et d’armes légères en quantité, les fronts rebelles du Nord ont multiplié depuis 1990 les opérations de harcèlement contre les symboles et les représentants du pouvoir central malien. Contrairement à ce qui se passe aujourd’hui, les opérations d’antan ont été la plupart du temps de faible envergure. Il est rare qu’elles aient mobilisé plus d’une centaine de combattants simultanément.
Le quotidien de ces attaques était fait de raids surprises contre des localités, brièvement investies, contre des bâtiments officiels ou contre des infrastructures et d’embuscades contre des convois, autant civils que militaires. C’est ce qui explique que, bien souvent, la frontière est des plus ténues entre actions militaires et actes de banditisme. Après avoir entamé à partir de novembre 1994 un dialogue prometteur avec les autorités maliennes qui aboutira à une série d’accords de paix en 1995, les chefs des différents fronts rebelles du Nord cesseront temporairement leurs luttes fratricides. Un ambitieux plan de paix va alors être élaboré. Notamment la réinsertion de 1500 anciens combattants au sein des corps en uniforme de la fonction publique malienne (armée, gendarmerie, garde nationale, police, douane, service des eaux et forêts), tandis que plus de 9000 autres pourront bénéficier du Programme d’appui à la réinsertion des ex-combattants (mis en œuvre par le programme des Nations unies pour le développement) et destiné à leur permettre de se reconvertir dans des projets socio-économiques de leur choix (dans le secteur de l’agriculture, de l’élevage, de l’artisanat, du commerce) dans le but de redynamiser l’économie des régions septentrionales. On peut, par ailleurs, noter la restauration de la sécurité avec le soutien de la France : le retrait de l’armée du Nord-Mali a été compensé par le déploiement d’unités «mixtes» comprenant d’anciens rebelles et dirigées par ces mêmes chefs attentistes.
Rokia Diabaté