Que faire des mécréants et des déserteurs ?… La doctrine d’Aqmi

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Abdel Malek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, numéro un d'al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)
Abdel Malek Droukdel, alias Abou Moussab Abdelwadoud, numéro un d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)

La deuxième partie du document retrouvé à Tombouctou par RFI etLibération est composée de deux fatwas. Les fatwas et le document politique de Droukdel pour le nord du Mali, quatre-vingts pages environ, formaient sans doute un livre de bord pour les jihadistes. Les fatwas, émises par le comité de jurisprudence d’Aqmi, portent sur le sort à réserver aux mauvais musulmans et aux déserteurs. Depuis leur arrivée à Tombouctou en avril 2012, les brigades d’Aqmi ont des difficultés à cohabiter avec des communautés peu imprégnées par la doctrine salafiste, et imposent brutalement la charia. Droukdel et le comité de jurisprudence d’Aqmi prônent au contraire la clémence.

Première fatwa : Droukdel en appelle à la doctrine pour justifier la clémence

Dans la première fatwa, les théologiens d’Aqmi mettent en garde contre les excommunications expéditives, et contre les dangers de l’excommunication sans fondement. Il ressort également de cette fatwa que l’excuse pour cause d’ignorance, la contrainte, et l’empêchement, peuvent être retenus dans une large palette de situations. Le conseil de jurisprudence d’Aqmi choisit de clore la fatwa par un appel à la prudence : « Beaucoup pensent que l’on peut faire triompher la vérité par l’extrémisme au point de finir par élargir la sphère de l’excommunication à ceux que ni Allah, ni le prophète ne juge mécréants. Alors il faut observer la plus haute prudence pour ne pas tomber dans l’extrémisme qui nous empêcherait d’accepter la divergence légitime au point de tomber dans l’innovation, l’excommunication et de semer la discorde parmi les musulmans

 

 

Cette fatwa a été rédigée en 2010. Elle a été retrouvée trois années plus tard dans des locaux occupés par des jihadistes à Tombouctou, et ce n’est pas anodin, selon Dominique Thomas, spécialiste des mouvements islamistes à l’EHESS. « Des chefs des petites brigades jihadistes durant l’occupation du nord du Mali ont été confrontés à des populations peu imprégnées du salafisme. Certains ont décidé d’appliquer la charia avec brutalité, en partie parce qu’ils ont eux-mêmes une connaissance peu élevée de la charia, d’où l’intérêt de se référer aux recommandations des instances religieuses d’Aqmi », explique le chercheur doctorant.

 

 

Cette doctrine vient appuyer le document politique d’Abdelmalek Droukdel sur le Mali. Dans sa feuille de route, le chef d’Aqmi encourage ses hommes à faire des concessions, il vante la vertu de la flexibilité pour associer la population à son projet d’Etat islamique de l’Azawad. C’est pourquoi Droukdel tenait à ce que ses hommes au nord du Mali s’imprègnent des fatwas. « C’était très important en terme d’image, car pour séduire, le comportement des jihadistes devait être en adéquation avec les idées de Droukdel, qui prônait la modération, donc sur le terrain les jihadistes devaient être irréprochables pour que son projet aboutisse ».

 

 

L’opération Serval a certes mis fin au projet, mais Droukdel a sans doute tiré les leçons de cette expérience, et des difficultés à mettre en œuvre sa stratégie.

 

 

Seconde fatwa : le chef d’Aqmi s’oppose à l’exécution systématique des déserteurs

Un autre document du comité de jurisprudence, daté du 15 mai 2010, est très éclairant sur les procédures internes d’Aqmi. Elle répond à une question relative au jugement des « déserteurs ». Le mot utilisé dans le texte arabe signifie littéralement les « descendeurs », en référence aux éléments qui étaient dans les rangs des moudjahidines dans les montagnes et qui sont «descendus ».

 

 

D’emblée, Droukdel, cité directement par le conseil de jurisprudence d’Aqmi (la choura), se prononce contre l’exécution automatique des déserteurs : « Le devoir du musulman est aussi bien de traiter les faits et les personnes, selon les critères légaux tels qu’ils ont été compris et expliqués par les érudits sunnites, que d’éviter de réagir sous l’influence des faits et remédier à l’erreur par l’erreur, ce qui a constitué et constitue une cause de déviation des groupes ».

 

 

Sur cette question, Droukdel a évolué, estime l’islamologue Mathieu Guidère. « Lorsque le président algérien Abdelaziz Bouteflika avait offert aux jihadistes l’immunité en cas de repentir, Droukdel avait menacé d’exécution tous ceux qui seraient tentés par son offre.» L’inflexion de Droukdel est sans doute liée à l’évolution du chef d’al-Qaïda Ayman al-Zawihiri, mais aussi aux difficultés que rencontre Aqmi au niveau du recrutement. « Une doctrine trop rigoureuse risque de dissuader les combattants sur le point de rejoindre Aqmi, ou d’encourager des membres à déserter », souligne Mathieu Guidère. « Droukdel trouvait que Abou Zeid (chef de l’importante brigade Tareq, tué en mars 2012. ndlr) était très rigide sur ce point, son rival Mokhtar Belmokthar l’était moins, il lui était donc plus facile de recruter », ajoute l’islamologue.

 

 

Le chef d’Aqmi, Droukdel, encourage donc le cas par cas. « Le commandement de l’Aqmi, écrit Droukdel, pense qu’il n’est convenable – en aucun cas – de traiter les affaires des ” déserteurs ” de manière générale, par l’exécution ou la grâce, mais plutôt les aborder au cas par cas. Ainsi, lorsqu’il existe des preuves sur le soutien et la collaboration contre les moujahidines, le coupable sera condamné à la peine capitale, sans discernement, mais celui qui nous épargne et cesse ses activités malveillantes à notre encontre, sera sauf ».

 

 

Dans les cas où l’exécution est retenue, la fatwa prévoit une procédure complexe.
Si un soldat détient des preuves attestant de la traîtrise d’un membre, plus précisément si un membre a choisi de changer de camp et de combattre ses anciens frères moujahidines, le soldat doit présenter cette preuve à l’émir de la compagnie ou au capitaine du bataillon, qui saisit ensuite l’émir régional. Les faits rapportés sont examinés par l’émir, le juge et le conseiller régional, avant délibération. Même si les preuves sont avérées, l’émir peut décider de ne pas recourir à une exécution, si celle-ci présente trop « d’inconvénients ». La décision de l’émir régional engage tous ses subordonnés, quiconque la transgresserait en connaissance de cause encourt des sanctions. Dernière étape : le commandement d’Aqmi atteste devant Allah qu’il a œuvré pour obéir à Dieu.

 

 

Par Nicolas Champeaux rfi.fr

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