Paix au Mali : Le gouvernement se dit prêt à dialoguer avec les jihadistes

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Pour sortir de l’impasse militaire et du cycle infernal de violences intercommunautaires dans le centre du Mali, le groupe de réflexion International Crisis Group recommande au gouvernement malien de tenter un dialogue avec les jihadistes et leurs partisans.

L’ICG considère que le succès d’une telle initiative est incertain, mais qu’elle vaut d’être tentée. Il préconise « un changement de cap », combinant pression militaire, dialogue et désarmement pour amener à la table des négociations les chefs de la « katiba du Macina » du prédicateur radical peul Amadou Koufa, apparue en 2015 dans cette région, devenue la plus sanglante du pays. « Nous sommes d’accord sur le principe et nous y travaillons déjà », assure le ministre malien de l’administration territoriale, Boubacar Alpha Ba.  Avant d’ajouter : « On a des expériences dans la région du Centre, où les représentants des chefferies locales ont eu langue avec certains membres de ces groupes, donc le dialogue existe. Maintenant, comment le formaliser ? Quelle pédagogie faut-il pour qu’il y ait un dialogue véritable entre eux et nous”.

La négociation, une piste légitime et envisageable

L’actuel chef de la diplomatie malienne qui a occupé par le passé ce même portefeuille a toujours été convaincu que la recherche de la paix passe par la négociation, même avec les pires criminels islamistes.

Tiébilé Dramé ne nourrit pas l’ambition d’obtenir le prix Nobel de la paix, comme le président colombien Juan Manel Santos. Mais l’ancien ministre des Affaires Étrangères du Mali, n’en est pas moins convaincu que la cause de la recherche de la paix vaut qu’on négocie avec les pires criminels. Y compris les djihadistes, auteurs d’exactions abominables dans le nord de son pays.

« Il ne sert à rien de nous cacher derrière notre petit doigt, regardons plutôt la vérité en face. Nous avons aujourd’hui des Coulibaly, des Mamadou, des Tounkara, des Konaté dans les groupes djihadistes : ce sont nos frères maliens. Nous devons parler avec eux », avait affirmé dans un passé récent, la voix posée et le regard perçant, ce sexagénaire Malien.

De ses années de luttes durant,  l’actuel chef de la diplomatie malienne et président du PAREANA a gardé l’expérience de l’évaluation du rapport des forces qu’il applique au conflit qui oppose le Mali aux groupes islamistes armés, tels que Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Eddine, le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao) ou le Front de libération du Macina (FLM).

 « Face au harcèlement permanent, il faut trouver une porte de sortie, y compris en prenant langue avec l’ennemi », explique à grand renfort de gestes celui que tout Bamako décrivait comme le plus sévère procureur du président malien Ibrahim Boubacar Keita, dit « IBK ».

À en croire l’ancien leader de l’Union nationale des élèves et étudiants du Mali (Uneem), de nombreuses personnalités partagent son point de vue. « L’aménokal des Touareg et l’ex président du Haut Conseil islamique malien m’ont assuré que le dialogue était une piste légitime et envisageable », a-t-il argumente. Avant de poursuivre : « Je suis sûr que de nombreuses personnalités nous rejoignent sur ce point, mais elles n’assument pas leur choix de crainte de déplaire ». Principalement aux partenaires occidentaux.

Convaincre les sceptiques

Pour convaincre les sceptiques, Tiébilé Dramé abat sa dernière carte en invoquant la nécessité pour le Mali de préserver ses relations avec ses voisins. « Des chefs djihadistes comme Mokhtar Belmokhtar, Abou Zeid ou Abderrazak El Para n’avaient pas vocation à se retrouver au Mali. Ils s’y sont installés à l’époque par la faute des dirigeants de notre pays. En revanche, Iyad Ag Ghali, Amadou Kouffa et les autres sont nos frères. C’est avec eux que nous devons discuter dans le cadre des assises nationales qui aborderont tous les problèmes du Mali. »

De 1996 à 1997, Tiébilé a occupé les fonctions de ministre des zones arides et semi-arides, poste qui lui a donné la légitimité et l’expertise pour mener à bien les négociations entre l’État et les groupes armés touareg à Ouagadougou en 2013. C’est sans doute cette qualité de négociateur qui donne aujourd’hui un écho tout particulier à son appel dans le passé aux discussions avec les djihadistes.

La plupart des participants à la Conférence d’entente nationale qui s’est tenue à Bamako avaient cru comprendre que le gouvernement était ouvert à la négociation. Mais quelques jours après, Ibrahim Boubacar Keïta avait balayé d’un revers de la main toute possibilité de discuter avec « les terroristes ». « Actuellement, nous ne sommes pas en capacité matérielle de vaincre par la force ces groupes djihadistes. Le principe de réalité voudrait que nous discutions avec Iyad Ag-Ghali et tous les autres djihadistes, à la seule condition qu’ils soient maliens », a expliqué au Monde Afrique Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance nationale (Parena).

Koufa pose trois conditions à la négociation avec le pouvoir

Le fondateur du Front de libération du Macina demande notamment le départ de la force française « Barkhane » et de la mission de l’ONU.

Dans un passé récent, deux émissaires d’Amadou Koufa, le fondateur du Front de libération du Macina (FLM), un mouvement djihadiste malien, se sont rendus à Bamako pour apporter un message au professeur Alioune Nouhoum Diallo, ancien président de l’Assemblée nationale et, surtout, figure emblématique de la communauté peule. « Amadou Koufa les avait chargés de dire au professeur qu’ils ont tous deux en commun de détester le mensonge et les menteurs. Et qu’ils peuvent donc discuter », a raconté au Monde Afrique un témoin direct de ces tractations, de passage à Paris.

Selon lui, Amadou Koufa, prédicateur peul actif dans la région de Mopti et figure de proue d’un mouvement qui a revendiqué depuis 2015 nombre d’attaques mortelles et d’attentats dans la zone, pose comme première condition à toute négociation avec le pouvoir le départ de l’opération « Barkhane ». Lancée en août 2014, la force française a notamment pour mission de lutter contre le terrorisme dans la bande sahélo-saharienne qui s’étend de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. « Amadou Koufa estime que tant que “Barkhane” sera au Mali, le président Ibrahim Boubacar Keïta ne pourra jamais appliquer les engagements qu’il prendra », a détaillé un bras droit d’Alioune Nouhoum Diallo.

Deuxième condition posée par le fondateur du FLM : le départ, également, de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (Minusma). « Ce n’est pas surprenant, il a toujours réclamé le départ de toutes les forces étrangères, y compris les casques bleus. Il veut que les Maliens discutent entre eux sans intermédiaires ni témoins », a détaillé cette source à ‘’Le monde Afrique’’.

Enfin, troisième préalable à toute négociation : dans la première phase des pourparlers avec Bamako, Amadou Koufa exige d’avoir comme interlocuteur le professeur Alioune Nouhoum Diallo. Ce dernier a eu a présidé à Mopti, des assises destinées à contribuer au retour à la paix dans le centre du Mali. En présence d’environ 180 participants, il a veillé à ce que des personnes se réclamant ouvertement d’Amadou Koufa s’expriment librement.

« C’est au moment de ces assises que l’amorce des négociations s’est produite. Il y avait clairement des lieutenants d’Amadou Koufa dans l’assistance. Ils sont allés, sans doute, lui rapporter les propos du professeur Nouhoum Diallo, qui disait que si Koufa aime la vérité et déteste le mensonge, il doit se rapprocher de lui », analyse un participant à la rencontre de Mopti.

En dépit des moyens engagés par les forces armées maliennes et l’opération « Barkhane », Koufa ce fidèle lieutenant d’Iyad Ag-Ghali, le leader d’Ansar Dine avec qui il a créé le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM), continue de se déplacer dans les villages du Macina, où il est plutôt perçu comme un défenseur des droits des Peuls. Selon une source digne de foi, c’est Amadou Koufa qui a organisé  en 2016 dans le Macina la traversée du fleuve Niger par des éleveurs peuls qui se rendaient en transhumance. « Il n’y avait ni administration ni forces de sécurité maliennes. C’est Amadou Koufa qui a supervisé le passage des animaux en trois endroits du fleuve Niger. Et tout s’est très bien passé », raconte, mi-surprise mi-amusée, une figure respectée de la communauté peule.

Position floue du d’IBK

Sur le principe des discussions directes avec les groupes djihadistes, la position du pouvoir malien reste floue. La plupart des participants à la Conférence d’entente nationale qui s’est tenue à Bamako avaient cru comprendre que le gouvernement était ouvert à la négociation. Mais quelques jours après, Ibrahim Boubacar Keïta avait balayé d’un revers de la main toute possibilité de discuter avec « les terroristes ». « Actuellement, nous ne sommes pas en capacité matérielle de vaincre par la force ces groupes djihadistes. Le principe de réalité voudrait que nous discutions avec Iyad Ag-Ghali et tous les autres djihadistes, à la seule condition qu’ils soient maliens », avait expliqué, à l’époque, au ‘’Monde Afrique’’ Tiébilé Dramé, président du Parti pour la renaissance nationale (Parena).

Plusieurs personnalités, parmi lesquelles Mahmoud Dicko, l’ancien président du Haut Conseil islamique malien, ont plaidé ouvertement pour des négociations avec Iyad Ag-Ghali, Amadou Koufa et les autres. Pour l’heure, le président IBK hésite à franchir le pas. Il craint sans doute de se placer dans une position inconfortable vis-à-vis de la communauté internationale, en particulier de la France.

Mariam Konaré

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