Le président malien et une partie de la population s’insurgent contre l’ingérence de la France qui pousse les autorités à négocier avec les rebelles touareg. “Serval, dégage !” C’est la première fois depuis janvier 2013 et l’arrivée des militaires français au Mali pour en chasser les djihadistes que résonnent à Bamako des slogans aussi radicaux contre la France.
Le 28 novembre, des centaines de Maliens défilaient dans la capitale en direction de la place de l’Indépendance. Comme toute manifestation, le lieu d’arrivée est un symbole. “À bas la France, à bas la politique française”, “nous voulons que François Hollande libère Kidal”, clament les organisateurs de la manifestation.
La veille, une autre marche, sur le même thème, avait eu lieu dans les rues de Bamako. Le message lors de ces deux manifestations est clair : la France doit quitter le pays et surtout changer sa politique à Kidal, ville située au nord du pays où il y a un mois Ghislaine Dupont et Claude Verlon, deux journalistes de Rfi, étaient assassinés dans des circonstances encore troubles.
Personne ne remet en doute l’intervention française. De nombreux jeunes remercient d’ailleurs volontiers les forces armées pour leur aide, mais “il est temps”, comme il est écrit sur les tee-shirts, de laisser les Maliens décider de leur politique.
Dans la presse nationale, ces derniers jours, les titres ressemblent eux aussi à des slogans contre la politique française et dénoncent le “double jeu” de François Hollande à Kidal. Au diapason de l’opinion, le président Ibrahim Boubacar Keïta : “Beaucoup a été fait pour le rétablissement de la démocratie au Mali. (…) Nous avons des troupes qualifiées pour intervenir et rétablir l’ordre au sein de notre État”, a-t-il déclaré sur Bfm jeudi soir.
LE SPECTRE DE LA PARTITION
Motif de cette colère : la France est accusée de complaisance avec le Mnla, le mouvement de libération de l’Azawad, ces rebelles touareg qui réclament l’indépendance du nord, qualifiés de “terroristes” par de nombreux Maliens.
Contrairement à Gao ou à Tombouctou, où l’armée malienne est en mesure de jouer un rôle de premier plan, à Kidal, seuls 200 soldats français sont présents, cantonnés dans leur campement militaire. Censée empêcher les “débordements” entre armée malienne et rebelles à Kidal, cette force est de moins en moins acceptée et commence à ressembler pour certains à une occupation qui dérange.
À Bamako, les manifestants réclament donc que leur armée chasse définitivement les rebelles de la région. “Ils ont pillé, ils ont violé, ils ont tout fait au nord”, crie un manifestant pendant que le haut-parleur embarqué dans la voiture en tête du cortège continue de cracher “Serval, Minusma (la mission de l’Onu au Mali), dégagez”. “Nous sommes sûrs que la France encourage la partition du Mali. Nous, la partition du Mali, nous sommes contre, vive l’unité du pays ! Il n’est pas question de laisser la France décider de notre politique territoriale”, affirme une jeune femme qui organise la mobilisation de la jeunesse malienne pour “redresser la situation du pays”.
LES CRAINTES DE LA POPULATION AU NORD
Reste qu’au nord tous les habitants ne sont pas de cet avis : un directeur d’école à Gao ne craint qu’une chose, que Serval parte et que l’armée malienne, qualifiée de troupe d’amateurs, soit la seule à garder le contrôle de la zone. Une zone où de “nombreux djihadistes” sont encore cachés dans les villages autour de la ville de Gao, dit-il.
“Il n’y aura pas d’autonomie, pas d’indépendance (du Nord-Mali, Ndlr), je suis clair là-dessus”, a déclaré IBK jeudi soir sur France 24. Le président malien a encouragé le Mnla à “se calmer”, puis il a affirmé qu’il n’était “pas question que l’on traite le Mali comme un pays sujet”. Des déclarations censées redorer le blason d’un président qui déçoit une partie de ses électeurs, restés en grande partie chez eux lors du premier tour des élections législatives fin novembre. Et qui jettent un froid à l’ouverture du sommet pour la paix et la sécurité en Afrique, à l’Élysée, et alors que la France envoie une fois de plus ses soldats rétablir l’ordre en Centrafrique.
De notre correspondante à Bamako, Pauline Jacot
Source: Le Point du 06 décembre 2013