On serait tenté de voir dans l’annonce par le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le Haut Conseil pour l’unicité de l’Azawad (HCUA) et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA) de leur décision conjointe de libérer le gouvernorat et le siège de l’antenne locale de l’ORTM à Kidal, un début de la décrispation de la situation dans le nord du Mali. Mais en réalité, ce serait se bercer de trop d’illusions. Dans les faits, le contrôle des autorités souveraines du Mali sur le vaste territoire récemment libéré par les Jihadistes, n’est que très relatif, pour ne pas dire aléatoire. Des poches de résistance terroriste demeurent toujours en de maints endroits. Alors que pour ce qui est des touarègues, le gouvernement malien a les mains liées par la protection tacite que la communauté internationale, dans son ensemble et la France en particulier, leur témoignent. Une situation qui commence de plus en plus à agacer Bamako et qui pourrait constituer la raison d’un divorce prématuré entre François Hollande et un Ibrahim Boubacar Keïta, plutôt jaloux de la souveraineté de son pays. En dépit des efforts de discrétion et des subtilités des discours diplomatiques, l’opposition entre les autorités de Bamako et celles de la France, à propos de la position équivoque de Paris à l’égard du MNLA, est de plus en plus évidente…
Elle s’est en particulier manifestée après l’enlèvement et la mort de Ghislaine Dupont et Claude Verlon le 2 novembre dernier. Même s’il ne l’avait pas clairement dit, Ibrahim Boubacar Keïta avait notamment vu dans la perte des deux journalistes, la rançon d’une sympathie incompréhensible que la France témoigne aux Touarègues qui, avec la bénédiction de l’ancienne puissance coloniale, sont maîtres de Kidal.
On peut même imaginer que la décision des trois groupes indépendantistes touareg de libérer les deux édifices publics de Kidal est une conséquence de cette protestation vive de la part de Bamako. En réalité, ce n’est pas le MNLA qui a lâché du lest, mais c’est Paris qui donne l’impression d’écouter un peu mieux Bamako.
Sauf que cette concession à minima est loin de résoudre le problème. Parce qu’aussi paradoxalement que cela peut l’être cette concession en soi confère au MNLA et aux deux autres groupes touareg une force qui ne leur était pas jusqu’ici formellement reconnue : celle de faire de l’occupation de Kidal un objet de chantage et un enjeu des négociations.
Progressivement, les entités identitaires de l’Azawad sont en train de s’ériger (ou d’être érigées) en force égale et opposée à l’Etat souverain du Mali. Un statut en perspective que le MNLA commence déjà à endosser, avec le communiqué dans lequel il s’est élevé contre la mort de trois personnes, lors d’accrochages ayant opposé, vendredi dernier dans les environs de Menaka, les troupes régulières maliennes à des hommes que Bamako a qualifiés de “bandits armés”.
En fait, selon nos informations, lesdits accrochages étaient entre des hommes du MNLA et des soldats maliens. C’est dire qu’avec l’assurance que lui confère le soutien implicite de la France, le MNLA prend des galons !
Mais justement, pourquoi la France agit-elle ainsi avec les Touaregs ? Le politologue guinéen, Alpha Amadou Bano Barry que nous avons interrogé a sa réponse. Selon lui, la France est tout d’abord dans une logique de repentir à l’égard des peuples touareg, car les Touaregs n’ont jamais admis que leur commandement vienne de Bamako. Et toutes les tentatives de remettre en cause cette situation instaurée par le colon s’est heurtée à une violente répression de la part des autorités maliennes. Par ailleurs, le peuple touareg fait « de guerriers vivant dans le désert et s’habillant en bleu » bénéficierait d’un certain capital de sympathie et ferait même l’objet « d’un certain fantasme » de la part de certains milieux intellectuels français en général, et du parti socialiste en particulier.
En quelque sorte, un cas de conscience pour la France. Enfin, à ces deux premiers facteurs, vient se superposer un dernier et non des moindres. Il s’agit des informations selon lesquelles le vaste territoire de l’Azawad recélerait un immense gisement de pétrole, « prolongement des champs pétroliers mis en évidence en Algérie, au Niger et en Mauritanie ». Autant de raisons qui, du point de vue de notre interlocuteur, justifieraient que la France ne veuille pas se fâcher avec les hommes de l’Azawad. N’en déplaise à Ibrahim Boubacar Keïta…
Les intérêts des amis peuvent aussi diverger… Et ce n’est pas demain que toutes les cartes seront sur table !
Boubacar Sanso Barry pour GuineeConakry.info