Nord-Mali : Les populations de Tombouctou rejettent les islamistes et adhèrent au soufisme

Ces derniers temps, les habitants de Tombouctou sont  déterminés à arrêter les djihadistes. Du coup, Ansar al-Din et AQMI ne sont pas les bienvenus dans la région.

Après que le groupe islamiste du rebelle touareg Iyad Ag Ghaly ait pris Tombouctou avec l’aide d’Al-Qaïda, les habitants de la ville ont porté leur premier coup contre ce qu’ils appellent « les groupes islamiques et étrangers dans la région » en organisant une manifestation le vendredi 20 avril. Selon un responsable de la mosquée de Belferandi,  des éléments d’Al-Qaïda et d’Ansar al-Din ont tenté d’interrompre cette manifestation, mais les jeunes manifestants les ont ignorés. En fait, la fierté culturelle du Nord, l’héritage touareg, l’affinité avec le soufisme et le respect des libertés des femmes les ont rendus sourds au message des extrémistes. Et ils ont exprimé avec force leur refus de laisser leur site inscrit au patrimoine de l’humanité de l’UNESCO tomber entre les mains d’islamistes purs et durs. « Nous avons brandi nos propres drapeaux pour signifier notre rejet d’Al-Qaïda et des porteurs de drapeaux noirs, les salafistes », martèle Elhassan Cissé, un chauffeur de bus à Tombouctou, avant d’ajouter : « Les gens qui ont participé à cette marche étaient très en colère contre le comportement d’Al-Qaïda et d’Ansar al-Din qui entrent chez eux, brisent leurs objets et interviennent dans le quotidien de leur vie ».

Daoud Ibn Mohammed, un Imam local, explique que par leur rassemblement, les habitants de Tombouctou cherchent plus à condamner la présence des extrémistes et à dénoncer le nouvel islamiste affilié à Al-Qaïda. Selon lui, les habitants veulent également protester contre l’attitude des nouveaux dirigeants. « La manière dont ils régentent nos vies a entraîné de graves pénuries alimentaires ainsi que la faim et la pauvreté au sein de la population », a-t-il indiqué. Ces groupes extrémistes se sont ralliés pour contrôler la région de l’Azawad avant d’étendre leurs tentacules sur l’ensemble du pays. Mais cela s’avérera impossible dans une région où prévalent des valeurs de tolérance et d’ouverture. Auparavant, les femmes se déplaçaient sans porter le voile et bénéficiaient d’une grande liberté dans la gestion et la direction des affaires. Aussi, il serait difficile d’appliquer des lois islamiques strictes dans une société dont les habitudes et les traditions vont à l’encontre de la répression et des restrictions.

Revirement de situation

Le Mali est très différent des endroits où Al-Qaïda s’est jusqu’alors implanté, comme l’Afghanistan, soulignent des experts du terrorisme. Selon eux,  la société afghane est régie par des traditions qui n’accordent pas aux femmes le droit d’exprimer leurs désirs et constitue de ce fait un terreau fertile à l’implantation de l’idéologie  « al-qaïdienne ». Aujourd’hui, un autre facteur qui conduit les habitants de l’Azawad à rejeter Al-Qaïda est la fierté qu’ils éprouvent pour leur patrimoine. Pendant des siècles, cette région a été un carrefour des religions et des cultures. Aussi est- elle connue pour sa tolérance. Mais les habitants ont été outrés lorsque certains gangs ont récemment lancé des opérations contre des symboles du christianisme à Gao, Kidal et Tombouctou, avant de saccager des symboles culturels de ces villes, comme l’Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba (IHERI-AB) de Tombouctou.

Le soufisme, qui met l’accent sur le mysticisme et la modération, est également populaire dans cette région. La propagation de l’idéologie soufie parmi les habitants de Tombouctou est l’une des raisons qui les ont poussés à rejeter l’idéologie extrémiste, au motif qu’Al-Qaïda accuse ceux qui adhèrent au soufisme.  Abdel Hamid al-Ansari, analyste et universitaire de Tombouctou, regrette qu’Ansar al-Din et ses alliés d’Al-Qaïda aient déformé l’image lumineuse de la religion. « Appliquer la charia islamique n’a fait qu’apporter pauvreté, faim et dévastation à Tombouctou et aggravé le sentiment des habitants envers l’injustice, la répression des individus et des libertés collectives. Ce qui les a poussés à descendre dans la rue en signe de condamnation », a-t-il déclaré avant de poursuivre : « Cette indignation publique s’est manifestée dès que les terroristes ont clamé qu’ils s’en prendraient aux magasins, obligeraient les femmes à porter le voile et imposeraient l’éducation religieuse. Des pratiques qui ne sont pas acceptables dans cette ville qui a porté la bannière du véritable Islam dans la région…Si les terroristes restent déterminés à contrôler la région, quitte à faire face à ce rejet de l’opinion, ils seront contraints de fournir rapidement l’électricité, l’eau et la nourriture. Or ils ne sont pas prêts à assumer le travail du gouvernement malien ».

Selon Sid Ahmed Ould Tfeil, spécialiste des groupes salafistes, il n’y a rien de surprenant à ce que l’Azawad rejette les extrémistes. Au premier rang de ces raisons, il y a le fait que les Maliens se soient brutalement retrouvés sous le contrôle d’étrangers. « Dans le cadre de ces accords passés avec AQMI, Ansar al-Din a nommé Yahya Abou al-Hammam (de son vrai nom Jemal Oukacha), un ressortissant algérien et émir d’Al-Qaïda au poste de gouverneur local. Il a été nommé « Wali » de Tombouctou parce qu’il avait passé plusieurs années dans la région. Mais il n’est pas accepté par les habitants locaux en majorité arabes et touaregs », explique-t-il tout en précisant : « Ceux qui connaissent la nature tribale, religieuse et doctrinale de la société de l’Azaouad en général, et des Touaregs en particulier, savent qu’il ne leur sera pas facile d’accepter d’être contrôlés par des forces extérieures, en particulier Al-Qaïda ». Il n’a pas fallu longtemps aux habitants de la région pour commencer à comprendre le danger que ce groupe représente pour l’avenir de leur circonscription. Selon les populations du Nord, aujourd’hui qu’Al-Qaïda a pu mettre en place quelques alliances avec des chefs de tribu suite à l’absence et la faiblesse du gouvernement central malien, ces alliances ne sont plus possibles dans les circonstances actuelles. La plupart des populations du Nord ambitionne de retrouver la paix et de vivre dans un climat de stabilité et de sécurité. Il est donc naturel qu’ils rejettent Al-Qaïda, et cela explique la raison pour laquelle les habitants de Tombouctou refusent d’être gouvernés par des islamistes. La manifestation organisée le vendredi 20 avril dernier à Tombouctou a été le summum de ce rejet qui démontre que les habitants ne pouvaient plus accepter la réalité qui leur est imposée. « Que signifient Ansar al-Din et Al-Qaïda ? », s’interrogent les populations du Nord qui interrogent : « Quels avantages peuvent-ils apporter aux habitants ? » avant de conclure : « Nous les avons déjà conseillés de quitter notre terre parce que nous ne nous laisserons pas gouverner par des bandits armés ».

Jean Pierre James

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