Mali : un Etat perd le Nord

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Le coup d’État contre le régime d’Amadou Toumani Touré, le 22 mars dernier, a précipité la partition de fait du pays, le Nord-Mali passant sous contrôle de mouvements touaregs et islamistes. Sept mois plus tard, Bamako continue d’afficher ses dissensions, tandis que la charia est imposée dans la région septentrionale. Enquête.

Le coup d’État contre le régime d’Amadou Toumani Touré, le 22 mars dernier, a précipité la partition de fait du pays, le Nord-Mali passant sous contrôle de mouvements touaregs et islamistes. Sept mois plus tard, Bamako continue d’afficher ses dissensions, tandis que la charia est imposée dans la région septentrionale. Enquête

« Le dimanche à Bamako, c’est le jour des mariages ! » En début d’année, la chanson d’Amadou et Mariam était allègrement reprise en cœur par les Maliens. Aujourd’hui, le repos dominical donne plutôt lieu à un concert de lamentations. Pêle-mêle, les récriminations visent d’abord l’ancien président malien Amadou Toumani Touré (ATT) : « Sous une façade avenante de démocrate, il truquait les élections, couvrait le trafic de cocaïne et fermait les yeux sur l’implantation d’Al Qaïda ». Mais les critiques n’épargnent pas ses successeurs.

Certes, la troupe et les officiers subalternes rangés derrière le capitaine Sanogo jouissent d’une certaine popularité pour avoir donné un coup de pied dans la fourmilière de la corruption. Mais les exactions de la junte militaire et les actes de torture pratiqués contre les « bérets rouges », garde rapprochée d’ATT, leur ont aliéné bien des soutiens ; d’autant que la junte semble plus préoccupée d’assurer son impunité judiciaire que de mettre un terme au sentiment d’humiliation nationale lié à la perte des trois régions de Kidal, Gao et Tombouctou.

« Face à la rébellion, ce fut une débandade militaire, rappelle Alain Antil, responsable du programme Afrique subsaharienne à l’Institut français des relations internationales (Ifri). Au point qu’il a fallu organiser un pont aérien pour rapatrier les soldats fuyards réfugiés dans les pays voisins… » Les autorités civiles de transition ne sont guère mieux considérées. Le président par intérim, Dioncounda Traoré, et le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, continuent de jouer chacun leur partition. Comme si l’avenir du pays n’était pas en jeu.

Sous le drapeau noir des djihadistes

Pendant ce temps, au Nord – un territoire vaste comme la France et la Belgique réunies – les populations vivent sous la férule d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) et de deux groupes armés affidés, Ansar Dine et le Mujao. Au départ, la rébellion avait bien été lancée par les Touaregs, las d’être traités en citoyens de seconde zone par les dirigeants de Bamako. Ils font figure de cocus de l’histoire. Leur Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) a été marginalisé par ses alliés de circonstance, les islamistes, qui ont ramassé la mise. À l’occasion, Aqmi a fait montre d’une habileté certaine.

D’une part, elle a rallié à sa cause une fraction des Touaregs, les disciples d’Iyad Ag Ghali, ancien leader de la rébellion de 1990, à présent « réincarné  » en chef fondamentaliste à la tête d’Ansar Dine.

D’autre part, Aqmi a su, au fil des années, s’intégrer dans l’environnement sahélien. « C’est ainsi, comme le révèle le chercheur marocain, Djallil Lounnas, que Mokhtar Belmokhtar, à la tête d’une des phalanges d’Aqmi, à l’instar d’autres émirs de l’organisation, a épousé une fille de la tribu des Brabiches (de la région de Tombouctou) nouant de ce fait des attaches familiales avec des tribus locales.  » (1).

Cette infiltration réussie sert – outre le maintien des trafics et du business des otages – un projet radical : la constitution d’un sanctuaire islamiste au cœur du Sahel qui doit, selon les recommandations du chef d’Aqmi, Abdelmalek Droukdel, « imposer graduellement la charia ». On assiste à cette mise en place, comme si les islamistes testaient la résistance des habitants du Nord. Fermeture des bars et radios diffusant de la musique ; interdiction de fumer en public, mais il reste possible de se procurer du tabac sous le nom de code « paracétamol  » ! ; voile intégral imposé aux femmes ; destruction de mausolées dédiés aux saints soufis ; des amputations de voleurs présumés et une lapidation à mort d’un couple adultère par des groupes armés. « Nous vivons un calvaire », témoignent en catimini des jeunes femmes cloîtrées à Gao.

Bruits de bottes et vent de sable

Le spectre de l’installation d’un « Sahélistan » dans le Nord-Mali, capable de déstabiliser les pays voisins, a suscité des réactions. À Paris, les ministres des Affaires étrangères, Laurent Fabius, et de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ont jugé une intervention militaire contre Aqmi, « inévitable ». Ce volontarisme se heurte à quelques solides pesanteurs. Combien de mois pour remettre à niveau l’armée malienne, fer de lance supposé de la reconquête ? Quels pays de la sous-région sont prêts à envoyer des contingents appuyer l’opération ? Surtout, de redoutés effets collatéraux inquiètent : afflux prévisible de volontaires djihadistes, du Nigeria à l’Égypte, appelés en renfort ; affrontements avec des unités aguerries au combat dans le désert.

Les messages de prudence émanent tant de Washington – insistant sur une «  bonne préparation  » de l’action militaire – que des Nations unies, qui hésitent à cautionner l’entreprise. Quant à l’Algérie, acteur incontournable, elle prône une « solution politique » en poursuivant les discussions avec les islamistes. « Les deux options sont complémentaires, analyse le chercheur Alain Antil. Brandir la menace d’une intervention militaire peut permettre de négocier en position de force ».

Reste qu’on cherche toujours à Bamako, l’homme providentiel capable de porter un projet de reconstruction du pays, celui qui – comme au Niger voisin – dessinerait un Pacte national en mesure d’intégrer les populations marginalisées du Nord, les Touaregs en particulier. Un projet qui ferait pièce aux visées obscurantistes d’Al Qaïda et consorts. En attendant, le scénario de l’enlisement demeure le plus probable.

Yves Hardy

(1) Tiré de « Al Qaïda et la crise malienne », revue Sécurité globale, été 2012, Éditions Choiseul.

Trois questions à Gaëtan Mootoo, chercheur d’Amnesty International, de retour de mission au Mali en septembre 2012 .

Quelle atmosphère régnait à Bamako lors de votre visite ?

La capitale malienne ne donnait pas l’impression d’un pays assiégé. Dans la journée, les Bamakois vaquaient à leurs occupations, et le soir, le trafic automobile était faible, tout comme la fréquentation des bars et restaurants. Le temps semblait suspendu aux incertitudes politiques. Personne ne pouvait dire qui détenait la réalité du pouvoir entre les autorités civiles de transition et l’ex-junte militaire du capitaine Sanogo, toujours très présente sur la scène politique.

Les témoignages que vous avez recueillis sur la situation dans le Nord ne laissent pas d’inquiéter…

En effet, les violations des droits humains sont croissantes. En mai, nous dénoncions les violences sexuelles faites aux femmes, des homicides délibérés et arbitraires ou encore l’embrigadement d’enfants-soldats. Ces dérives persistent, mais on déplore en plus des harcèlements quotidiens dans le but d’imposer de nouvelles mœurs.

Quels sont les éléments marquants par rapport à vos précédentes missions ?

Les châtiments corporels des groupes islamistes. Depuis juillet dernier, nous avons recensé plusieurs cas de flagellations, d’amputations, et une lapidation à mort. Nous citons le cas emblématique d’Alhader Ag Almahmoud, 30 ans, éleveur tamasheq, accusé d’avoir volé du bétail. Il a été amputé de la main droite à Ansongo, après un procès expéditif dirigé par le chef local du Mujao, l’un des groupes islamistes. Bien que le propriétaire du bétail volé ait déclaré que les bêtes avaient été retrouvées, la sanction a été exécutée. Cela donne une idée du climat d’intimidation qui prévaut dans le Nord.

Propos recueillis par Y.H . temoust.org/ mercredi 31 octobre 2012

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