L’attaque de deux camps militaires maliens par des djihadistes s’est soldée par l’un des plus lourds bilans depuis des mois pour les forces gouvernementales et leurs alliés africains. Comment comprendre ces événements ?
Dans une réunion avec des chefs d’État africains en marge de l’Assemblée générale des Nations unies à New York le 25 septembre, le secrétaire général Antonio Guterres avait fait un constat amer de la situation au Sahel, appelant tous les pays à redoubler leurs efforts pour soutenir la force conjointe du G5, « cruciale, selon lui, pour combattre les groupes armés extrémistes et les terroristes ». Afin que la communauté internationale prenne bien conscience du désastre qui s’annonce au cœur de l’Afrique en passe d’imploser sous les coups de boutoir des djihadistes, il ne s’était pas voilé la face : « Nous sommes en train de perdre du terrain face à la violence », annonçait-il. Cinq jours après, la réalité sur le terrain lui donnait raison.
Que s’est-il passé ?
Attaque d’opportunité ou réponse aux propos tenus à l’ONU que les terroristes entendent à la radio dans leurs campements de brousse, les djihadistes lancent pendant deux jours, le 30 septembre et le 1er octobre, deux opérations simultanées et d’envergure dans le centre du Mali. Véhicules 4×4 et motos déboulent sur le camp de Boulkessy, situé près de la frontière du Burkina Faso, qui abrite le bataillon malien de la force du G5 Sahel. Dans un même temps, à une centaine de kilomètres, une autre attaque se produit contre le poste de Mondoro. La bataille fait rage dans les deux localités. Les victimes sont nombreuses. Vingt-cinq soldats sont tués, quatre sont blessés et une soixantaine sont portés disparus. Un chiffre qui risque d’augmenter les pertes. Au minimum, deux civils sont morts. Côté djihadistes, une quinzaine ont été abattus. Le bilan est très lourd chez les forces gouvernementales, qui n’ont pas connu une telle hécatombe depuis l’attaque le 17 mars contre le camp de l’armée de Dioura, également dans le centre du pays, qui avait fait près de 30 morts. Quant au G5, c’est le premier coup dur depuis que les soldats placés sous son commandement se déploient à nouveau sur le terrain. Des attaques surprises préparées avec des assaillants en nombre et bien équipés, qui ont pu se rassembler en passant « sous les radars » des drones français et américains.
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Du coup, Boulkessy et Mondoro tombent dans un premier temps, avant d’être repris au bout de 48 heures grâce aux bombardements des Mirage 2000 et des hélicoptères de combat français du dispositif Barkhane qui décollent de Niamey. Une demi-douzaine de véhicules terroristes sont détruits et des commandos des Forces spéciales sont déposés en renfort pour mener la contre-attaque avec les soldats maliens encore valides sous le feu des terroristes qui se cachent autour dans les replis de terrain. Ils finissent par décrocher, mais ont réussi à emporter du bétail, des vivres, du matériel militaire et des véhicules qui n’ont peut-être pas tous été pulvérisés par les roquettes françaises. Depuis, une vaste opération de ratissage est en cours avec les troupes burkinabées, appuyées par des drones et des aéronefs français qui essaient de prendre en tenaillesles islamistes d’Ansarou islam, le groupe du prêcheur salafiste Ibrahim Malam Dicko, qui recrute dans les populations peules. Affilié au Groupe pour le soutien de l’islam et des musulmans (GSIM) de l’émir touareg Iyad Ag Ghali qui a prêté allégeance à Al-Qaïda, Ansarou Islam mène la guerre au Burkina, dans le centre du Mali et au Niger en menant des incursions meurtrières.
Mode opératoire
Les mines sont devenues leurs armes favorites. Des engins explosifs improvisés (IED) de plus en plus sophistiqués grâce à des techniciens venus de Libye ou de Syrie qui, au Mali, ont déjà piégé des cadavres, comme ils ont appris au Levant. Début septembre, quatorze passagers ont été tués et vingt-quatre blessés dans l’explosion de leur autobus qui a sauté sur une mine entre Douentza, dans le centre du pays, et Gao. À la même époque, c’est un véhicule de l’armée qui explose sur une route près de Douentza. Bilan : trois soldats morts et sept autres blessés. L’armée américaine vient d’offrir du matériel de détection contre les mines aux unités du génie des forces militaires maliennes, mais l’avantage de la guerre asymétrique du faible au fort est désormais clairement du côté des groupes terroristes. Depuis l’opération Serval en 2013, le dispositif Barkhane qui lui a succédé doit faire face à un ennemi qui choisit l’heure et les objectifs de ses attaques contre des forces africaines en permanence sur le qui-vive.
La situation au Sahel est-elle hors de contrôle ?
L’initiative du combat est rarement de leur fait. Elles subissent alors que, faute de moyens et de coordination, elles devraient mettre une pression permanente sur ces groupes armés qui restent insaisissables. Sans le soutien aérien français, elles seraient souvent en grande difficulté face aux coups de main de plus en plus hardis des djihadistes. Malgré ses moyens, le dispositif français est lui aussi à la peine, les militaires de Barkhane intervenant la plupart du temps après coup, dans une chasse aux terroristes qui se dispersent dans la nature. Pour être plus mobiles et rapides, les commandos ont abandonné leurs blindés pour des pick-up 4×4 semblables à ceux utilisés par les terroristes. Mais les longues patrouilles qui s’effectuent hors pistes pour éviter les mines ne donnent guère de résultats. L’ennemi semble à chaque fois s’être volatilisé, se regroupant seulement pour passer à l’action afin éviter de se faire repérer. Des paramètres intégrés par les présidents africains du Sahel et le secrétaire général de l’ONU, qui tiennent désormais un langage de vérité face à une situation sécuritaire qui échappe à ceux qui combattent le terrorisme dans cette vaste région.
Par Patrick Forestier
Publié le 02/10/2019 à 17:08 | Le Point.fr