Tué lors d’un raid des forces spéciales françaises, le chef djihadiste voulait rallier à sa cause les Peuls de toute l’Afrique de l’Ouest.
Emmanuel Macron souhaitait « des victoires » contre les groupes djihadistes au Sahel. Dans la campagne d’élimination des principales figures de l’islamisme combattant, la mort d’Amadou Koufa, désormais confirmée tant par les autorités françaises que maliennes, en est une vraie.
Selon le premier ministre malien, le chef djihadiste, cible prioritaire de l’opération lancée dans la nuit du jeudi 22 au vendredi 23 novembre par les forces spéciales françaises, « est mort des suites de ses blessures dans la forêt de Wagadou où il avait été transporté par les siens ». « Son corps n’est pas en notre possession », indiquait par ailleurs Soumeylou Boubeye Maïga, jeudi, au Monde Afrique. Selon la ministre française des armées, Florence Parly, 34 autres miliciens de la katiba Macina, affiliée à Ansar Eddine, ont péri dans le raid nocturne mené dans la région de Mopti, au centre du Mali.
Bien davantage qu’un chef militaire, Amadou Koufa – un pseudonyme, Koufa étant la localité où son père officiait comme imam – était un guide spirituel, un catalyseur des frustrations des jeunes de sa région, principalement issus de la communauté peule, réutilisées pour le projet djihadiste global. Agé d’une soixantaine d’années et originaire de la ville de Niafunké, il était devenu depuis janvier 2015 le fer de lance de l’insurrection islamiste dans le centre du Mali, là où se rejoignent les deux ailes de ce pays qui a schématiquement la forme d’un papillon.
Relativement préservée des violences lors de l’occupation du nord par les rebelles touareg puis par les groupes liés à Al-Qaida, cette région en est depuis devenue l’épicentre. Selon un rapport très documenté publié en novembre par la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme (FIDH) et l’Association malienne des droits de l’homme (AMDH), le conflit, où se mêlent djihadistes, milices communautaires et armée régulière, a concentré « environ 40 % de toutes les attaques du pays » et déjà causé « au moins 500 victimes civiles entre janvier et août 2018 » et, depuis deux ans, « au moins 1 200 tués, des centaines de blessés et probablement 30 000 déplacés et réfugiés ». Désormais, 68 % des écoles de l’académie de Mopti sont closes. Lors du second tour de l’élection présidentielle, en août, 440 des 490 bureaux de vote fermés étaient situés dans la région de Mopti et Ségou.
« De jolis vers sur les femmes peules »
Longtemps inconnu des services français – « il était hors de nos radars jusqu’en 2016 », convient une source très au fait des opérations militaires au Sahel –, Amadou Koufa était apparu dans le paysage public malien avec la vague de démocratisation du début des années 1990.
« Il était tout d’abord un formidable barde, connu pour ses jolis vers sur les femmes peules, relate Adam Thiam, auteur d’un rapport pour l’Institut du Macina et le Centre pour le dialogue humanitaire. Puis, avec l’arrivée de la démocratie, il est devenu un prêcheur très populaire sur la radio Jamana, en défendant une conception de l’islam pas spécialement rigoriste mais portée par des idéaux d’équité sociale, et en s’en prenant à l’aristocratie peule qui écrase les basses castes comme les Rimaybe [descendants d’esclaves]. » Sa radicalisation religieuse serait intervenue au contact des prêcheurs pakistanais de la Dawa, très actifs en Afrique de l’Ouest, et par la déception de ne pas avoir été reconnu comme « une pointure théologique » à même de représenter l’islam soufi traditionnellement en cours dans cette région.
En 2009, Amadou Koufa est de la mobilisation contre le projet de nouveau Code de la famille, jugé trop progressiste. C’est à cette époque, peut-être plus tôt, qu’il se lie avec l’ex-rebelle touareg Iyad Ag-Ghali, devenu depuis la principale personnalité djihadiste de la région. En 2012, il est signalé à ses côtés à Tombouctou. « C’est là, entre juillet et décembre, qu’il reçoit sa seule formation militaire, indique Adam Thiam. Puis, en janvier 2013, il devait être présenté comme émir de Konna, mais les Français ne lui ont pas laissé le temps de s’installer. »
Son retour sur la scène terroriste se fera presque deux ans jours pour jour après le début de l’opération française « Serval », avec l’attaque, le 5 janvier 2015, du camp militaire de Nampala, dans le cercle de Niono. Le centre du Mali s’avère une zone à conquérir pour les chefs djihadistes, principalement arabes et touareg. Apparaît alors une nouvelle appellation à laquelle est attribué l’attentat : le Front de libération du Macina, un nom jamais repris par les djihadistes mais qui s’avère être « une émanation des réseaux peuls d’Iyad Ag-Ghali, le véritable sponsor du groupe », explique Yvan Guichaoua, chercheur à la Brussels School of International Studies.
« Il était très actif sur WhatsApp »
Le terrain est particulièrement favorable à l’apparition d’une insurrection. Comme le relate le rapport cosigné par la FIDH et l’AMDH, s’agrègent ici des rivalités pour la possession des terres entre communautés, attisées par le réchauffement climatique et l’accroissement démographique ; des tensions sociales à l’intérieur même de la communauté peule ; et un ressentiment contre un Etat perçu comme prédateur. La désertion de ce dernier en 2012, après l’occupation djihadiste du nord, puis son retour sur ce territoire, accompagné d’exécutions sommaires, dans les traces de l’armée française, ainsi que la prolifération des armes légères sont d’autres facteurs qui jouent en faveur des djihadistes.
Par révolte sociale, appât du gain ou militantisme réel, de jeunes bergers peuls, principalement, rejoignent les rangs d’Amadou Koufa. « Il n’était pas le concepteur des attaques mais une figure charismatique. Il était très actif sur WhatsApp par ses prêches et ses injonctions », précise Yvan Guichaoua. Les jeunes de cette vaste communauté deviennent dans cette région les premiers suspects et victimes de l’armée malienne. Sur leurs motos, les « hommes de la brousse », eux, mènent des assauts contre les soldats, assassinent les notables locaux et tous ceux suspectés de collaborer avec l’ennemi.
Trop occupé à tenter de trouver une issue à la crise dans le nord du pays, Paris ne voit rien au climat mortifère qui se développe sur les bords du fleuve Niger. Une source à la cellule Afrique de l’Elysée estimait alors qu’il n’y avait « pas de réelles raisons de s’inquiéter pour quelques dizaines de combattants en deux-roues ». Sur le terrain, les violences de la katiba Macina, devenue maîtresse des campagnes, et son mode d’administration par la terreur amènent les autres communautés à former des milices d’autodéfense, parfois constituées autour des confréries de chasseurs traditionnels dozos.
Le cycle des tueries, dans lequel l’armée malienne n’est pas absente, s’accélère. « En 2017, l’ONU a enregistré plus de 1 000 incidents dans la seule région de Mopti et a constaté une augmentation de 200 % de ces incidents par rapport à l’année précédente », relève le rapport de la FIDH et de l’AMDH.
Une vidéo devenue son testament
En parallèle, Amadou Koufa gravit les échelons au sein de la nébuleuse des mouvements liés à Al-Qaida. Début mars 2017, il apparaît aux côtés d’Iyad Ag-Ghali et de ténors d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et d’Al-Mourabitoune sur une vidéo entérinant la fusion de leurs mouvements au sein du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Ces hommes au front ceint d’un turban noir se placent sous le commandement du Touareg malien Iyad Ag-Ghali, confirmant une nouvelle fois la stratégie d’ancrage local voulue par les chefs algériens.
Une forme de consécration interviendra le 8 novembre 2018 avec la publication d’une nouvelle vidéo de propagande où, cette fois, Amadou Koufa n’est plus en retrait mais face caméra, flanqué de son mentor et de l’Algérien Djamel Okacha. Il y accuse la France d’avoir envoyé « ses chiens dans le Macina », mais, surtout, son message est pour la première fois clairement destiné à rallier à la cause djihadiste, bien au-delà de sa région, les Peuls « massacrés parce qu’ils ont élevé le drapeau de l’islam ». « J’en appelle aux Peuls, où qu’ils se trouvent : au Sénégal, au Mali, au Niger, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Nigeria, au Ghana et au Cameroun », intime-t-il en fulfulde.
Etonnamment, la Mauritanie, pays membre de la force du G5 Sahel, la Guinée, qui participe à la mission des Nations unies, et la Centrafrique, où la communauté peule a été l’une des grandes victimes de la guerre civile, ne sont pas citées dans cette vidéo devenue son testament. « L’enjeu de cet enregistrement était de fournir des recrues aux autres groupes du GSIM. Pour les Etats de la région, il y a une nécessité à reconquérir cette communauté perçue comme un réservoir par les djihadistes », estime Yvan Guichaoua.
Parfaite incarnation de cette donne djihadiste où des problèmes extrêmement locaux sont instrumentalisés pour être intégrés au sein d’un combat mondial, Amadou Koufa n’avait jamais revendiqué la moindre attaque en dehors de ses fiefs du centre du Mali. En revanche, si de jeunes Peuls ont à plusieurs reprises perpétré des attentats à Bamako ou dans les pays environnants, cette communauté, très disparate, est loin d’avoir basculé dans un soutien à la cause djihadiste.
Vers une « dispersion des troupes » ?
S’il est encore impossible de mesurer quelles seront les conséquences de l’élimination d’Amadou Koufa sur son mouvement et plus globalement sur le djihadisme au Sahel, cette mort est un coup dur pour Iyad Ag-Ghali. « Le premier depuis longtemps », s’enthousiasme une source française. « Dans la logique tripartite arabe, touareg et peule du GSIM, cette perte pourrait affaiblir Iyad Ag-Ghali en le laissant seul face aux Algériens », analyse prudemment Yvan Guichaoua. « La mort de Koufa va déstabiliser son groupe. Cela va amener à une dispersion des troupes. Beaucoup qui l’ont rejoint par opportunisme vont abandonner la lutte et nous sommes prêts à les accueillir », veut croire le premier ministre Soumeylou Boubeye Maïga, qui s’est fermement impliqué dans cette crise.
« Une tête de chaîne a été cassée, mais cela sera vain si l’Etat ne réinvestit pas très rapidement le centre du Mali, car dans cette zone nous sommes déjà passés du contre-terrorisme à la contre-insurrection, avec une imbrication des populations dans le conflit », prévient une source occidentale engagée dans la lutte contre les groupes djihadistes de la région. Adam Thiam ajoute : « Le réservoir djihadiste peul se tarira lorsque l’armée cessera ses exactions. En attendant, rien n’empêchera de nouvelles têtes de pousser. »
Cyril Bensimon