Le Mali, le Niger et le Burkina Faso, en plus d’être confrontés à des situations sécuritaires complexes, sont soumis à une guerre informationnelle sans précédent. Les dirigeants et les Armées de ces trois pays du Sahel sont dénigrés par des médias essentiellement basés en Europe. Des citoyens sont utilisés, parfois à l’insu de leur plein gré, dans cette guerre insidieuse visant à maintenir le Sahel dans le chaos et ainsi profiter de ses richesses. D’où l’importance pour les intellectuels et les décideurs de ces pays, et plus globalement de l’Afrique, de comprendre les enjeux et les défis de la guerre informationnelle.
C’est dans ce cadre que le Centre d’études stratégiques du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale a réuni samedi les chercheurs, journalistes/communicateurs, universitaires, cadres de l’administration, acteurs de la société civile… pour des échanges approfondis sur le sujet. Spécifiquement, il s’agissait de réfléchir à une approche sahélienne de la guerre informationnelle.
Preuve de l’intérêt qu’accordent les autorités de la Transition à ce front : cinq membres du gouvernement étaient présents à la cérémonie d’ouverture de la rencontre, en l’occurrence le colonel Abdoulaye Maïga (Administration territoriale et Décentralisation), Abdoulaye Diop (Affaires étrangères et Coopération internationale), Ibrahim Ikassa Maïga (Refondation de l’État, chargé des Relations avec les Institutions) et le général Daoud Ould Mahammedine (Sécurité et Protection civile).
PRÉPARATION STRATÉGIQUE FACE À L’INFOGUERRE – Tous les intervenants se sont accordés sur le fait que l’information devient un élément majeur de l’art de la guerre. Arme redoutable pour celui qui la maîtrise, elle permet de gagner un conflit qu’il soit militaire ou économique. Recours en est fait aujourd’hui contre le Mali pour faire dérayer ce qui s’y passe, « parce que tout le monde comprend que ce qui se joue au Mali a aussi un impact sur pratiquement ce qui en train de se jouer dans le continent », a soutenu le ministre Abdoulaye Diop, précisant que des sommes importantes sont investies dans cette guerre par nos adversaires.
Il a justifié l’importance de cette rencontre par la nécessité pour nos pays d’avoir une préparation stratégique face à l’infoguerre menée dans le but de perpétuer la domination et de s’accaparer de nos ressources. Une préparation stratégique d’autant plus indispensable que dans cette guerre, nous-mêmes devenons inconsciemment une arme. «Souvent sur le sait, souvent sur ne le sait pas ; mais on est une arme», a martelé le chef de la diplomatie malienne.
Les six panélistes ont largement évoqué les objectifs et la spécificité de la guerre informationnelle, les moyens et les méthodes ainsi que la riposte possible au phénomène. Jules Domché, journaliste et patron de la chaîne Vox Africa, a révélé que la plupart des fausses nouvelles sont « fabriquées dans les rédactions qu’on pense les plus crédibles, les plus sérieux ». Et pour gagner la guerre sur le front informationnel, at-il conseillé, les médias locaux et africains doivent être le socle de notre stratégie. Ces médias doivent, par conséquent, être suffisamment soutenus sur le plan financier. également, les dirigeants africains doivent leur accorder la primauté de l’information et les prioriser pour tout besoin de communication. «Pendant longtemps, plusieurs chefs d’État pensaient que pour exister, il fallait parler à Rfi et autres chaînes, affaiblissant par le même coup leurs propres médias», a déploré le journaliste.
Jules Domché a également insisté sur le besoin de repenser notre rapport à la création de l’information. «Et c’est au niveau des Agences que tout commence», a-t-il dit, remarquable qu’actuellement ce sont les Agences American Press, AFP et Reuters qui décident de ce qui fait l’information dans le monde. « 80 à 90 des informations traitées par les médias africains viennent de ces Agences », selon le patron de Vox Africa. Pour inverser cette tendance, il préconise la mise en place d’une véritable Agence de presse, à l’image de la PANA. «C’est là que nous pourrons commencer à construire notre propre narratif. Si nous ne le faisons pas, nous n’avons aucune chance de nous en sortir dans cette guerre informationnelle», a exhorté Jules Domché.
Gaoussou Drabo, journaliste et ancien ministre de la Communication, pense qu’il faut surtout encourager la consolidation des médias de référence. « Chaque fois que le citoyen est confronté à une assertion douteuse, peu crédible ou bien étonnante, qu’il puisse en rechercher la vérification non pas seulement au niveau des sites de rectification mais au niveau des médias de référence », a développé l’analyste. politique. L’avantage de cette stratégie est aussi qu’elle permet de prolonger l’activité du gouvernement. Celui-ci doit, en effet, pouvoir compter sur des acteurs crédibles et compétents pour entretenir ce qu’il dit notamment dans ses communiqués. De son côté, Aminata Dramane Traoré, ancienne ministre et analyste des relations Nord/Sud, appelle plutôt à une insurrection intellectuelle pour déconstruire le narratif de l’Occident sur notre pays et sur notre continent.
Parmi les cibles de l’infoguerre, l’armée est la plus impactée. Elle est victime des fausses informations et des actions de manipulations de l’opinion, selon le directeur de la Direction de l’information et des relations publiques de l’armée (Dirpa), le colonel major Souleymane Dembélé. Son service a heureusement pu se relever à la hauteur des défis, en établissant des liens de confiance avec les médias. Très proactive dans la diffusion, la Dirpa est désormais aux avant-postes de l’information et tient à ce que « le peuple ne soit pas informé par des sources étrangères ».
Cependant, pour être réellement efficace dans cette guerre informationnelle, le général Mamadou Lamine dit Laurent Mariko, chef d’État major particulier du président de la Transition, pense que les pays du Sahel doivent développer une réponse globale et systémique. Et pour y arriver, a expliqué l’officier général, il va falloir harmoniser en amont les visions politiques en la matière.
Pour le ministre Ibrahim Ikassa Maïga, les journalistes de certains médias sont plutôt des diplomates, parce qu’ils sont là pour défendre les intérêts géostratégiques de leurs États. Plutôt que de les considérer comme des journalistes, nous devons les considérer comme des diplomates et leur appliquer les principes diplomatiques en la matière. C’est cette réponse que nous devons avoir à cette guerre informationnelle», a déclaré le ministre en charge de la Refondation.
Sans doute, cette rencontre aura contribué à une meilleure compréhension de la question de guerre informationnelle, tel que l’espérait le général Satigui Moro Sidibé, directeur du Centre d’études stratégiques.
Issa DEMBÉLÉ