En mars, les Touaregs s’installaient à Gao avant d’en être chassés, trois mois plus tard, par les islamistes. Depuis, rares sont les journalistes qui ont pu s’y rendre. Reportage dans une cité à moitié vidée de ses habitants, où les “barbus” font régner la loi.
Gao n’est plus très loin. Le drapeau noir des salafistes flotte sur le barrage dressé au bord de la route. Le jeune qui nous arrête, mon chauffeur et moi, n’a pas plus de 14 ans. Il s’énerve en entendant la musique que crachote le vieil autoradio de notre véhicule.
« C’est quoi, ça ? hurle-t-il en arabe.
– Bob Marley.
– Nous sommes en terre d’Islam et vous écoutez Bob Marley ? ! Nous sommes des djihadistes, nous ! Descendez de la voiture, nous allons régler ça avec la charia. »
Un chapelet dans une main, un kalachnikov dans l’autre, il me rappelle ces enfants-soldats croisés vingt ans plus tôt en Sierra Leone… Les enfants sont souvent plus féroces que les adultes. Nous nous empressons de l’assurer de notre fidélité à l’islam, avant d’être autorisés à reprendre la route.
Nouvelles recrues
Quelques kilomètres plus loin, à l’entrée de la ville, se dresse un nouveau barrage, tenu cette fois par un Algérien au teint clair – si clair que je le prends d’abord pour un Français. Il s’amuse de ma méprise. C’est une nouvelle recrue. Venus d’Algérie ou d’ailleurs, tous se retrouvent au commissariat de police, rebaptisé siège de la « police islamique » : Abdou est ivoirien ; Amadou, nigérien ; Abdoul, somalien ; El Hadj, sénégalais ; Omer, béninois ; Aly, guinéen ; Babo, gambien… Il y a là toute l’internationale djihadiste ! Lunettes noires sur le nez, le bas du visage mangé par une barbe abondante, un Nigérian explique qu’il est un membre de la secte islamiste Boko Haram, responsable de nombreux attentats dans le nord de son pays. Il parle du Mali comme de la « terre promise », fustige l’Occident et les « mécréants », et jure qu’il est « prêt à mourir, si c’est la volonté de Dieu ».
Tous se pressent devant un homme de haute taille, Alioune. Originaire de Gao, c’est lui qui dirige la police islamique. Je n’ose pas lui rappeler que nous nous étions rencontrés il y a une dizaine d’années, quand il était encore un simple commerçant. Un talkie-walkie à la main, il pose devant un véhicule qui appartenait autrefois à la police malienne et qu’il a récupéré quand la ville est tombée entre les mains des islamistes, à la fin du mois de mars. Alioune m’assure que l’on est les bienvenus « chez les musulmans » et explique qu’il tient à ce que la sécurité règne dans sa ville.
Oussama
Les traces de la dernière bataille qui a opposé, fin juin, le Mouvement national pour la libération de l’Azawad (MNLA) et les djihadistes sont encore visibles. Les combats ont eu lieu près d’un bras du fleuve Niger, non loin du quartier général des rebelles touaregs. Les bâtiments qu’ils occupaient ont été criblés de balles. On m’explique que c’est Mokhtar Belmokhtar, l’un des principaux émirs d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), qui a dirigé l’assaut contre les Touaregs. Depuis plusieurs semaines, il a pris ses quartiers dans la cité des Askia. Il s’y est installé avec son fils, prénommé Oussama, en hommage au défunt leader d’Al-Qaïda.
La rue qui jouxte le commissariat accueille un marché bien achalandé : on y trouve, à des prix raisonnables, des turbans, des chaussures, des tapis, des légumes, des oeufs… À quelques mètres de là stationne un gros camion, immatriculé en Algérie et duquel sont déchargés (et vendus sur place) des épices, des fruits et divers produits alimentaires tout droit venus d’Algérie. En revanche, il n’y a plus de banque. Celles qui existaient avant la guerre ont été dévalisées, et l’argent devient de plus en plus rare. Pour les gens restés ici, pas d’autre moyen que de se faire envoyer des espèces par des parents installés dans le sud du Mali. Le procédé est souvent artisanal : on peut déposer à Bamako, au siège d’une compagnie de transport qui fait la liaison avec le Nord, une somme d’argent en espèces qui sera reversée, moyennant une commission, à son destinataire.
Dans la ville, difficile d’étancher ma soif avec autre chose que de l’eau minérale. Tous les bars et les hôtels ont fermé. Même les Ghanéens, qui, au quartier 4, faisaient un tord-boyaux connu sous le nom de « toukoutou » ont décampé. Finalement, moyennant 2 500 F CFA (3,80 euros), je parviens à mettre la main sur une canette de bière, importée clandestinement du Niger.
Le soir, une relative fraîcheur enveloppe Gao. Avant la guerre, 70 000 personnes vivaient ici. Depuis, près de la moitié des habitants ont fui. Personne pourtant ne regrette vraiment les combattants du MNLA, si souvent accusés de vols et de viols. Selon les organisations de défense des droits de l’homme, d’autres mouvements armés se sont rendus coupables des mêmes crimes, mais ce sont les Touaregs qui ont laissé les plus mauvais souvenirs.
Voilée
Même l’entrée de l’hôpital est gardée par des hommes armés. Devant moi, ils en interdisent l’entrée à une femme qui se présente non voilée et l’obligent à se couvrir la tête de son pagne. Ce matin-là, c’est l’heure de la pesée au service de pédiatrie. Le personnel soignant resté dans l’établissement est, pour l’essentiel, originaire de la région. Les enfants malnutris sont nombreux – 73 cas recensés en quelques heures grâce notamment au personnel local de l’ONG Action contre la faim (ACF) demeuré sur place. Ce 17 juillet, tout Gao commente l’annonce de la libération de trois Occidentaux (deux Espagnols et une Italienne) enlevés il y a neuf mois dans un camp du Front Polisario à Rabouni, en territoire algérien.
Le rapt avait été revendiqué par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), une branche dissidente d’Aqmi. Deux de ses chefs sont désormais installés dans la ville : Abdoul Hakim et Walid Abu Sahraoui. Le premier, le visage à moitié dissimulé par une barbe noire, est l’émir de Gao. Il circule dans le véhicule du consul d’Algérie, enlevé avec plusieurs de ses collaborateurs en avril. Le second est le porte-parole du Mujao. Ils font, expliquent-ils, des allers-retours entre Gao et les camps du Polisario, et ce sont des Sahraouis qui composent le noyau dur du Mujao. Abdoul Hakim et Walid Abu Sahraoui ont tous deux une trentaine d’années et ne ressemblent pas à des « fous de Dieu ». Ce dernier, pourtant, affirme être lié à l’enlèvement des Occidentaux, en octobre, et dit avoir fait partie de la délégation à laquelle une rançon de 15 millions d’euros aurait été versée en échange des otages. « En plus, ajoute-t-il fièrement, nous avons obtenu la libération d’un combattant du Mujao emprisonné en Mauritanie. »
Poreux
En théorie, le Mujao contrôle Gao, Aqmi règne sur Tombouctou et Kidal est entre les mains d’Ansar Eddine. Mais, sur le terrain, les groupes islamistes sont très poreux et les combattants circulent facilement de l’un à l’autre. Un notable de la ville raconte qu’il a assisté à une réunion à laquelle participaient des représentants de groupes armés et un Belmokhtar « calme et modeste ». « Il a bien dit qu’il n’était pas là pour nous imposer quoi que ce soit, mais pour composer. »
À Gao, les écoles sont fermées. Il n’y a plus de représentants de l’administration officielle et c’est la police islamique qui délivre les laissez-passer (rédigés en arabe) nécessaires pour circuler dans la région.
La charia, en revanche, n’est pas appliquée de manière aussi stricte qu’à Tombouctou. « Les islamistes savent qu’il ne faut pas nous pousser à bout, commente Douglas, un jeune du quartier 3. Ils en tiennent compte. » Comme beaucoup, il dit admirer ces hommes qui se sont pour l’instant montrés respectueux de la ville et de ses habitants. N’ont-ils pas, argumente mon interlocuteur, financé le nettoyage des caniveaux de la ville, alors que cela n’avait pas été fait depuis quinze ans ?
Ici, chaque quartier attend son tour pour être alimenté en eau et en électricité, et, encore une fois, ce sont les islamistes qui fournissent le gazole qui fait tourner les groupes électrogènes, tout comme ce sont eux qui assurent la sécurité des transports au départ et à destination de Gao. Une seule station d’essence est encore ouverte, et, après quelques hésitations, le pompiste avoue que le carburant vient d’Algérie.
Plus loin, sur un terrain de foot improvisé, des gamins courent après un ballon. Les joueurs de la première équipe se sont surnommés « les envahisseurs ». Les seconds se font appeler « les défenseurs de la République ». Deux buts à zéro en faveur des « envahisseurs »… Le match est terminé.
08/08/2012 à 17h:35 Par Serge Daniel, envoyé spécial / Jeuneafrique.com
Bel article mais sieerge tu pouvais pas te passer de ta bierre . Le rique etait trop eleve 😀
NEXT TIME ILS VONT TE PRENDRE EN OTAGE
serge devrait plutot remercier dieu qu’il n’a pas été surprit avec sa bierre.
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