La libération de quatre otages aux mains d’un groupe affilié à Al-Qaïda fait suite à la sortie des geôles maliennes de près de 200 prisonniers, dont certains seraient des cadres du mouvement jihadiste.
Après près de quatre ans aux mains d’un groupe jihadiste du Sahel malien, la Française Sophie Pétronin, 75 ans, est rentrée en France vendredi 9 octobre, au lendemain de l’annonce de sa libération. Trois autres otages, deux Italiens et l’homme politique malien Soumaïla Cissé, ont également été relâchés.
Mais, si les conditions de cette libération restent floues, elles interpellent déjà. Elle fait en effet suite à la libération de dizaines de prisonniers par le Mali – 206 selon le groupe qui détenait les otages – dont l’identité n’est pas connue, mais qui pourraient venir grossir les rangs des jihadistes. Franceinfo vous explique ce que l’on sait d’eux et des conséquences potentielles de cette opération.
1 – Combien de jihadistes ont été libérés ?
La libération de prisonniers par le Mali n’a pas fait l’objet d’une communication officielle. Et le nombre exact de personnes concernées est incertain. Lundi, l’agence Associated Press annonçait la libération de 180 prisonniers, citant une “source officielle” malienne. Des sources décrites comme “proches des tractations” évoquaient auprès de l’AFP “plus d’une centaine” de personnes. Ainsi que la libération, entre lundi soir et mardi matin, “d’une trentaine d’autres” jihadistes, selon une source sécuritaire malienne.
De son côté, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GISM), l’alliance jihadiste affiliée à Al-Qaïda qui détenait les otages, a revendiqué sur l’application Telegram avoir obtenu la libération de 206 de ses membres, rapportent Le Monde et Libération. Qui soulignent que, si ce n’est pas la première fois que des prisonniers jihadistes sont libérés dans le cadre de négociations, l’ampleur de ce mouvement est inédite.
Transportés en avion, ces prisonniers ont été relâchés dans deux zones différentes du pays, celle de Niono, dans le centre du Mali, et de Tessalit, dans le nord-est, près de la frontière avec l’Algérie.
2 – Quels sont leurs profils ?
Les autorités maliennes n’ont pas non plus communiqué sur le profil des prisonniers libérés. Citant une “bonne source”, Le Monde affirme qu’au moins trois figures du jihadisme au Sahel ont retrouvé la liberté à cette occasion. Il s’agirait du Mauritanien Abou Dardar, important chef local lors de l’occupation du nord du Mali par les islamistes, qui s’était rendu en 2014. Il y aurait aussi son compatriote Fawaz Ould Ahmed, surnommé “Ibrahim 10”, proche conseiller de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar au sein du groupe Al-Mourabitoune, notamment impliqué dans des attentats contre un restaurant de Bamako et un hôtel de Sévaré (Mali) qui avaient fait 6 et 22 morts en 2016. Arrêté cette même année, il avait livré un témoignage précieux à la justice française, racontait Le Monde. Le troisième serait le Malien Mimi Ould Baba, soupçonné d’avoir organisé des attentats à Ouagadougou (Burkina Faso) et Grand-Bassam (Côte-d’Ivoire) en 2016, qui avaient tué 30 et 19 personnes, et pour lesquels il avait été inculpé par la justice américaine, après son arrestation par des soldats français en 2017.
Tous les détenus relâchés n’ont toutefois pas un tel profil. Certains sont “de tout petits poissons qui n’avaient pas été jugés”, affirme une source anonyme au Monde. Les sources de l’AFP évoquent également des prisonniers dont certains ne sont que “présumés” jihadistes. Cité par RFI, Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité de Dakar (Sénégal), s’interroge : “Est-ce qu’on avait des dossiers suffisamment solides sur eux pour les traduire devant la justice, pour les faire condamner ?” “A l’évidence, ils n’étaient pas tous parmi les effectifs combattants”, estime la politologue Niagalé Bagayoko, présidente de l’African Security Sector Network, interrogée sur franceinfo. “Parmi ces personnes, il y en a qui apportaient un soutien logistique, d’autres qui fournissaient du renseignement…” Des profils qui ne présentent donc pas forcément tous le même niveau de dangerosité.
3 – Quelles conséquences pour le Mali ?
Si les nouvelles autorités maliennes, au pouvoir depuis un coup d’Etat militaire en août, ont œuvré à cette opération, celle-ci n’est pas sans risque. Pour leur image, tout d’abord, auprès des forces de sécurité maliennes et des populations visées par les attaques des jihadistes. “Evidemment, quand on est dans une des localités affectées et qu’on entend cette information, il y a de quoi se poser des questions”, a commenté le chercheur Ibrahim Maïga sur RFI. “Cent jihadistes remis dans la nature, c’est quand même relativement dur à avaler pour les combattants, pour l’armée malienne…” acquiesce sur franceinfo Peer de Jong, coauteur de Sécurité et développement dans le Sahel, du concept à la réalité. “Certains collègues sont évidemment en colère”, commentait dès lundi un magistrat malien dans Libération.
Ces détenus libérés risquent par ailleurs de venir grossir les rangs d’organisations jihadistes qui connaissaient déjà un regain d’activité. Pour le GSIM, c’est aussi une victoire symbolique qui peut permettre de créer “une espèce d’engouement autour de leur mouvement”, craint Ibrahim Maïga, toujours sur RFI. “L’idée derrière, c’est de montrer que le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, le GSIM, n’oublie personne, n’oublie pas ses hommes et est en mesure aussi de libérer ses hommes quoi qu’il en coûte.”
Cette question n’est pas anodine pour la France, dont plus de 5 000 soldats restent déployés au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane. Et ce, même si la cible désignée de cette opération est davantage la branche locale du groupe Etat islamique. Pour Niagalé Bagayoko, “il faut savoir s’il va y avoir une possibilité d’utiliser la rivalité entre les groupes affiliés à Al-Qaïda et les groupes affiliés à l’Etat islamique” pour affaiblir les deux camps.
Les conditions de la libération des quatre otages, dont Sophie Pétronin, ne font pas forcément l’unanimité en France. Vendredi, la présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, a invité l’exécutif à lever le voile sur “les conditions qui ont présidé à cette libération” : “Les échos que nous avons eus [ne sont] évidemment pas pour nous rassurer quand on est attaché à la sécurité de notre pays.”“Jusqu’ici”, rappelle pourtant Niagalé Bagayoko, “à part la tentative d’attentat à Colombes où la personne mise en cause s’est prévalue du chef du groupe Etat islamique au Grand Sahara, il n’y a pas de lien avéré entre des menaces pesant directement sur le territoire français et ce qui se produit au Sahel”.