Dans son nouveau rapport, Oxfam préconise de lutter contre les inégalités pour répondre aux défis de la sécurité au Sahel, où l’indice de développement humain est parmi les plus bas au monde.
Dimanche encore, au moins 23 civils ont été tués par des hommes armés dans une nouvelle attaque de villages peuls du centre du Mali, près de la frontière avec le Burkina Faso. Depuis plusieurs mois, le Sahel fait face à une multiplication des affrontements armés. Selon l’appel lancé par l’ONU et plusieurs ONG, le 27 juin, les violences sont si importantes qu’elles ont provoqué une situation d’«urgence humanitaire sans précédent» avec des millions de personnes déplacées.
Aux enjeux de développement préexistants, la crise sécuritaire que connaît le Sahel «prend aussi racine dans les inégalités et un sentiment d’injustice profondément ancré», peut-on lire dans le nouveau rapport d’Oxfam, intitulé «Sahel : lutter contre les inégalités pour répondre aux défis du développement et de la sécurité», publié ce mercredi. «Les inégalités s’expriment dans les heurts et conflits qui minent actuellement les sociétés sahéliennes, et sur lesquelles prospèrent les groupes armés, trafiquants et organisations criminelles.»
La publication de ce rapport intervient à la veille de la rencontre, prévue les 4 et 5 juillet, consacrée au développement entre les ministres des pays du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad) et des ministres du développement du G7 (États-Unis, Allemagne, France, Italie, Japon, Royaume-Uni et Canada), groupe de discussion dont la présidence française de 2019 est consacrée à la lutte contre les inégalités. Pour Oxfam, c’est l’occasion de mettre en place de «véritables politiques publiques» afin d’apporter des solutions durables aux pays de la région où la violence et l’insécurité se propagent ces dernières années.
Frustrations
Les violences qui déchirent cette région ont culminé avec le massacre de près de 160 personnes dans le village d’Ogossagou, le 23 mars, attribué à des chasseurs dogons et visant lui aussi la communauté peule. Depuis que le nord du Mali est tombé en 2012 sous la coupe de groupes djihadistes, les violences se sont propagées vers le centre et le sud du pays, se mêlant souvent à des conflits intercommunautaires, un phénomène que connaissent également le Burkina Faso et le Niger voisins.
Dans le même temps, ce sont près de 40% des habitants du Sahel qui vivent sous le seuil de pauvreté et les inégalités sont criantes. La moitié de la population n’a pas accès à l’eau potable et près de 2,5 millions d’enfants en âge d’être scolarisés ne vont pas à l’école. Au Mali, le taux de fréquentation scolaire des pasteurs nomades, défavorisés, n’excède même pas 3%. Selon le rapport d’Oxfam, ces «inégalités croissantes forment un terreau sur lequel les conflits risquent de perdurer». Une analyse que partage Jean-Hervé Jézéquel, directeur du projet Sahel à l’International Crisis Group (ICG) : «Un certain nombre d’inégalités et de frustrations sont à l’origine de mouvements armés qui s’opposent à l’Etat, qui ne joue pas son rôle de régulateur.» A titre d’exemple, les groupes marginalisés au centre du Mali, dont une partie des éleveurs nomades, «voient dans l’accès aux armes modernes un moyen de contester les hiérarchies en place», peut-on lire dans un document du même institut.
La sécurité au détriment du développement ?
«Les dépenses budgétaires liées à la défense et à la sécurité publique ont fortement augmenté ces dernières années, contraignant les budgets de développement», peut-on également lire dans le document d’Oxfam. Si les Etats africains se sont engagés à consacrer une part importante de leur budget à l’éducation (20%) et à la santé (15%), l’action de certains pays est encore trop timide. Au Niger, les dépenses moyennes annuelles d’éducation ont par exemple baissé sur la période 2016-2019 alors que le budget consacré à la sécurité a explosé (+29%).
«Du fait des contraintes sécuritaires, l’Etat investit moins dans les secteurs sociaux comme la santé et l’éducation, ajoute Jean-Hervé Jézéquel. Les insurgés profitent ainsi de ce discrédit pour gagner en popularité auprès des populations locales.» Si les chancelleries s’accordent à dire que la sécurité et le développement constituent les deux piliers indispensables à la stabilisation du Sahel, les efforts se sont jusqu’à présent davantage concentrés sur le premier aspect. Le rythme des violences s’accélérant dans la région, les instances comme le G5 Sahel doivent donc «reconnaître que l’approche sécuritaire ne permettra pas une résolution durable des conflits», selon le rapport. Ainsi, les ONG et les associations de la société civile font monter la pression à la veille de la réunion ministérielle sur le développement, même si «la communauté internationale ne doit pas se substituer aux Etats du Sahel, seuls garants du contrat social avec leurs citoyens», met en garde Robin Guittard, responsable de campagne à Oxfam.
Source: https://www.liberation.fr