Le Niger, nouveau pivot de la France au Sahel

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Depuis le second coup d’Etat au Mali, la France compte de plus en plus sur le Niger pour maintenir la pression sur les groupes djihadistes tout en espérant entamer le retrait des troupes françaises.

La France a beau avoir annoncé la fin de l’opération militaire Barkhane, elle promet de ne pas pour autant laisser le champ libre aux djihadistes au Sahel. Alors qu’Emmanuel Macron proclamait le 10 juin un retrait progressif et encore flou des troupes françaises du Sahel, ces dernières capturaient le lendemain un commandant de l’Etat islamique dans le Grand Sahara. Cette opération a été menée depuis le Niger, désormais considéré par Paris comme un partenaire plus fiable que le Mali, qui a connu le mois dernier son second coup d’Etat en moins d’un an.

Samedi dernier, les armées burkinabè et nigérienne ont annoncé avoir tué une centaine de djihadistes au moins de juin dans la zone dite des trois frontières, l’un des épicentres des groupes armés au Sahel à cheval entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Il n’a pas été précisé si la France avait participé à ces hostilités. Le Mali n’était pas associé.

«Une sanction à l’égard du Mali»

«La fin annoncée de l’opération Barkhane est une sanction à l’égard du Mali», confirme le journaliste Martin Faye, chargé de mission pour la Fondation Hirondelle, qui soutient Studio Tamani, une radio basée à Bamako avec des correspondants dans tout le pays.

Emmanuel Macron a en effet pris prétexte du coup de force des militaires maliens qui ont écarté le gouvernement de transition pour le remodeler à leur guise, pour promettre un retrait des troupes françaises qui étaient intervenues au Mali en 2013.

Alors que les djihadistes apparaissent aujourd’hui plus puissants que jamais, la rupture semble consommée avec le Mali, où les forces françaises étaient accueillies en libératrices il y a huit ans. Le «second coup d’Etat» malien dénoncé par Paris permet donc d’entamer un retrait, alors que cette guerre lointaine est de plus en plus impopulaire à moins d’un an de la présidentielle française.

Un modèle de démocratie?

Au contraire du Mali, le Niger ferait presque figure de modèle de démocratie. En février dernier, le président Mohamed Bazoum a été élu au terme de la première transition démocratique de l’histoire du pays. Le scrutin a été contesté mais son prédécesseur, Mahamadou Issoufou, tenté par un troisième mandat, s’est finalement retiré après ses deux mandats réglementaires. Cela lui a valu le Prix de la Fondation Mo Ibrahim, doté de 5 millions de dollars, qui récompense les chefs d’Etat africains qui acceptent de lâcher le pouvoir.

La question démocratique n’est pas la seule pomme de discorde entre Paris et Bamako. D’autant qu’Emmanuel Macron s’est montré moins sourcilleux à l’égard des militaires tchadiens qui ont placé aux commandes du pays le fils du président Idriss Déby, tué fin avril.

Négociation avec les djihadistes

Les tensions entre le Mali et la France se cristallisent sur d’autres points sensibles. De façon frappante, le commandant djihadiste capturé par les forces françaises le 11 juin avec l’aide du Niger avait été libéré par le Mali en octobre dernier en échange du chef de l’opposant politique Soumaïla Cissé, décédé depuis.

Un marchandage qui avait aussi bénéficié à l’otage française Sophie Pétronin. Mais Paris avait été tenu à l’écart de ces négociations, au terme desquelles des centaines de détenus soupçonnés de liens avec les djihadistes avaient été libérés. Ces libérations avaient provoqué la polémique en France, qui a perdu 55 militaires à ce jour au Sahel. Incapables de juguler les violences et voyant une grande part de leur territoire leur échapper, les pays du Sahel sont de plus en plus tentés par des négociations avec les groupes djihadistes.

Autre sujet qui fâche, on prête en effet à la junte du colonel Assimi Goïta des velléités de rapprochement avec la Russie, rival militaire grandissant de la France en Afrique. Le ministre malien de la Défense, le colonel Sadio Camara, était d’ailleurs à Moscou la semaine dernière pour «une conférence sur la sécurité internationale» à laquelle étaient invités de nombreux responsables militaires à travers le monde.

Les craintes de la «majorité silencieuse»

«Au Mali, une minorité bruyante réclame le départ de la France et l’arrivée de la Russie, analyse Martin Faye, en référence aux manifestations organisées régulièrement à Bamako. «Mais la majorité silencieuse du pays craint un retrait de la force Barkhane qui laisserait le champ libre aux djihadistes», tempère le journaliste. Qui ne croit pas que le Mali se jettera aussi facilement dans les bras de la Russie, comme l’a fait la Centrafrique.

«La France et les Européens gardent un levier important sur le Mali. Ce sont eux qui financeront les prochaines échéances électorales qui doivent assurer la transition du pays vers le retour des civils au pouvoir», déclare Martin Faye. Le journaliste redoute que les échéances électorales ne puissent être respectées. En effet, pas moins de six scrutins sont prévus d’ici au printemps prochain.

Dans ce contexte incertain, la liberté de la presse est relativement respectée au Mali, positive Martin Faye. «Les militaires ont sommé les journalistes de soutenir les autorités dans cette période difficile mais les intimidations ne vont heureusement pas plus loin.»

Le chargé de mission s’attelle désormais à améliorer la formation de ses confrères maliens en prévision des prochaines élections. Et faire en sorte que les radios communautaires ne propagent pas de fausses informations et ne jettent pas de l’huile sur le feu des conflits communautaires, souvent instrumentalisés par les groupes djihadistes.

www.letemps.ch

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