Le Centre s’embrase : Jusqu’où le massacre des peulhs ?

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De la découverte du charnier à Nantaga avec une vingtaine de victimes, à la tuerie de Koumaga (Djenné) 23 juin dernier, aux enlèvements de personnes à Dorobougou. Le Centre du pays est rentré, la semaine dernière, dans un cycle de violence sans précédent avec un nombre très élevé  de victimes civiles, précisément des peulhs. Ici et là, ce sont d’innocentes populations qui sont victimes de la barbarie. Face à cette situation, des voix s’élèvent au Mali et à l’extérieur pour condamner ces tueries. 

En effet, les violences intercommunautaires se multiplient dans le Centre du pays où l’on assiste à un véritable massacre  des populations civiles. Chaque jour apporte, en effet, son lot de victimes…

Ainsi, le samedi 23 juin dernier, 32 civils peulhs ont été tués dans le village de Koumaga (Djenné) au cours d’une attaque attribuée à des chasseurs traditionnels (Dozo), selon l’association peulh Tabita Pulaaku.

«Des gens habillés en Dozo, sont arrivés dans le village de Koumaga, dans le cercle de Djenné (Mopti). Ils ont encerclé le village, isolé les Peulhs des autres communautés et, froidement, ils ont tué au moins 32 civils. Dix autres sont portés disparus », a déclaré le président de cette association, Abel Aziz Diallo.

Les Peuls dénoncent régulièrement des exactions à leur encontre, au nom de la lutte contre les djihadistes, de la part de groupes de chasseurs traditionnels, tolérés voire encouragés selon eux par les autorités, ou de l’armée…

Ces derniers mois, les annonces par l’armée malienne de la « neutralisation de terroristes » dans le centre ont souvent été contestées par les organisations de défense des droits de l’homme et par des habitants, qui dénoncent des exécutions extrajudiciaires.

« Ce qui se passe est très grave. Il faut éviter les amalgames. Ce n’est pas parce qu’on est peulh qu’on est djihadiste », a déclaré Abdel Aziz Diallo. Selon le président de l’association Tabila Pulaaku, il avait informé les autorités maliennes de l’imminence de l’attaque et « c’est seulement après les faits que l’armée malienne s’est rendue brièvement sur les lieux ».

 

L’horreur de Nantaga

Les Etats-Unis ont demandé au gouvernement de mener une enquête « crédible et transparente » après la découverte de 25 corps dans trois fosses communes dans la région de Mopti et la reconnaissance, par le ministre de la Défense, de l’implication de « certains personnels » de l’armée. Aussi, l’Union européenne a également fait part de sa préoccupation face à cette situation.

Les corps de 25 personnes ont été retrouvés dans le Centre du Mali après une série d’arrestations par l’armée malienne la semaine dernière, selon certaines sources.

L’association de défense des droits des populations pastorales Kisal affirme dans un communiqué que, la semaine dernière, « lors d’une opération de l’armée malienne dans les localités de Kobaka et Nantaka, (région de Mopti), 25 personnes issues de la communauté peulh ont été arrêtées ».

« Les riverains alertés par les coups de feu ont effectué par la suite un ratissage dans les environs », découvrant « trois fosses communes contenant au total 25 corps », selon Kisal, qui fournit une liste nominative de 18 personnes identifiées et « s’indigne contre cette énième exécution de trop ».

« Dans la première fosse, il y a sept corps. Dans la deuxième 13, et cinq autres dans la troisième », a précisé Oumar Diallo, membre de Tabital Pulaaku.

Du côté du gouvernement, une source au ministère de la Défense a démenti « ces accusations d’exécutions sommaires », ajoutant qu’une enquête avait été ouverte.

Selon un habitant de Nantaka, Hama Kelly, à leur arrivée dans le village des militaires ont commencé par arrêter toute personne qu’ils rencontraient. « Ils ont récupéré leurs téléphones portables et cartes d’identité. C’est après que les Songhaï ont été libérés, mais tous ceux qui sont peulhs sont restés avec eux », a-t-il déclaré.

Le président de Tabital Pulaaku, a confirmé : « Ce samedi, une milice armée à la recherche d’animaux volés est tombé dans une embuscade dans un petit village du nom de Tekere Finadji. Echanges de tirs. Cinq personnes sont tuées et au moins sept autres blessées ».

De son côté, le Parena estime que  la côte d’alerte est atteinte. « L’instabilité fait des ravages. Au cours du seul mois d’avril, plus de 200 personnes ont perdu la vie au Nord-Est et au Centre du Mali. Du 1er janvier au 31 mars 2018, au moins 316 personnes sont mortes dans notre pays, du fait de l’insécurité », indique le Parena.

 

La poudrière communautaire !

Pour échapper à ces affrontements, le nombre des réfugiés peulhs à Dialakorobougou venant du Cercle de Koro s’augmente. En, effet, le 10 mai dernier, 15 nouveaux cas de déplacés ont été enregistrés à Bamako dont 6 femmes, 7 enfants et 2 hommes. Au total, 96 personnes ont quitté leurs villages.

Par ailleurs, ces affrontements ont été déclenchés par l’attaque, par des éleveurs Peulhs, de deux villages (Sabérré-Darrah et Diankabou) habités par des Dogons. Ce à quoi les chasseurs Dogons ont répliqué en attaquant et en incendiant le village peulh de Madougou, le dimanche 11 mars 2018. Le lendemain (12 mars), de violents heurts ont opposé les deux communautés à Kewa, dans le cercle de Djenné (Mopti). Bilan : 10 morts (8 Dogons et 2 éleveurs Peulh) et plusieurs blessés. Dans le cercle de Koro, à Aama, village situé dans la Commune de Kassa à Diankabou, des affrontements intercommunautaires ont eu le samedi dernier. L’incident s’est produit autour d’un puits à grand diamètre. Pas de perte en vie humaine. Au même moment, le village de Bombou dans la Commune de Madougou avait été attaqué par des individus non identifiés. Le bilan fait état deux morts.

Le dimanche 6 mai 2018, au cours d’une conférence le président de Tabital Pulaaku a clairement indiqué les attaques récentes portent la signature  des chasseurs dozos, et dans laquelle on retrouve des Dogons, mais aussi des gens qui ne seraient pas maliens: « La situation est très grave. Et de jour en jour, ça s’aggrave. Aujourd’hui, il y a une milice appelée Dozo, qui est descendue dans le centre et qui est en train de descendre dans les villages pour tuer les gens n’importe comment. Ils arrêtent même des voitures pour faire descendre les gens et les égorger. Ils brûlent les cases, ils tuent les animaux des Peulhs. C’est très grave ! C’est une milice fabriquée. On ne sait pas qui tire les ficelles, mais ce qui est sûr, c’est que cette situation-là n’est pas claire. Et ça risque de contaminer toute la région entière. Aujourd’hui, c’est Koro. Hier, c’était Djenné. Demain, on ne sait pas si ce ne sera pas Douentza, Bankass ou Bandiagara ». Le président de Tabital Pulaaku a cité une série d’évènements  qui tendent à prouver une nette détérioration sur le terrain. A savoir le massacre  des habitants  peulhs de Nawodié et Tanfadada dans la commune de Dougani par des chasseurs appelés  Dan-na  Amassagou ; l’incendie des villages peuls de Madougou ; la chasse aux peuls entreprise par la milice Dan-na Amassagou ; l’interception de vivres destinés  aux populations…

Une véritable poudrière pour l’Etat malien qui paye aujourd’hui au prix fort l’abandon de pans entiers de son territoire et une stratégie maladroite déployée depuis des années consistant à alimenter les divisions locales pour asseoir son autorité.

Mais dans un manifeste publié le 19 août 2016, Aly Nouhoun Diallo, porte-parole de la coordination des associations peulhs, avait tiré la sonnette. En effet, M. Diallo avait notamment dénoncé les « persécutions orientées contre des peuls » et les « amalgames » des forces armées maliennes qui assimilent systématiquement les peulhs à des terroristes. La création du Front de libération du Macina (FLM) de Hamadoun Kouffa, composé de combattants majoritairement peulhs a jeté de l’huile sur le feu en déclenchant une répression brutale et aveugle…

Depuis, d’autres mouvements militaires non terroristes ont vu le jour tels que l’Alliance nationale pour la sauvegarde de l’identité peulh et la restauration de la justice au Mali. Ce dernier a notamment mené une offensive contre des milices à Karéri le samedi 27 août 2016 causant la mort d’une dizaine de personnes. Face à ces violences, des centaines de civils de cette ethnie ont pris la route vers le Sud du pays. Plusieurs milliers de peuls ont quant à eux été contraints de fuir la région de Mopti en direction de la Mauritanie voisine.

Mohamed Sylla

(L’Aube 993 du lundi 2 juillet 2018)

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