La situation au Nord du Mali est plus complexe à traiter qu’il y a vingt ans et nécessite que la nouvelle équation soit clairement posée.
Toutes les dimensions du phénomène ne sont pas encore mesurées, mais les indices ne manquent pas pour indiquer que notre pays est entré dans le temps des vérités nouvelles. Il faudra certainement faire preuve d’ouverture d’esprit et de capacité à nous remettre en cause pour accepter cette évolution, l’assimiler et la maîtriser. Depuis vingt mois nous vivons en accéléré notre Histoire sans avoir eu la totale possibilité d’analyser le flux continu d’évènements aux contenus et aux conséquences souvent contradictoires. Nous n’avons pas non plus eu vraiment le temps de nous interroger sur la résistance des ressorts qui ont permis à notre pays de tenir, puis d’avancer là où d’autres nations auraient été condamnées au précipice. Aujourd’hui, un espace – encore modeste – se dégage pour plus de prospective. Car si la pression des urgences est toujours là, la cadence des évènements s’est ralentie pour épouser le rythme de ce qui constitue désormais notre priorité, le retour à la normale.
Celui-ci est largement synonyme d’instauration (ou de restauration dans certains cas) de tout ce qui représente le mérite et la force d’une nation démocratique, notamment l’impartialité de l’Etat, la solidité des institutions et le souci de la justice sociale. La complexité de ce rétablissement de la normalité provient de ce que celui-ci est dans bien des cas conditionné à la nécessité de traiter et d’évacuer les séquelles de tous les traumatismes vécus depuis le coup d’Etat du 22 mars 2012. La proche actualité est venue rappeler que de toutes les questions difficiles abordées, celle liée à la situation au Nord de notre pays est sans aucun doute la plus prégnante, tant par les épisodes inquiétants qu’elle génère à répétition que par la lourde incertitude qui pèse sur la perspective d’une solution négociée, raisonnable et pérenne. Le révoltant assassinat de nos confrères de RFI, les derniers troubles survenus à Gao et le récent accrochage entre l’armée nationale et des éléments du MNLA sont venus souligner l’inflammabilité de la situation et rappeler que les solutions à trouver revêtiront certainement un caractère inédit.
L’une des priorités immédiates que doit se donner la communauté internationale est de poser en termes sans équivoque l’équation MNLA. Le mouvement armé tire l’essentiel de la considération dont il bénéficie du refus de certains partenaires internationaux d’admettre qu’abandonné à lui-même, privé des béquilles de la mansuétude, il ne survivrait pas longtemps à ses contradictions internes et à sa faiblesse d’organisation. Jusqu’à la mort de Ghislaine Dupont et de Claude Verlon, le Mouvement avait réussi à entretenir l’illusion que la position privilégiée qui lui avait été octroyée à Kidal était acceptable malgré son caractère peu orthodoxe, car elle limitait les risques d’instabilité dans la 8ème Région. Les enquêtes ouvertes à la suite de l’exécution de nos confrères ont permis de faire émerger une réalité entièrement différente du rideau de fumée habilement entretenu.
MAL ORGANISÉ ET TROP PEU ROBUSTE. L’identification de l’inspirateur de l’opération d’enlèvement, Bayes Ag Bakabo, a fait apparaitre que le MNLA, revenu à Kidal militairement affaibli par la déroute infligée par le MUJAO, a choisi de se reconstituer partiellement en recyclant de manière systématique d’anciens éléments d’Ansar Dine et surtout d’AQMI. Eléments dont il ne pouvait pourtant méconnaître ni l’implication profonde dans les actes de terrorisme, ni la disponibilité à renouveler ces mêmes actes dès que l’opportunité s’en présenterait. Les enquêtes révèlent aussi que le Mouvement n’exerçait aucun contrôle, ni aucune surveillance sur les supplétifs qu’il a laissés venir grossir ses rangs. Ce faisceau de faits donne à choisir entre deux hypothèses. Soit le Mouvement entretient délibérément une situation d’insécurité dans la zone de Kidal en escomptant que cette instabilité prolongera le statut exceptionnel dont il jouit. Soit il est trop mal organisé et trop peu robuste pour prétendre encadrer les alliés douteux qui l’ont rejoint.
La seconde explication nous paraît être incontestablement la bonne et s’appuie sur deux raisons essentiellement. Il y a tout d’abord le fait que le Mouvement se soucie tout particulièrement de préserver la rente de situation dont il bénéficie de la part de certains membres de la communauté internationale. Connaissant le rejet sans nuance par ceux-ci de tout acte terroriste, le MNLA ne prendrait jamais le risque de jouer aux apprentis sorciers en essayant de manipuler des preneurs d’otages ou des auteurs d’attentat. Par contre, – et cela est la deuxième raison – le Mouvement ne peut être considérée comme une entité homogène et structurée. Il représente surtout une franchise exploitée par des groupes aux intérêts divergents. La frange politique réaliste que nous avions évoquée dans une précédente chronique mesure très exactement l’évolution politique et militaire de la situation au Mali ainsi que les nouvelles dispositions d’esprit d’une communauté internationale nettement plus attentive aujourd’hui aux positions des autorités maliennes. Cette frange sait ce qu’elle a à gagner dans des négociations constructives avec l’Etat et multiplie depuis plusieurs semaines des assurances apaisantes quant au retour au sein de la nation malienne. Mais elle n’est pas en position de faire basculer tout le Mouvement, comme en témoigne la rebuffade essuyée par l’ancien député Mohamed Ag Assaleh.
UNE SIMPLE ANNONCE. Car une autre frange de l’aile politique n’a pas encore renoncé à un combat d’arrière-garde et demeure persuadée qu’il est possible d’obtenir pour la Région de Kidal un statut d’autonomie avancée qu’il serait possible ensuite de faire évoluer vers une forme de partition. Les propos tenus par Ambéry Ag Rhissa dimanche dernier sur RFI et critiquant l’organisation des législatives, sont à cet égard assez faciles à décrypter. Il est d’ailleurs indispensable de rectifier une liberté prise avec l’Histoire par le responsable du MNLA. Ag Rhissa a en effet assuré que le terme « Azawad » avait été consacré par le Pacte national. En réalité, le document dans son titre I intitulé « Les principes directeurs » constate le désaccord subsistant entre les autorités maliennes et les Mouvements et fronts unifiés de l’Azawad sur l’appellation à donner au Septentrion malien. Le gouvernement était partisan de l’expression administrative « 6ème, 7ème et 8ème Régions » alors que les MFUA insistaient pour l’usage du terme « Azawad ». Une formule de compromis fut donc trouvée. En attendant que les populations de la zone ne tranchent à travers les instances décentralisées, l’expression « Nord du Mali » a été de commun accord utilisée dans le document. Et cette expression a encore cours aujourd’hui.
Tout comme son pendant politique, l’aile militaire du MNLA pourrait, elle aussi, se diviser schématiquement en deux composantes. La première intègre ce qui reste des troupes organisées du Mouvement qui avaient combattu l’armée malienne entre janvier et mars 2012 avant d’être considérablement affaiblies par les coups portés par le MUJAO et par les difficultés d’intendance. Cet embryon de force organisée, mais pas toujours docile aux injonctions du politique, se trouve pour l’essentiel basé à Kidal. Autour de lui et n’ayant aucune relation fonctionnelle avec son commandement, gravite un nombre indéterminé de groupes armés spécialisés dans la rapine et dans le pillage, tel celui récemment neutralisé par l’armée malienne dans la zone de Ménaka.
La fragmentation du MNLA rend sa ligne de conduite difficilement déchiffrable et oblige à observer un doute permanent sur les concessions qu’il fait ou sur les compromis qu’il accepte. Parce qu’il suffit qu’une des ailes parvienne à imposer sa lecture des négociations pour que des acquis laborieusement élaborés soient jetés bas par une déclaration péremptoire. C’est pourquoi l’assurance donnée pour un retrait du Mouvement des positions qu’il occupe au gouvernorat de Kidal et à la station régionale de l’ORTM est à prendre pour ce qu’elle est. C’est-à-dire pour une simple annonce qui ne présage en aucune manière d’un virage vers une attitude plus conciliatrice, ni de l’instauration d’un climat apaisé dans la ville. Les politiques du MNLA ont senti un durcissement général de la conjoncture en leur défaveur. Ils en prennent donc acte et lâchent juste ce qu’il faut de lest pour calmer leurs interlocuteurs non pas maliens, mais de la communauté internationale.
LE POIDS DES ÉVÉNEMENTS LES PLUS TRAGIQUES. Combien de temps durera ce mouvement de balancier qui a fini par faire ressembler les négociations à un interminable marchandage ? Nul ne le sait vraiment. Mais le temps perdu joue contre nous. Car ce sont les efforts pour l’établissement d’un niveau acceptable de sécurité et pour l’entame d’une difficile réconciliation nationale qui se trouvent d’autant contrariés. Cela au moment où les signaux d’alerte ne manquent pas. L’un des mérites des Assises du Nord qui se sont tenus la semaine dernière aura été d’offrir aux représentants des communautés de notre Septentrion une tribune pour un indispensable exercice de catharsis. Une oreille attentive a ainsi pu capter le rappel déchirant des épreuves subies, la rage rentrée des humiliations essuyées, la douleur de l’exil forcé, le regret de la perte d’un mode de vie, la crainte insidieuse de l’avenir, la crainte de ne pouvoir ressusciter la communion de naguère.
L’investissement pour la reconstruction est certes là, mais derrière le volontarisme exprimé par beaucoup se percevait aussi l’inquiétude quant à la possibilité de guérir toutes les blessures. Après la rébellion des années 1990, la société civile avait été décisive dans la reconstitution du vivre ensemble. Le dialogue intercommunautaire, déclenché par les autorités traditionnelles et consacré par les accords de Aglal (Région de Tombouctou) et de Bourem (Région de Gao), avait effacé les derniers antagonismes entre anciens belligérants et avait surtout restauré la cohabitation ébranlée entre les populations. L’approche mise en route spontanément par les chefs coutumiers avait été ensuite fortement encouragée par le gouvernement et les partenaires extérieurs. Mais il faut noter une différence de taille par rapport à ce qui se passe aujourd’hui. A l’époque, l’exigence de vérité n’avait pas été mise en avant. Les populations avaient choisi de faire courageusement l’impasse sur un passé pourtant douloureux pour se tourner vers l’avenir.
Aujourd’hui, le poids des évènements les plus tragiques est là et il ne peut être ignoré, car l’opinion nationale en entretient le souvenir depuis des mois. Le massacre de Aguel hoc, les complicités ou la complaisance dont ont pu bénéficier les occupants djihadistes, les exactions infligées des mois durant à des paisibles populations ont créé un contexte post conflit autrement plus lourd et complètement différent de celui d’il y a vingt ans. Les troubles survenus à Gao au moment où s’ouvraient les Assises sont extrêmement symboliques des enjeux supplémentaires qui se dressent sur le chemin du retour vers la normale. L’actuel noyau dur des rancœurs et des colères est si compact qu’il ne peut être brisé par le recours au seul dialogue. Le gouvernement et tous les médiateurs ont l’obligation de lui ajouter d’autres chemins qui n’avaient pas été explorés auparavant, car il leur faut ménager l’avenir tout en reconnaissant le lourd héritage du passé proche. C’est sans doute dans notre Septentrion que commence la gestion des vérités nouvelles.
G. DRABO