A la faveur d’une conférence de presse, Joanne Adamson, Représentante spéciale adjointe du secrétaire général a rassuré les victimes des massacres au centre du pays une enquête.
« Nous sommes présents aujourd’hui pour présenter publiquement les conclusions de l’enquête conjointe menée par les chargés des droits de l’homme et les experts de la police scientifique et technique de la Minusma sur l’attaque du village d’Ogossagou, dans la commune et le cercle de Bankass, région de Mopti, le 23 mars dernier. C’est par ses propos que Joanne Adamson, Représentante spéciale adjointe du secrétaire général, a rassuré de la volonté des Nations unies à lutter contre les exactions contre les civiles au centre du pays. Cette enquête et la présentation publique de ses conclusions se font conformément à la résolution 2423 (2018) du Conseil de sécurité des Nations Unies qui, rappelle-t-elle, donne à la Mission le mandat de « surveiller, sur le territoire national, les violations du droit international humanitaire et les violations des droits de l’homme et atteintes à ces droits, concourir aux enquêtes et lui faire rapport à ce sujet, de même que publiquement, selon qu’il convient, et contribuer aux activités de prévention de ces violations et atteintes ». Ainsi, et dans le cadre de l’accompagnement du Gouvernement dans la lutte contre l’impunité, la Minusma a conduit toute une série d’enquêtes sur différentes allégations de violations et d’abus des droits de l’homme commis sur l’ensemble du territoire malien, en particulier dans les régions du Centre, dit-elle.
Saluant la volonté politique du gouvernement et l’ouverture d’enquêtes et de procédures judiciaires, notamment sur les incidents de Nantaka, Boulkessy, Koumaga, Koulogon-Peul et tout récemment Ogossagou, Joanne Adamson dira que les auteurs de ces graves violations et abus ne resteront pas impunis. Il convient en effet de rappeler que les cas documentés par la Mission constituent des crimes face au droit pénal malien et se doivent d’être jugés devant les tribunaux nationaux compétents.
« La protection physique est un élément dans notre stratégie de Protection des civiles. Mais la justice et la lutte contre l’impunité sont également des éléments très importants dans la prévention de la violence. Il faut que les auteurs sachent qu’il y aura des conséquences. Les populations des villages du centre, qu’elles soient peule, dogon, arabe, sonhrai et autres, attendent des résultats des enquêtes judiciaires en cours nous les soutenons dans leurs attentes légitimes et travaillons avec les autorités maliens pour atteindre cet objectif… »
Dans le cadre du cycle de violence sur fond de tensions communautaires au centre du Mali, l’année 2019 a été marquée par deux évènements majeurs : l’attaque du village de Koulogon-Peul le 1er janvier, ayant couté la vie à 39 membres de la communauté peule, et celle du village d’Ogossagou le 23 mars dernier, ayant fait au moins 157 morts, précise-t-elle.
La Mission a partagé le rapport sur l’incident de Koulogon-Peul avec le Gouvernement malien le 8 avril dernier, auquel le Gouvernement a répondu. Le rapport final sera donc publié très prochainement, ajoute-t-elle.
« Aujourd’hui, nous vous présentons les résultats de l’enquête sur l’incident d’Ogossagou ; c’est ainsi que je vais donner la parole à M. Guillaume N’Gefa, Directeur de la Division des droits de l’homme et de la protection de la Minusma et représentant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme au Mali.Mais avant de terminer je veux dire un mot sur la situation politique. Nous espérons tous qu’il y aura du progrès dans la formation du nouveau Gouvernement. Je crois qu’il y a des évènements même aujourd’hui. J’ai vu que dans les discussions beaucoup de parties ont soulevé la question de la stabilisation du Centre. Je veux joindre ma voix à celles de ceux qui ont dit que le nouveau gouvernement, j’espère va travailler dans un esprit de rassemblement pour faire face à ce très grand défi au centre du Mali. En attendant des développements et l’annonce d’un nouveau gouvernement, je veux souligner que nous espérons que ce gouvernement va combattre l’impunité, va travailler avec nous pour sécuriser le Centre du pays et continuer nos efforts conjoints à cet objectif… »
Le directeur de la Division des droits de l’homme de la Minusma, Guillaume Ngefa ajoutera que la Minusma a déployé du 25 au 29 mars 2019, une mission d’enquête spéciale des droits de l’homme dans la région de Mopti, plus précisément dans le village d’Ogossagou (environ 18 km au sud de la ville de Bankass, dans la commune de Bankass, cercle de Bankass) suite aux allégations de graves abus des droits de l’homme ayant occasionné la mort d’une centaine de personnes et des destructions de propriété. « L’objectif de la mission spéciale d’enquête des droits de l’homme était d’établir les faits, examiner les circonstances et l’ampleur de l’attaque, en identifier les auteurs et en établir le bilan et situer les responsabilités des acteurs impliqués. L’équipe de la mission était composée de 10 chargés des droits de l’homme et une chargée de la protection de l’enfance de la Division des droits de l’homme et de la protection (DDHP) appuyés par deux experts de la police technique et scientifique de la Police des Nations Unies (UNPOL)… »
Pour lui, dans un premier temps, l’équipe a procédé à la collecte et l’analyse d’informations préliminaires à travers de nombreuses sources primaires, secondaires et différents rapports internes, ainsi que la consultation et la certification des photos et vidéos obtenues des sources ouvertes. « Une fois déployée à Mopti/Sévaré, l’équipe s’est entretenue avec les autorités régionales militaires, judiciaires, administratives et médicales, et a conduit en parallèle des entretiens avec plus d’une dizaine de blessés pris en charge à l’hôpital de Sévaré. Le 27 mars, la mission a été déployée in situ dans le village d’Ogossagou pour enquêter sur les allégations des abus commis. Elle a visité la partie du village où se trouvaient les trois fosses communes où a été enterrée la majorité des victimes. L’équipe a mené 25 entretiens individuels et confidentiels avec les survivants et autres témoins directs de l’incident, ainsi que des entretiens de groupes avec plus d’une centaine de personnes… »
De Mopti, Sévaré et Bamako, l’équipe a poursuivi les entretiens additionnels avec diverses autorités régionales et communales, les membres du cadre de concertation de la société civile, y compris les représentations des communautés peule et dogon, les responsables politiques et militaires des groupes d’auto-défense et traditionnels peuls et dogons opérant dans la zone ainsi que les déplacés internes à Mopti.Au total, la Mission s’est entretenue de manière individuelle avec plus de 90 personnes, victimes, autorités et autres acteurs compris.
Tous sur Ogossagou !
« L’attaque menée sur le village d’Ogossagou n’est pas un incident isolé mais s’inscrit au contraire dans une dynamique d’accentuation progressive de violences répétées sur fond de tensions communautaires dans la région de Mopti, et particulièrement dans le cercle de Bankass. Des attaques et des actions de représailles sont menées par des groupes d’auto-défense communautaire, possédant pour la plupart des armes de guerre et agissant en toute impunité, à l’encontre de populations civiles, peule et dogon », indique Guillaume Ngefa.
« Je tiens à souligner ici que le cercle de Bankass est devenu, depuis novembre 2018, l’épicentre de ces violences : entre le 1er novembre 2018 et le 22 mars 2019, veille de l’incident, la Division des droits de l’homme et de la protection a documenté au moins 37 incidents et/ou attaques ayant conduit à des abus de droits de l’homme commis par des groupes armés organisés d’auto-défense communautaire, dont 21 sont attribuables à des présumés chasseurs traditionnels (dozos) ayant conduit à la mort d’au moins 100 membres de la communauté peule, et 16 attribuables à des groupes armés organisés d’auto-défense peuls ayant conduit à la mort d’au moins 15 membres de la communauté dogon, selon lui.
Avant le 23 mars, plusieurs tentatives d’attaques sur la partie du village d’Ogossagou habitée par les peuls par des chasseurs traditionnels opérant dans la zone avaient eu lieu, y compris le 15 janvier dernier. Cependant, toutes ces attaques ont été repoussées par des éléments armés peuls regroupés dans le cadre du processus de « désarmement volontaire ». Il convient ici de noter la présence, depuis plusieurs mois, d’une soixantaine d’éléments armés peuls, pour la plupart habillés en tenue militaire, dans la partie peule du village d’Ogossagou dans l’attente d’une éventuelle intégration au programme de réduction de la violence communautaire au centre du Mali, annoncé par le gouvernement en 2018. Une présence d’ailleurs connue et tolérée tacitement par les autorités administratives et militaires.De plus, le 20 mars, soit trois jours avant l’attaque, un communiqué du groupe de chasseurs Dan Nan Ambassagou faisait état « d’attaques des bandits armés habillés en tenue militaire » qui menacent le « pays Dogon », et de la détermination du groupe à y répondre… »
Au terme de sa mission, l’équipe d’enquête spéciale a conclu que le samedi 23 mars 2019, aux alentours de 5h du matin, un groupe composé d’au moins une centaine d’hommes armés, identifiés en majorité comme des chasseurs traditionnels (dozos) et accompagnés par une dizaine d’hommes en tenue militaire et des individus en tenues civiles, a mené une attaque planifiée, organisée et coordonnée sur la partie peule du village d’Ogossagou.
L’attaque a donné lieu à une confrontation armée ayant opposé les dozos aux éléments armés peuls faisant partie d’un rassemblement de candidats au processus de désarmement volontaire installés dans le village et qui s’étaient constitués de facto en groupe d’auto-défense. Les assaillants étaient en unités constituées avec un commandement sur le terrain, disposaient d’armes lourdes et ont attaqué à partir d’au moins deux endroits différents du village. Le groupe de chasseurs, supérieurs en nombre et en puissance de feu, a continué d’avancer sur le village, ciblant de manière indiscriminée hommes, femmes et enfants et incendiant les maisons à l’aide de torches et autres combustibles préparés à cet effet.
Dans leur mode opératoire, ont ciblé les chefs spirituel et traditionnel du village et ont exécuté les victimes civiles devant les membres de leurs familles, dans l’intention d’atteindre leur intégrité morale et en connaissance de l’impact de tels actes sur toute une communauté.
L’attaque a été exécutée avec des armes diverses, dont en majorité des armes à feu automatiques de type AK47, ainsi que des fusils de chasse traditionnels, des machettes et des couteaux. Les quelques 1351 douilles recueillies sur les lieux par les experts de police scientifique d’UNPOL et les nombreuses habitations criblées de balles, bien supérieures aux nombres de douilles retrouvées après les attaques sur Koulogon-Peul, Minima Maoudé-Peul et Libé-Peul, témoignent de l’ampleur et de l’intensité de l’attaque, et confortent ainsi la confrontation entre les dozos et les éléments peuls armés basés dans le village.
Au cours de l’attaque, les assaillants ont tué au moins 157 membres de la communauté peule, dont au moins 12 éléments du groupe d’auto-défense.
L’enquête a permis de démontrer que les assaillants ont tué par balle la majorité des victimes de manière indiscriminée, dont des femmes et des enfants. En revanche, les allégations de meurtres par arme blanche, y compris des égorgements, n’ont pas été corroborées. Les dozos ont également incendié plusieurs cases dans lesquelles les villageois s’étaient réfugiés, en y bloquant tout accès de sortie ; à ce stade, l’enquête n’a pas permis de déterminer avec exactitude si les victimes retrouvées calcinées sont mortes asphyxiées et/ou brûlées-vives ou ont été tuées par balle auparavant. L’équipe a pu confirmer et localiser au moins 3 fosses communes contenant au moins 40 corps dans chacune des deux premières et au moins 70 corps dans la troisième.
L’attaque a également causé des blessures par balles, par armes blanches et par autres moyens physiques à au moins 65 personnes, dont 43 (17 enfants) ont été prises en charge à l’hôpital de Sévaré où l’équipe s’est rendue.
Par ailleurs, l’équipe a pu déterminer que 210 bâtiments, soit 95% de la partie du village habitée par les peuls, ont été détruits par incendie. Les dozos ont délibérément incendié plusieurs dizaines de cases et de greniers contenant des réserves de nourriture essentielles, et ont tué plusieurs dizaines de têtes de bétails. Le nombre de 410 habitations et de 80 greniers avancé par plusieurs sources semble être surestimé par rapport à la taille du village. Les dozos ont également souillé l’eau du puits du village, seule source d’eau potable, en y jetant les corps mutilés de deux hommes et une femme laissée pour morte qui a survécu. L’équipe a analysé l’état du puits et a constaté que l’eau était visqueuse et mélangée avec du sang et autres déchets.Les faits documentés et corroborés lors de l’enquête constituent des atteintes graves au regard du droit international des droits de l’homme, à savoir notamment des privations arbitraires du droit à la vie, des atteintes à l’intégrité physique et mentale, notamment des cas de blessures physiques infligées volontairement et des abus d’une cruauté significative et des atteintes au droit à la propriété.
De plus, l’attaque planifiée, organisée, et coordonnée sur la partie peule du village d’Ogossagou s’inscrit dans un contexte d’attaques systématiques ou généralisées, en connaissance de cause, par des groupes de chasseurs traditionnels à l’encontre des populations civiles peules.
Ainsi, les abus documentés lors de l’attaque de la partie peule du village d’Ogossagou, pris dans leur contexte, pourraient être qualifiés de crimes contre l’humanité, si jugés par un tribunal compétent, en vertu du droit international pénal, particulièrement l’article 7 du Statut de Rome.
Zan Diarra