L’émir du Qatar, Cheikh Hamad Bin Khalifa al-Thani, a officiellement démenti que son pays ait pu soutenir un ou des groupes armés qui occupent le nord du Mali. Il l’a redit au président par intérim du Mali, Dioncounda Traoré, invité du 21 au 24 octobre dernier à Doha. Pourtant, même si les preuves manquent, les doutes sur un double jeu du petit émirat arabe dans cette zone sahélienne demeurent. La présence d’ONG qatariennes serait-elle une couverture pour d’autres missions ?
Début juillet 2012, Gao est tombé entre les mains du Mujao. La ville est en lambeaux après le passage du MNLA. Les ONG humanitaires ne sont pas nombreuses : le CICR, Médecins du monde Belgique, Action contre la faim tentent de parer au plus pressé pour aider les populations civiles, à bout.
C’est dans ce contexte que le Croissant-Rouge qatarien entre en jeu. Une délégation de trois personnes arrive de Doha via Niamey. Objectif : établir une mission d’évaluation des besoins en aide humanitaire. Devant la société civile de Gao, les Qatariens promettent une aide de 3 milliards de francs CFA en fournitures variées : médicaments, semences et engrais, moteurs neufs pour la centrale hydroélectrique de la ville.
Quatre mois plus tard, seule l’aide alimentaire est arrivée : de la semoule, du lait, de l’huile… Au total 21 tonnes de denrées, distribuées durant l’été par des agents locaux. Des denrées alimentaires qui rentrent au nord du Mali via le Niger, par la route.
La flambée des primes
Le Croissant-Rouge et Charity Qatary vont également financer des personnels médicaux. « Ils sont venus avec beaucoup d’argent », assure un acteur humanitaire.
A l’hôpital de Gao, ils recrutent des spécialistes en pédiatrie et gynécologie. Les primes de ces médecins et infirmiers maliens vont être directement payés par les ONG qatariennes. 600 000 francs CFA pour un spécialiste, 300 000 pour un généraliste, là où le CICR et les ONG n’offrent que 150 à 200 000 francs CFA. Les primes qatariennes « faramineuses » ne sont pas sans créer des problèmes entre les personnels de santé et vis-à-vis des autres partenaires humanitaires.
Devant l’opportunité financière, des infirmiers originaires de Gao et réfugiés un temps à Bamako décident de retourner dans le nord avec l’assurance d’un travail bien payé.
« Des méthodes de travail pas très orthodoxes »
Parmi les humanitaires sur place et chez les ONG internationales, on se dit troublés par l’approche de terrain des ONG qatariennes. « Le Croissant-Rouge qatarien est arrivé à Gao, sans avertir personne, ni la Croix-Rouge malienne, ni le CICR (Comité international de la Croix-Rouge), qui coordonne pourtant l’aide d’urgence dans les zones de conflits », confie un humanitaire.
Par la suite, et après des demandes d’explications, le Qatar a accepté de signer une convention avec la Croix-Rouge malienne : une délégation malienne est reçue à Doha pour signer le document. Mais, selon nos informations, trois mois plus tard, les actions communes sur le terrain n’ont toujours pas commencé. Selon nos interlocuteurs à Bamako, « ça ne se passe pas de façon très orthodoxe avec eux ». Un sentiment largement partagé par la quasi-totalité des intervenants humanitaires dans le nord : pas de coordination, pas de concertation en amont avec quiconque : « une approche très spéciale », nous confie-t-on.
Autre spécificité des Qatariens : ils installent leurs équipes médicales là où les besoins ne sont pas forcément les plus importants. Délaissant les dizaines de centres de santé de brousse, oubliés de tous.
A l’hôpital de Gao, au contraire, ils se sont installés alors que plusieurs ONG – MDM, ACF et le CICR – intervenaient déjà depuis longtemps. Au point que certains y voient une démarche plus politique qu’humanitaire. « Ils plantent un drapeau dans des endroits stratégiques, ce qui pourrait être déterminant lors d’une intervention militaire : l’hôpital de Gao, par exemple, est sous le contrôle du Mujao et est le seul centre médical de référence dans le nord-est du pays. »
« Ils grugent tout le monde »
A Gao, parler de la présence qatarienne ne laisse pas indifférent. Plusieurs de nos interlocuteurs, médecins ou acteurs de la société civile, bottent en touche et nous renvoient sur des voix plus officielles. D’autres au contraire se disent fatigués devant toute l’hypocrisie autour du rôle exact des Qatariens : « Depuis qu’ils sont arrivés, ils trompent tout le monde… Ils sont bien là pour aider le Mujao, financièrement et logistiquement », affirme avec véhémence un membre de la société civile. Selon lui, l’action humanitaire n’est qu’une couverture pour un soutien moins avouable : « A Gao, ils sont très proches du Mujao. »
Un élu local de Ménaka confirme : « Quand j’ai demandé au Croissant-Rouge qatarien d’intervenir sur un projet humanitaire, on m’a répondu que ce n’était pas possible car le Mujao n’était pas présent à Ménaka. »
L’attitude du Qatar interroge y compris chez les voisins nigériens, qui s’étonnent aussi du fonctionnement des ONG qatariennes qui travaillent dans leur coin, sans coopération et sans transparence. A Niamey, des appels d’offres qatariens fleurissent depuis des semaines dans la presse, appels d’offres pour la construction de centres de santé, de puits, de systèmes hydrauliques villageois. « Ce ne sont que des couvertures grossières pour justifier de l’argent qui est déversé sur place à des partenaires peu recommandables, et qui sont loin de faire du développement », explique un acteur économique nigérien, convaincu de la manipulation.
Quant à la présence éventuelle d’avions affrétés par le Qatar qui auraient atterri ces derniers mois dans le nord du Mali, nuitamment, avec à leurs bords des cargaisons suspectes, les avis restent partagés. Les démentis officiels du Qatar et des services secrets français n’ont pas réussi à lever le doute sur des ambitions difficiles à cerner.
Par Christine Muratet / RFI / 02/11/2012