Le moins que l’on puisse dire, c’est que la constitution et la mise en place des moyens de la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) constituent un chantier des plus délicats pour la France et ses alliés dans la zone soudano-sahélienne. L’atmosphère de la visite début juillet d’Emmanuel Macron sur le continent en est une parfaite illustration.
Une certaine urgence entourait la première visite officielle d’un président français en Mauritanie, début juillet 2018, depuis la venue de Jacques Chirac en 1997. « La France conserve sa vocation africaine », avait alors déclaré ce dernier. Ces paroles auraient tout autant pu être prononcées par Emmanuel Macron, chef des armées d’un pays qui a réinvesti militairement la région sahélienne au cours de la dernière décennie. La crise malienne qui a vu un agrégat de groupes djihadistes gouverner les régions nord du pays en a été le catalyseur.
En soutenant à bout de bras la force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) depuis son lancement officiel, en juillet 2017, le chef de l’État français s’inscrit indéniablement dans les pas de son prédécesseur.
Il ne faut pas s’y tromper : la visite d’Emmanuel Macron, bien que planifiée depuis plusieurs semaines, visait à sauver une force conjointe du G5 Sahel en grand péril après l’attentat à la voiture piégée, revendiqué par le groupe djihadiste Jamā’ah Nuṣrat al-Islām Wa-l-Muslimīn (JNIM), contre son poste de commandement (PC) central à Sévaré, dans le centre du Mali.
Une éclosion sans cesse reportée… et désormais menacée ?
Les prochains mois seront clairement mis à profit pour tendre vers l’objectif, reporté à plusieurs reprises, d’opérationnaliser cette force. Du moins, ils ne seront pas de trop pour reconstruire le PC de Sévaré qui « a été complètement détruit » si l’on en croit les propos du président malien Ibrahim Boubacar Keïta (IBK).
Au-delà de l’aspect matériel, cette attaque a une forte portée symbolique qui pousse de nombreux observateurs à se demander si cette force deviendra opérationnelle un jour.
« Des victoires pour le premier semestre 2018 »…
Cette annonce d’Emmanuel Macron concernant les futures opérations du G5 Sahel vise également, sans doute, à alléger la forte pression politique qui n’a cessé d’accompagner le développement de ce mécanisme sécuritaire régional innovant.
Après une période de conceptualisation laborieuse (de novembre 2015 à février 2017), la phase d’opérationnalisation enclenchée lors du Sommet de Bamako de juillet 2017 devait être plus rapide. Le chronogramme initial prévoyait une force opérationnelle dès l’automne 2017, avant que la pleine capacité́ opérationnelle (en anglais Full Operational Capability (FOC)) soit finalement repoussée à mars 2018.
Les défis auxquels les armées sahéliennes sont confrontées ont constitué autant d’obstacles à l’opérationnalisation accélérée et l’obtention rapide de résultats tant souhaités par les chefs d’État du G5 Sahel et le président français. Ce dernier exigeait, lors d’un sommet à La Celle-Saint-Cloud en décembre dernier, des « victoires au Sahel pour le 1ᵉʳ semestre 2018 ».
Or les trois premières opérations de la FC-G5S, qualifiées d’« exercices » par Emmanuel Macron, n’ont pas encore permis aux contingents sahéliens de croiser le fer avec les djihadistes, laissant Barkhane en première ligne d’une lutte contre le terrorisme qui peine à ramener le niveau de la menace à la portée des armées locales également engagées au niveau national avec plusieurs opérations intérieures.
Un modèle de financement complexe
Le président malien a rejeté l’entière faute de la lente montée en puissance de cette force sur les partenaires techniques et financiers (PTF), déclarant lors d’une interview accordée à France 24 en marge du Sommet de l’UA : « Qu’est-ce qui est effectif dans la caisse ? C’est ça qui porte préjudice à la rapidité de mise en place du G5 Sahel. »
Il faut reconnaître des lenteurs certaines dans le décaissement des contributions annoncées en grande pompe lors de la Conférence internationale sur la sécurité et le développement au Sahel qui s’était tenue à Bruxelles en février 2018.
Certes, il est difficile, lors de ces exercices de mobilisation de l’aide internationale, de distinguer les contributions appuyées par une réelle volonté politique des promesses consenties dans une logique d’affichage. Mais les responsabilités semblent partagées et, en grande partie, dues à la complexité du modèle de financement de la force.
En effet, dans le cas de la FC-G5S, on observe une pluralité́ de bailleurs, de types de dons, de mécanismes de décaissement et de besoins. Plusieurs schémas de financement coexistent, chacun répondant à des contraintes particulières, soit propres au bailleur, soit imposées par le canal de financement ou encore découlant de la nature même du besoin.
À titre d’exemple, les deux tranches de 50 millions d’euros promises par l’Union européenne (UE) sont issues de la Facilité de soutien à la paix pour l’Afrique (African Peace Facility, APF), un instrument financier de l’UE, créé en 2003, qui ne peut financer d’équipement létal tel que les munitions, les armes, le matériel militaire spécifique, les pièces de rechange pour les armes et le matériel militaire, ainsi que les salaires et l’entraînement militaire des soldats.
Pour satisfaire les besoins exprimés en termes de matériel militaire, la voie bilatérale est donc privilégiée. Ainsi, une aide matérielle et logistique équivalente à 9 millions d’euros a déjà été accordée par la France, à travers la cession de 70 véhicules tactiques et la livraison de matériel de transmission et de protection. Quant aux 100 millions d’euros promis par l’Arabie saoudite, ils ont permis l’achat auprès d’industriels français de matériel lourd qui devrait être livré et réparti entre les différents bataillons au cours des prochains mois, idéalement avant la reprise des opérations fin septembre.