Insécurité au centre du Mali : Fratricide ou ethnocide, dépassons les clivages identitaires !

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Un village peul situé dans le centre du Mali (image d'illustration). © Photo: Coralie Pierret / RFI

La caractéristique fondamentale de la contemporanéité constitue les conflits incessants sans nom. Ces conflits cauchemardesques mènent et malmènent le Mali. Les liens sociaux se brisent, les unions deviennent des désunions, la rationalité se transforme en irrationalité. Le Mali traverse une période critique depuis déjà plusieurs années. La source de cette crise est fondamentalement ethniciste. Les Maliens se sont laissés divisés en donnant libre cours aux ennemis du pays. L’existence de la nation est compromise. Les citoyens aussi bien que les dirigeants ont intérêt à valoriser des actions permettant le vivre ensemble pour donner un développement durable au pays. Il faudrait arriver à les faire comprendre que nos différences ne doivent pas nous éloigner les uns des autres. Tout le monde n’est pas un malfaiteur et toutes les ethnies ont ses malfaiteurs.

Un monde de préjugés

S’il faut nommer le problème du Mali, il convient de l’appeler d’ethnocentrisme. Chaque citoyen ne tient qu’à son ethnie en ignorant toutes les autres. Au Nord aussi bien qu’au centre, ce phénomène bat son plein. Des ethnies déterminées qui considèrent d’autres comme ethnicistes,  paresseux, ennemis, de la nation. Les familles se divisent, les quartiers et les villages se disloquent. Le drame se joue. On fait face à un conflit assimilable à de l’ethnocide.

Ces divisions se font sur la base des préjugés, de l’induction, c’est-à-dire d’une généralisation de cas particuliers. Rendez-vous au centre du Mali pour vous en convaincre. Les « bambaras » et les « Peuhls », les « Dogons » et les « Peuls » se livrent à une bataille sans précèdent. Pour cause, les premiers qualifient les seconds de terroristes, d’ethnicistes ou d’ethnocentristes. C’est pourquoi dans la cinquième région du Mali, Mopti, les conflits ne connaissent plus de répit entre ces groupes ethniques. Des conflits qui se tournent souvent en carnage.

« … en 2018, dans les régions de Mopti et Ségou, la Division des droits de l’homme et de la protection de la MINUSMA a enregistré 58 attaques menées par des éléments identifiés comme étant des Dozos contre des villages ou des parties du village habités majoritairement par des membres de la communauté peule. Au total, ces attaques ont causé la mort d’au moins 195 personnes civiles, dont 12 enfants et sept femmes, ainsi que la disparition de 14 personnes, dont quatre enfants. Elles ont également provoqué le déplacement forcé d’au moins 3000 personnes », nous confirme le rapport de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH) sur les exactions commises à Koumaga entre le 23 et 25 juin 2018.

Cette situation a fini par engendrer le dépeuplement progressif de ces zones. Selon le rapport 2018 de Human Right Watch intitulé ‘’Avant, nous étions des frères : exactions commises par des groupes d’autodéfense dans le centre du Mali’’, nous pouvons lire : « dans le centredu Mali, les violences communautaires ont, en 2018, tué plus de 200 civils, chassé de chez elles des milliers de personnes, détruit les moyens de subsistance et provoqué la généralisation de la famine. » La FIDH et l’AMDH font état de leur côté de 500 victimes civiles.

De par ces préjugés, cette région du centre a vu partir « Plus de 15 000 personnes » selon la FIDH et l’AMDH.

Le Mali, victime d’un changement de tactique

Ces préjugés ont alors fini par profiter à d’autres, à des esprits qui ne vivent que du « diviser pour mieux régner ». Du coup, le problème économique se mêle à l’ethnocide. C’est d’ailleurs ce qu’aurait compris le gouvernement malien. Interpellé par les députés pour se prononcer sur ces situations de violence, le Premier ministre, Soumeylou Boubeye Maiga, s’exprime : « Le Mali reste une cible pour les groupes qui veulent nous détruire. Ils ont essayé de plusieurs manières, ils ont agressé militairement, grâce à la solidarité internationale, ils ont été vaincus militairement, donc ils passent par d’autres formes. » Le PM continue en essayant d’être beaucoup plus explicite sur cette situation : « Dans leur panoplie de modes d’action, il y a des interventions sur les relations entre les communautés. »

Cette même attitude rend difficile la cohésion sociale non seulement au centre du Mali, mais également au nord. Les autres groupes ethniques sur la base des préjugés qualifient les populations du nord de paresseux, d’ethnocentristes. Du coup, ces populations sont victimes d’une haine injustifiée.

Ces préjugés houleux rendent difficile la cohésion sociale et aggravent  du coup l’insécurité sur toute l’étendue du territoire national. Ces conflits dits intercommunautaires ne constituent qu’un gadget pour distraire le Mali de l’essentiel.

L’hypothèse d’un chavirement n’est pas à écarter

Cependant, le Malien reste nostalgique de cette valeur atavique du vivre ensemble. La désunion reste le sort de toutes les communautés. Le développement reste le rêve de tous les citoyens. La pauvreté augmente aggravant ainsi les mésententes. Les dirigeants sont confrontés à un problème de gouvernance. Le pays tangue et finira par chavirer si des efforts ne sont pas déployés.
Il convient que les Maliens comprennent qu’aucune ethnie n’est responsable de la crise actuelle, aucune religion n’en est responsable.

Les crises qui handicapent la cohésion nationale sont l’œuvre d’esprits malintentionnés qui ne cherchent qu’à instrumentaliser nos ethnies, nos religions.

Les Peuhls ne sont pas des terroristes. Cela reste pareil pour les Dogons, les Touaregs, les Tamasheqs, les Songhaï, les bambaras, etc. Le terroriste est juste un homme sans valeurs, sans race, c’est un homme galvaudé qui ne vit que pour son intérêt.

Il est vrai que « Face au réel, ce qu’on croit savoir clairement offusque ce qu’on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés », nous dit Gaston Bachelard, mais cela n’exclut pas le fait qu’il soit impossible de délivrer l’esprit de ses préjugés.

 Unité dans la diversité

‘’L’union fait la force’’. Cet adage bien vrai qu’ancien reste une vérité certaine. Un arbre planté seul dans un espace véhément est complètement exposé à la rage de la tempête. Pour éviter de se détruire rapidement, il doit s’entourer de beaucoup d’autres arbres.

À l’instar de cet exemple, les Maliens doivent se rassembler pour le bien de tous. Il faudrait arriver à la compréhension qu’il n’y a pas de peuhl, ni de bambara, ni de dogon, ni de touareg, ni de tamasheq, mais qu’il n’y aque l’homme. Cela préservera le monde contre les amalgames auxquelles maints pays du Sahel notamment le Mali et le Burkina Faso sont victimes.

D’ailleurs, c’est ce qui ressort de cette tribune parue sur Le Monde, journal français, le samedi 12 janvier 2019. Cette tribune qui s’intitule « l’afropolitanisme et le cosmopolitisme enraciné, deux manières de penser l’Afrique » entreprend une explication de ces deux notions en remontant jusqu’à leur genèse. « Le Cosmopolite peut être patriote, aimer profondément sa patrie, pas seulement l’État où il est né, mais l’État où il a grandi et l’État où il vit, tout en cultivant sa loyauté envers humain », lit-on dans cette tribune qui nous explique également l’afropolitanisme comme ce « qui entraine la relativisation des origines et des appartenances primaires ainsi que la disposition d’embrasser l’étranger et le lointain dans le proche, etc. »

Voici des principes de vie dont chaque Malien doit intégrer au quotidien afin de mettre un terme à ces divisions sociales qui affaiblissent la résistance du pays et l’exposent davantage à ses ennemis. Notons également que la promotion de cette unité dans la diversité n’est pas une chose impossible. On se rappelle que Tariq Ramadan, le célèbre islamologue suisse, invitait face à la montée du terrorisme à faire valoir ces valeurs partout dans le monde. « … Au-delà de nos différences apparentes, nous partageons beaucoup de valeurs à partir desquelles le « vivre ensemble » est possible dans nos sociétés pluralistes, multiculturalistes… », écrivait Ramadan dans son livre Mon intime conviction.

Entre Peuls et Dogons, bambaras et peuls, etc., nul ne peut dire qu’il n’existe pas des valeurs à travers lesquelles la construction du Vivre ensemble sera possible. Des valeurs comme le cousinage à plaisanterie (Sinankunya) constituaient une des conditions fondamentales du vivre ensemble dans la plupart de ces sociétés. Mais pourquoi ces valeurs n’ont plus d’échos face à ces conflits ?

L’éducation, une arme redoutable

C’est juste une question d’éducation à laquelle il faudrait remédier. Dans nos sociétés, rares sont les enfants qui connaissent la portée réelle de ces valeurs ataviques de nos sociétés. Ceux qui les connaissent n’en croient plus. C’est pour cette raison que l’islamologue suisse recommandait : « La crise identitaire est profonde et il est impératif de développer, à travers l’éducation, une meilleure connaissance de soi et de son histoire, de forger une conscience et une intelligence qui soient confiantes et sereines. »Pour reprendre le titre de cette chronique de Bokar Sangaré, « Éduquer vos enfants, après on parlera du pays ».

Laisser de côté nos différences en nous donnant la main est l’antidote qui reste au Mali pour résoudre les crises auxquelles il reste confronté. Les instrumentalisations auxquelles nous sommes victimes peuvent être dépassées si, et seulement si on se faisait confiance. Cette confiance réciproque entre les ethnies est une condition sine qua non pour l’instauration de la paix et du développement durable.

Fousseni TOGOLA

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