La mort d’une vingtaine de personnes, le dimanche 3 janvier 2021, suite à une frappe aérienne dans le village de Bounty, dans le cercle de Douentza, région de Mopti, continue de défrayer la chronique. Pour l’association peule Tabital Pulaaku, les victimes sont des civiles qui célébraient un mariage. L’armée française, qui reconnaît avoir mené l’attaque, et l’armée malienne indique plutôt la neutralisation des djihadistes préalablement repérés après une opération de renseignement de plusieurs jours. Pour Human Rights Watch, les gouvernements malien et français devraient mener une enquête rapide et impartiale sur la frappe aérienne française.
L’Organisation de défense des droits de l’Homme Human Rights Watch s’est prononcée, dans un communiqué, hier, jeudi 21 janvier 2021, sur la frappe aérienne française sur Bounti, dans le cercle de Douentza, région de Mopti. Selon Human Rights Watch, une « enquête crédible et impartiale est nécessaire sur la mort de 19 présumés civils.» Trois habitants de Bounti, dont deux ont été blessés lors de l’attaque, ont déclaré à Human Rights Watch que le rassemblement était un mariage auquel assistaient de nombreux civils. Pour Jonathan Pedneault, chercheur auprès de la division crises et conflits à Human Rights Watch , « les graves allégations selon lesquelles des civils auraient été tués dans des frappes aériennes doivent faire l’objet d’une enquête rapide afin de déterminer la légalité des frappes au regard des lois de la guerre ». « Les autorités malienne et française ont l’obligation, en vertu du droit international, de veiller à ce qu’une enquête crédible soit menée de manière approfondie et impartiale », lit-on dans le document de Human Rights Watch. Le récit de l’attaque, selon les témoignages recueillis par Human Rights Watch
Le document révèle aussi que chacun des trois habitants de Bounti avec qui s’est entretenu Human Rights Watch a, cependant, indiqué qu’un mariage avait eu lieu et que les hommes s’étaient réunis séparément des femmes et des enfants en raison des mesures de ségrégation entre les hommes et les femmes imposées par les groupes islamistes armés actifs dans la région. Ils ont expliqué que le mariage avait été planifié plus d’un mois auparavant et que des personnes étaient venues d’autres villes et villages pour y assister. Le mariage que la famille avait organisé plusieurs années auparavant, était entre une jeune fille de 16 ans et un parent éloigné de 25 ans. Le mariage des enfants est légal au Mali et 54 % des filles maliennes sont mariées avant l’âge de 18 ans. Un mouton avait été abattu et préparé dans le village et les femmes étaient sur le point de livrer le repas lorsque l’attaque a eu lieu, ont déclaré les habitants.
« Soudain, nous avons entendu le bruit du jet, et tout s’est passé rapidement », a indiqué à Human Rights Watch un homme de 68 ans de Bounti. « J’ai entendu une puissante détonation, boum, puis une autre détonation. J’ai perdu conscience pendant quelques minutes et quand je me suis réveillé, mon pied saignait à cause des éclats d’obus, et tout autour de moi, il y avait des blessés et des cadavres. » Un autre homme, âgé d’une quarantaine d’années et présent sur les lieux au moment de la frappe, a déclaré que la première bombe avait explosé et tué 17 hommes, tandis que la seconde en avait blessé 9, dont 2 sont morts plus tard. « Nous voulons une enquête approfondie et une protection, parce que l’État doit éviter la confusion [entre civils et combattants] dans ses opérations, » a-t-il déclaré.
Selon une déclaration de Médecins Sans Frontières (MSF), une organisation humanitaire internationale non gouvernementale, la plupart des huit hommes qu’ils ont traités étaient des personnes âgées. Le 5 janvier, une ambulance arborant le logo de MSF et transportant trois survivants gravement blessés a été retenue de force pendant plusieurs heures par des hommes armés non identifiés, ce qui a entraîné la mort de l’un des patients. Un témoin a rapporté que le 15 janvier, les forces de sécurité maliennes ont arrêté à l’hôpital de Sévaré, une ville située à environ 200 kilomètres de Bounti, deux hommes qui avaient été blessés lors de l’attaque de Bounti.
Pour Human Rights Watch, le droit international humanitaire ou lois de la guerre qui s’applique au conflit au centre du Mali, exige que toutes les attaques soient dirigées contre des cibles militaires. « Bien que la présence de victimes civiles n’indique pas automatiquement une violation des lois de la guerre, les attaques ne peuvent pas être menées sans discernement ni causer des pertes civiles disproportionnées. Les forces attaquantes sont tenues de faire tout ce qui est possible pour vérifier que leurs cibles sont militaires et évaluer si les pertes civiles éventuelles sont excessives par rapport au gain militaire recherché. Les États parties à un conflit armé sont tenus d’enquêter sur les allégations crédibles de violations graves du droit de la guerre, qui peuvent constituer des crimes de guerre. »
Human Rights Watch demande aux autorités malienne et française d’aider à l’enquête MINUSMA en fournissant aux enquêteurs les journaux de vol, les coordonnées de tous les avions opérant dans la zone ce jour-là, et les renseignements qui ont conduit à l’attaque. « Les autorités maliennes devraient immédiatement assurer la protection des témoins et des victimes et ouvrir une enquête judiciaire», selon Human Rights Watch.
Dans l’intervalle, poursuit le document de Human Rights Watch, les autorités françaises devraient enquêter sur la frappe, y compris sur le rôle joué par la chaîne de commandement. « Si l’enquête détermine que la frappe est illégale, la France devrait indemniser les victimes civiles et leurs proches et envisager de réparer les dommages causés aux civils, indépendamment de toute constatation d’action illégale. » Selon M. Pedneault, « plus vite des enquêtes crédibles et impartiales seront mises en place et dotées des informations nécessaires, plus vite elles auront des chances de donner des résultats précis et de dissiper les doutes et les rumeurs. » « En aidant la MINUSMA à mener cette enquête et en ouvrant leurs propres enquêtes indépendantes, les gouvernements malien et français non seulement respecteront leurs obligations internationales, mais démontreront leur engagement à protéger les populations locales et à faire respecter l’État de droit », précise Human Rights Watch.
M. K. Diakité